Le photographe est un auteur dont
l’œuvre peut être protégée par sa Signature : Nadar et le procès Tournachon
Le premier procès mettant en cause des photographes,
en France, est celui des frères Tournachon.
Félix Tournachon, journaliste, caricaturiste,
écrivain, commence à se passionner pour la photographie en 1851, à l’âge de 31 ans, et adopte un pseudo
qui le rendra célèbre, Nadar. Rapidement, il encourage son jeune frère Adrien,
dessinateur, à faire de même. C’est ainsi qu’Adrien Tournachon crée à Paris sa
propre entreprise. Les deux frères décident ensuite de s’associer et
photographient ensemble le mime franco-bohémien Jean-Gaspard Debureau
réalisant une série de « Pierrot » qui est récompensée lors de l'Exposition universelle de 1855.
Adrien
signe ses propres photographies en utilisant le pseudonyme « Nadar Jeune »,
malgré les mises en garde de son aîné Félix dit Nadar, qui lui intente un
procès afin de se voir reconnaître l’exclusivité de l’usage du nom de Nadar. À
l’issue d’une procédure qui dure près de trois ans, Félix, débouté dans un
premier temps par le Tribunal de Paris, mais finalement reconnu dans son droit
par la Cour impériale présidée par le Premier président Delangle, qui considère
que le nom de Nadar, « qui a servi d’enseigne artistique et littéraire aux
fruits de son travail, était incontestablement sa propriété lorsque des
rapports d’intérêt et d’affaires se sont formés entre son frère et lui »,
obtient cette exclusivité. Les deux frères se réconcilient peu après.
Le photographe
est un artiste, et la reproduction non autorisée de son œuvre est une
contrefaçon : le procès Mayer et Pierson.
Pierre-Louis Pierson est photographe portraitiste. Louis et Ernest Mayer,
photographes, sont spécialisés dans le portrait photographique colorié. Pierson
et les frères Mayer s’associent en 1855 et
travaillent tant pour la famille impériale française (ils
accompagnent leur signature de la mention « photographes de Sa Majesté
l’Empereur ») que pour le Tout-Paris artistique. En 1856, ils réalisent un
portrait du Comte Camillo de Cavour, qui préside à Turin le gouvernement du
royaume de Sardaigne.L’un de leurs concurrents, Pierre Betbeder, lithographe, professeur de
dessin mais surtout spécialiste des daguerréotypes, qui gère l’atelier
photographique parisien d’Eugène Thiébault, utilise une version retouchée du
portrait de Cavour (il agrandit le portrait, change la pose des jambes, fait
une retouche au pinceau, introduit une bibliothèque dans le fond du décor) et
le commercialise. Mayer et Pierson estiment qu’il s’agit là d’une contrefaçon.
Ils intentent un procès. Leur avocat plaide que la photographie est un art. Il
s’agit en effet de démontrer, pour la première fois, qu’un cliché peut être une
œuvre de l’esprit et pas seulement un moyen mécanique de reproduction d’une
image. Leur adversaire plaide au contraire que la
photographie ne saurait être assimilée à une œuvre de l’esprit. Il est vrai que
de grands artistes se sont élevés contre l’assimilation de la photographie à
l’art. Tandis que Gustave Courbet, favorable à la photo, se sert d’études
photographiques de divers modèles pour peindre des nus, les peintres
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Pierre Puvis de Chabannes, Eugène Isabey,
Flandrin (élève de Ingres), Troyon (surnommé le peintre des vaches) et
Nanteuil, hostiles à la photo, signent en effet en 1862 une pétition contre la photographie, écrivant : « Considérant
que la photographie se résume à une série d’opérations purement manuelles, qui
nécessite sans doute quelque habitude des manipulations qu’elle comporte, mais
que les épreuves qui en résultent ne peuvent, en aucune circonstance, être
assimilées aux œuvres, fruit de l’intelligence et de l’étude de l’Art, par ces
motifs, les artistes
soussignés protestent contre toute assimilation qui pourrait être faite de la
photographie à l’Art. »
Le
tribunal correctionnel de Paris, retenant dans les motifs de sa décision que « la photographie n’invente et ne crée pas
», déboute Mayer et Pierson qui font appel. Le 10 avril 1862, la chambre des
appels de police correctionnelle leur donne raison. La Cour estime que le
portrait de Cavour est une production artistique et qu’il doit jouir de la
protection accordée par la loi aux œuvres de l’esprit car les dessins
photographiques « quoique obtenus à
l’aide de la chambre noire et sous l’influence de la lumière dans une certaine
mesure et à un certain degré, peuvent être le produit de la pensée, de
l’esprit, du goût et de l’intelligence de l’opérateur ». L’arrêt est
confirmé le 28 novembre 1862 par la Cour de cassation.

Le comte de Cavour, par Mayer et Pierson (1856)
Le
propriétaire d’un immeuble a un droit exclusif sur la reproduction de l’image
de son bien : le procès du facteur Cheval contre le photographe Charvat
Entre 1879 et 1912, pendant 33 ans, un facteur rural, Ferdinand
Cheval, amasse des pierres avec sa brouette et réalise une œuvre architecturale
monumentale, décorée d’un riche bestiaire et de personnages mythologiques, le «
Palais idéal », à Hauterives (Drôme).
En 1905, un photographe professionnel, Louis Charvat,
qui habite dans un village limitrophe, Le Grand Serre, prend des clichés de ce
monument et commercialise, pour son propre compte, les premières cartes
postales du « Palais idéal ».
Il
n’a évidemment pas sollicité l’autorisation ou l’avis de Cheval. Ce dernier,
indigné par le procédé, l’assigne en 1906 devant le tribunal civil de Valence.
Dans son jugement du 9 juin 1906, le tribunal, au motif « qu’il n’est pas douteux, en droit, que si les clichés demeurent la propriété
du photographe, celui-ci n’a pas le droit de les reproduire, de les exposer, de
les mettre en vente, en un mot d’en faire usage, sans l’autorisation formelle
de la personne dont ils reproduisent les traits ou la chose », dit et ordonne «
que, dans la huitaine à partir du présent, Charvat sera tenu de faire cesser
toute exposition, vente ou mise en vente desdites cartes postales
photographiques représentant ledit monument, à peine de 50 francs par chaque
contravention constatée ». Charvat fait aussitôt appel et continue
tranquillement de vendre ses cartes postales.
Le 1er mars 1907, la
cour d’appel de Grenoble rend son arrêt. Faute de législation spécifique sur le
droit à l’image, elle doit interpréter l’article 55 du Code civil, inchangé
depuis 1804 : « la propriété du sol
emporte la propriété du dessus et du dessous », et dire si la propriété
foncière entraîne ipso facto la propriété de l’aspect visuel. Retenant « qu’il est inexact de prétendre que Charvat
avait le droit de photographier le Palais Imaginaire et d’en vendre les
reproductions sans le consentement de Cheval… » et constatant que « le monument est renfermé dans l’enceinte de
la propriété de Cheval, de telle sorte qu’il est impossible de le photographier
du dehors, et que les photographies du monument reproduit n’ont pu être prises
qu’avec l’autorisation de Cheval, propriétaire exclusif de sa chose, dont on
pouvait d’autant moins disposer sans son consentement, que son portrait
accompagne presque toutes les vues du Palais Imaginaire », elle confirme le
jugement du tribunal civil de Valence dans toutes ses dispositions.
Sorti vainqueur du
prétoire, Cheval réalise ses propres cartes postales.

La carte postale illicite réalisée par Charvat montrant le Palais du facteur Cheval
La personne qui invoque une
atteinte à son image doit être parfaitement reconnaissable sur l’image :
Doisneau et le baiser volé
En 1950, le photographe Robert Doisneau fournit au magazine américain Life
un cliché représentant un couple d’amoureux s’embrassant devant l’hôtel de
ville de Paris. En 1988, Télérama publie à son tour le cliché devenu
célèbre.
L’amoureuse, Françoise B., ancienne comédienne, se reconnaît et produit
un tirage d’époque que lui a offert Doisneau. Elle donne le nom de son ami
d’alors, lui aussi comédien. Il apparaît que le cliché a été pris lors d’une
pose parfaitement orchestrée et non à la volée. Un autre couple, les L.,
prétend être en réalité le couple du cliché, photographié à son insu, et
assigne Doisneau, lui réclamant 500 000 francs pour atteinte à leur image. Dans le même temps, Françoise B.
attaque également Doisneau, car il y a eu des produits dérivés, et elle
voudrait une part des recettes !
Doisneau gagne ces deux procès, avec des arguments imparables : la femme sur la photo n’est pas
reconnaissable, et il ne saurait donc y avoir d’atteinte à son image. De plus,
la photo n’a pas été prise à l’insu des protagonistes puisqu’il s’agissait
d’une pose organisée et qu’il n’y a pas eu d’instantané.
L’image ne doit pas choquer la
pudeur : les fesses nues de Polnareff
En 1972, le chanteur Michel Polnareff annonce son spectacle à L’Olympia
par une affiche qui dévoile ses fesses.
Le parquet le poursuit pour attentat à la pudeur. Le tribunal
correctionnel de Paris le condamne en 1973 à une amende
de 10 francs par affiche visible : 6 000 affiches ont été posées !

La photo de Michel Polnareff, prise par Tony Frank, affichée 6 000 fois en 1972, entraînant la condamnation à
60 000 francs d'amende (correspondant, compte-tenu de l'érosion monétaire, à 53 900 euros)
Les mœurs évoluent : Myriam
enlève le haut puis… le bas
En 1981, l’afficheur Avenir décide de lancer une campagne qualifiée
d’aguicheuse pour relancer le marché des annonceurs publicitaires, et confie sa
réalisation au photographe Jean-François Jonvelle qui photographie son ancienne
amie, Myriam S.,
en trois épisodes : habillée, elle annonce qu’elle va enlever le haut,
seins nus elle annonce qu’elle va retirer le bas, et elle apparaît finalement
nue, de dos, montrant ses fesses.
Cette campagne suscite bien des polémiques, mais le
sourire l’emporte et aucune poursuite n’est intentée.
Etienne Madranges,
avocat au Barreau de Versailles