ENTREPRISE

L’homme d’affaires Gérald Karsenti plaide pour un « nouveau leadership »

L’homme d’affaires Gérald Karsenti plaide pour un « nouveau leadership »
Publié le 18/01/2023 à 18:15

Lors d’une halte au Club de l’Audace, le manager chevronné, passé par IBM, HP ou encore SAP France (dont il vient juste de céder les rênes), a livré sa vision du dirigeant du « troisième type ». Fédérer son entreprise autour de la diversité, créer les conditions de la confiance et ne pas avoir peur du changement : voici les clefs, selon lui, d’un leadership réussi.

IBM, Capgemini, Hewlett-Packard, Oracle France et SAP France : les postes de direction et/ou de présidence n’ont (presque) plus de secrets pour Gérald Karsenti. L’auteur de Leaders du troisième type et de L’art de bâtir une équipe est un manager passionné qui ne fait manifestement pas partie de ceux pour qui « c’était mieux avant ».

Lors de son passage au Club de l’Audace de Thomas Legrain, en décembre 2022, le « serial leader », coach et conférencier explique que la 4e révolution industrielle, vers 2008, au moment de la crise des subprimes, a poussé les entreprises à se réinventer, et a vu émerger de nouveaux leaderships, sortis progressivement des carcans. « Aujourd’hui, les choses changent au niveau politique, sociétal, géopolitique, et les sociétés sont obligées de s’adapter », affirme-t-il.

La fin des leaders narcissiques

Pour expliquer la bascule, Gérald Karsenti aime à se référer aux travaux de l’Américain Michael Maccoby, connu pour son travail sur le profil des leaders, notamment publié dans la prestigieuse McKinsey Review. Cet anthropologue et psychanalyste – disparu il y a peu – classait les patrons en trois catégories, transposant une typologie freudienne au monde de l’entreprise. Selon lui, les « narcissiques » (ou « productivistes »), caractérisés par leur charisme et leur détermination, étaient des leaders-nés indispensables à la société.

Toutefois, de l’avis de Gérald Karsenti, l’ère des leaders narcissiques est révolue car, en dépit de leurs qualités, ces derniers ne sont pas ajustés au monde d'aujourd'hui, incapables de s’ouvrir au changement. D'autant que « beaucoup se croient au-dessus des lois et ont tendance à croire que tout leur est dû. » Au XXIe siècle, cela ne peut plus fonctionner ainsi, considère-t-il.

Au contraire, dans le nouveau mouvement qui émerge, les leaders sont obligés d’aller vers des qualités humaines différentes – le sens du collectif, l’humilité… analyse l’homme d’affaires. Par ailleurs, des critères qui comptaient peu auparavant deviennent importants. Aujourd’hui, le « leader du troisième type », comme il l’appelle, est celui qui arrive à fédérer son entreprise autour de la diversité.

De l'éclectisme dans les entreprises

Pourtant, le « serial leader » observe que l’adage « qui se ressemble s’assemble » est encore très prégnant dans la culture occidentale. « Nous sommes, en France, fers de lance sur le sujet : les chefs d’entreprises adorent avoir autour d’eux des personnes qui leur ressemblent, si possible qui sont passées par les mêmes filières, les mêmes écoles ; qui ont fait les mêmes choses. C’est rassurant. C’est pour cette raison qu’en France règnent les réseaux, dont l’importance est beaucoup plus forte que dans d’autres pays », fait-il remarquer. 

Mais la tendance actuelle va plutôt dans le sens inverse, note Gérald Karsenti. Et selon lui, c’est une nécessité : « Dans le monde d'aujourd'hui, et celui vers lequel nous allons, il faut capter toutes les opportunités du marché, être réactif, savoir s’adapter, faire preuve d’agilité, avoir l’œil vif, et ça, vous ne pouvez l’avoir que si vous avez de la diversité. » 

À commencer par la pluralité des genres, indique-t-il, car qui dit parité dit plus de performance. Et même dans les domaines généralement considérés comme davantage « masculins », où le recrutement des femmes est réputé compliqué, tout est une question de (bonne) communication. « Chez SAP, pour attirer les femmes dans la tech, on a changé notre façon d’aborder les choses : au lieu de parler de nos produits, on parle de ce à quoi ils servent : cette façon de changer notre recrutement a eu un effet quasi immédiat », témoigne l’ex-PDG.



Gérald Karsenti plaide d’autre part pour une diversité culturelle, de formation, mais aussi un éclectisme « tout court ». « Plus vous avez de profils qui ne vous ressemblent pas, plus vous avez de chances de comprendre ce qui se passe autour de vous. » Il rappelle que dans le monde économique, ce qui est rare est cher. Or, « les leaders oublient trop souvent que nous avons une différenciation faisant de chacun un être unique ». 

Compétences, confiance, bienveillance

D’autant que si les leaders sont « indispensables », tient à souligner l’homme d’affaires, autour d’eux, la somme de tous ces « autres » est fondamentale à l’équation. « Un bon leader doit avoir la capacité de comprendre que seul, il n’est rien. (...) Si l’IA est souvent présentée comme la solution absolue à tous les problèmes, la valeur humaine, le capital humain est encore plus essentiel. Vous pouvez truffer votre entreprise de technologies, ça ne vous amènera pas à bien dormir ! Ce qui vous amènera à bien dormir, c’est d’avoir construit la meilleure équipe qui soit. » 

Une équipe dans laquelle il faut s’assurer que chacun est à sa place. Trop souvent, des potentiels sont « gâchés » lorsque des personnes n’occupent pas le bon poste. In fine, cela n’est bénéfique à personne. Le multi-PDG, qui donne des cours de management depuis plus de 18 ans, invite donc les dirigeants et les services RH à repérer, à cerner les compétences et la personnalité de chacun, afin d’en tirer le meilleur parti. Pour lui, 70 % de la réussite tient dans le fait d’avoir « les bonnes personnes au bon endroit pour faire les bonnes choses au bon moment ». 

Autre prérequis au bon fonctionnement d’une entreprise : la confiance accordée par son chef. « Il faut créer un environnement propice au développement et à la libre parole », martèle-t-il. Gérald Karsenti fait aussi l’éloge de la bienveillance, une vertu qui doit être remise au goût du jour, estime-t-il. « On n’est pas obligé d’être cassant et castrateur pour avoir de la performance. La bienveillance, ce n’est pas de la gentillesse, ce sont deux notions différentes. »

Finalement, un bon leadership, c’est un ensemble de hard skills et de soft skills. « Le QI ne fait pas tout. Ce qui explique la réussite, c’est tout le reste : les six autres formes d’intelligence (émotionnelle, relationnelle, etc.). Celles-ci s’apprennent, se travaillent, et vous font évoluer. » En effet, Gérald Karsenti ne croit pas à l’immuable. « On peut être un chef d’entreprise impétueux, puis on se rend compte que c’est brutal et l’on change. » 

L’importance du mimétisme

L’homme d’affaires souligne également l’importance du mimétisme. À tout âge, les rencontres façonnent la personnalité, le parcours, la carrière d’un individu. « Tout au long de votre vie, vous croisez la route de personnes qui vont avoir un impact considérable sur vous. Vous incorporez leur savoir-faire, leurs attributs, à votre propre personnalité, et vous devenez ce que vous êtes. » 

Celui qui a « changé sa vie », assure-t-il, c’est M. le Fur, son instituteur de CM1. 50 ans ont passé depuis, pourtant il n'en démord pas : « Le goût de l’histoire, c'est lui qui me l'a transmis. Il y a des personnes que l’on croise et qui éclairent notre route. » Depuis quelques mois, Gérald Karsenti partage avec Franck Ferrand l’animation de l’émission « Grands leaders - les leçons de l’Histoire » sur Radio Classique, et propose aux auditeurs de redécouvrir la personnalité des grands personnages, de Winston Churchill à Jeanne d’Arc en passant par Bouddha, pour en tirer des leçons de leadership. Sacré hommage à M. le Fur.

 

Bérengère Margaritelli

 

Crédit photo : Samuel Kirszenbaum / Légende : Gérald KARSENTI

1 commentaire
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Bismuth
- l'année dernière
Je suis d’accord mais cela a existé et en particulier dans les PME et cette présentation très claire renforce cette approche pour les grandes entreprises
Toutes les PME n’étaient pas gérées comme cela mais dans nos métiers de la fabrication électronique les dirigeants survivants avaient des valeurs proches de ce qui est décrit par M Karsenti

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