Les
28 et
29 octobre
derniers, le Conseil national des barreaux (CNB) a donné rendez-vous aux
avocats de France pour un grand rassemblement… à distance. Soit deux journées
de formation web gratuite pour se mettre à jour des dernières réformes du
droit. Procédure de divorce, droit des mineurs, modes alternatifs de règlement
des différends, nouvelles technologies : les sujets abordés ont été
nombreux. Dans la matinée du 29, une table ronde intitulée « Urgence sanitaire – Urgence législative »
a été organisée. L’occasion de revenir sur les décisions qui ont été prises –
notamment celle d’un nouveau confinement – alors que nous vivons une deuxième
vague de la Covid-19.
Les organisateurs du Grand Atelier des Avocats n’avaient pas forcément prévu
qu’un nouveau confinement généralisé serait décrété le jour même de
l’organisation de leur évènement. Ils ont dû cependant s’adapter. Face au
rebond spectaculaire de l’épidémie de coronavirus en France, le chef de l’Etat a décidé
qu’un reconfinement était nécessaire, au moins jusqu’au 1er décembre, pour soulager les hôpitaux et ralentir le nombre de
contaminations.
La crise sanitaire, et notamment le confinement, mais aussi le plan de
relance, les libertés fondamentales, etc., ont donc été au cœur du débat de la
matinée qui a réuni Philippe Bas, sénateur des républicains
de la Manche, Yves Veyrier, secrétaire général de la CGT - Force ouvrière, et Xavier
Autain, avocat au barreau de Paris et président de la Commission communication
du CNB.
CONFINEMENT
ET LIBERTÉS FONDAMENTALES : À LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE
La question qu’il faut se poser, une fois passé le choc de l’annonce
d’un deuxième confinement, est la suivante : ce reconfinement était-il
prévisible ? Et surtout est-il justifié ?
Un confinement attendu
Yves Veyrier l’a reconnu, l’annonce du confinement n’était pas vraiment
une surprise pour lui.
Mardi 27?octobre, le Premier ministre a en effet consulté les
organisations politiques, les représentants des associations
d’élus et les organisations patronales et syndicales.
« Nous nous
attendions à cette annonce, c’est-à-dire à un retour au confinement. Nous
sommes une organisation syndicale implantée dans le secteur de la santé, nous
n’étions donc pas étonnés de la gravité de la situation sanitaire » a-t-il confié.
En outre, depuis plusieurs semaines déjà, les syndicats et délégués au
sein des hôpitaux s’inquiètent et sonnent l’alerte quant à l’explosion du
nombre de cas en hospitalisation et en réanimation. La CGT s’attendait
donc à la prise de mesures aussi drastiques que celles qui ont été annoncées.
Toutefois, la situation est complexe. D’un côté, il y a la question de
la santé, et notamment la santé au travail qui est essentielle (car on ne peut
accepter de risquer sa santé en allant au travail), de l’autre, il y a les
inquiétudes liées à l’emploi. Le secrétaire général l’a rappelé : la
situation des salariés demain sera très préoccupante, sachant que depuis le
mois de mars, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés.
Lors de la consultation pré-confinement, et comme en mars dernier,
le syndicat a également soulevé, auprès du Premier ministre, certaines
injonctions qui lui semblent «
contradictoires », comme le fait que les grandes surfaces peuvent ouvrir et
vendre non seulement de l’alimentaire, mais aussi des livres et jouets, alors
que les magasins spécialisés, eux, sont contraints de fermer.
Une autre «
injonction contradictoire » concerne les libertés syndicales. Celles-ci
peuvent-elles s’exercer dans un cadre aussi contraignant que celui du
confinement ?

Me Xavier Autain et Yves Veyrier
Confinement et libertés syndicales
Dès le mois de mars, a rapporté Yves Veyrier, l
a CGT a été très sollicitée par des salariés de
toutes parts, et par ses propres délégués syndicaux qui s’interrogeaient sur
des questions sanitaires : comment s’assurer que l’on est obligé d’aller
travailler ou que l’on est correctement protégé ? se demandaient-ils par
exemple. Rappelons qu’au début du mois de mars, les caissiers et caissières
étaient obligés de se rendre à leur poste alors qu’ils ne disposaient d’aucune
protection. Il y avait même une pénurie de masques dans le secteur de la santé…
Il a fallu que des délégués syndicaux se mobilisent pour que la décision
gouvernementale soit prise d’installer – au minimum – des parois protectrices
pour ces employés qui voyaient défiler des dizaines et des dizaines de
personnes sans masques.
En même temps, et alors que la demande était grande, l’impossibilité de
se réunir et de se déplacer entravait la capacité des syndicats
à agir efficacement. Ils se retrouvent une nouvelle fois dans le même cas de
figure.
S’ajoutent à cela des dispositions prises en 2017 via des ordonnances qui ont réformé le
Code du travail. Selon Yves Veyrier, le discours est là aussi contradictoire.
Ces ordonnances avaient pour but de privilégier le dialogue
social de proximité – au niveau de l’entreprise –,
au détriment de la hiérarchie des normes. Par conséquent,
les instances représentatives ont été concentrées : on a ainsi supprimé les
Comités d’hygiène et de sécurité (CHS). Or, a expliqué Yves Veyrier, au mois de
mars dernier, on a réalisé à quel point ceux-ci étaient en réalité essentiels. « Heureusement que nous avions encore des
délégués au fait de ces questions de santé et de sécurité au travail, car nous
avons pu agir efficacement, promptement pour protéger les salariés dans les
secteurs où il fallait continuer de travailler » a expliqué le
syndicaliste.
Durant cette période, les délégués ont notamment été très sollicités par
des salariés isolés, ainsi que par des travailleurs « ubérisés ». Ces derniers, qui sont à la base fragilisés
économiquement, l’ont été encore plus pendant le confinement.
Lors de ce dernier, afin
d’assurer à la fois la sécurité sanitaire et la liberté syndicale au sein des organisations,
les délégués ont travaillé en visioconférence. À la CGT - Force
ouvrière, les salles de réunion ont été adaptées, ce qui a
permis au syndicat de maintenir l’essentiel de son activité (en ce moment, les
syndicats veulent d’ailleurs obtenir un accord interprofessionnel concernant le
télétravail, mais « les employeurs y vont
à reculons », a rapporté le secrétaire général).
À l’heure actuelle, chacun est tiraillé entre la peur de
contracter le virus – ou de le propager – et le fait de ne plus avoir de vie
sociale. En outre, pour ceux qui sont seuls chez eux, passer des jours entiers
devant son ordinateur n’est p as très épanouissant. S’ajoutent à cela, a dénoncé le
secrétaire général, les annonces de suppression d’emplois et le fait que
beaucoup de salariés se retrouvent en grande précarité.
Yves Veyrier a évoqué le sujet de l’assurance-chômage. Ce dernier
souhaite ardemment que le gouverne ment abandonne
définitivement sa réforme et en revienne à la Convention négociée en 2017 : « nous avions signé un accord entre les
employeurs et les organisations syndicales qui prévoit les règles d’accès au
droit à l’indemnisation chômage et le niveau d’allocation », a-t-il
rappelé. Cette Convention devait durer trois ans, mais le gouvernement a décidé
de s’ingérer dans la négociation et a imposé une réforme en juin 2019 avec nul autre motif, selon le secrétaire général de la CGT, que celui
de réduire le coût de l’indemnisation chômage, ce qui pénalise actuellement de
nombreux concitoyens.
Rôle et pouvoir du Parlement dans cette crise sans fin
Philippe Bas, sénateur LR et président de la Commission des lois
constitutionnelles au Sénat, s’est quant à lui exprimé sur les restrictions des
libertés fondamentales. Le Parlement a-t-il lui aussi connu – comme les
syndicats – des restrictions dans l’exercice de son pouvoir ?
Au Sénat, a rapporté ce dernier, les membres sont partagés entre
l’esprit de responsabilité qui pousse à accorder aux autorités sanitaires les
moyens d’actions qu’ils réclament, et l’impératif de rester vigilant quant aux libertés individuelles
et publiques, dans une période où celles-ci sont soumises
à rude épreuve.
« Il faut que la
proportionnalité des mesures soit garantie, qu’elles soient temporaires et
surtout que le rôle du Parlement soit affirmé » a-t-il martelé.
Aussi, a-t-il continué, dans les jours à venir, les
sénateurs vont de nouveau plancher sur le texte de prorogation de l’état d’urgence
sanitaire jusqu’au 16 février (mis en œuvre par décret le 16 octobre). Le jour
où le décret a été adopté, le gouvernement souhaitait la mise en place d’un
état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 mars 2021, mais les sénateurs ont refusé.
Étant donné les mesures annoncées par le président de la République le 28
octobre (lorsqu’il a annoncé le reconfinement), les sénateurs vont de nouveau
amender le texte (NDLR : les sénateurs n’en auront finalement pas eu le temps.
Le 7 novembre dernier, dans un climat très houleux, la
majorité au Parlement a définitivement adopté le projet de loi prolongeant
l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021, l’instauration d’un régime
transitoire jusqu’au 1er avril, par 154 voix pour et 38 contre. Les
républicains, socialistes, communistes et LFI ont voté contre, accusant la
majorité « d’autoritarisme »).
Le Parlement a en tout cas décidé, selon Philippe Bas, qu’il ne
laisserait pas les mesures de confinement se poursuivre au-delà de la date du
31 janvier prochain. Il refuse que le confine
ment soit renouvelé sans son consentement, ou sans qu’il soit consulté
au moins tous les mois. « nous
n’attendrons pas le 31 janvier pour vérifier s’il y a lieu ou non de prolonger
ce confinement », a prévenu le sénateur des Républicains de la Manche.
Certes le Sénat veut lutter par tous les moyens possibles
contre l’épidémie, même si cela restreint temporairement l’exercice des
libertés, mais en contrepartie, dans la mesure où les pouvoirs du gouvernement
se sont renforcés, il faut que le contrôle parlementaire soit lui aussi accru.
Quoi qu’il en soit, pour Philippe Bas, le Parlement a pleinement
joué son rôle durant la crise : « Nous
n’avons jamais laissé plus d’une période de deux mois ou deux mois et demi sans
exiger un nouveau vote du Parlement. Surtout, nous avons en plus de ce travail
législatif, un travail de contrôle, que nous avons exercé pendant le
confinement » a-t-il assuré.
Lors du premier confinement, a-t-il rapporté, le Parlement a ainsi exigé
des résultats chiffrés, notamment sur les contrôles de gendarmerie, et s’est chargé
en plus de très nombreuses auditions. Au mois de juillet, l’Institution a
également créé des commissions d’enquête dans les deux chambres. Celles-ci sont
toujours en activité à l’heure actuelle, et vont d’ailleurs bientôt rendre
publique leur analyse sur la manière dont les pouvoirs publics ont géré la
crise.
Un confinement plus angoissant
Cependant, s’est interrogé Maître Xavier Autain, la situation actuelle est-elle identique à
celle du mois de mars ?
Pour Philippe Bas, les circonstances ne sont pas les mêmes. Le
confinement des mois de mars et avril ont produit leurs effets (les cas ont
diminué) et des dispositifs ont été mis en œuvre : tests de dépistage, système informatisé permettant à des plateformes de la Sécurité sociale
de contacter toutes les personnes contaminées, gestes barrières, organisation
du travail et des écoles...
Malgré tout, ces mesures se sont apparemment révélées impuissantes pour
faire face à la naissance d’une nouvelle vague.
Par conséquent, le deuxième confinement est abordé dans un tout autre
état d’esprit que le premier. Pour le président de la Commission des lois, les
Français ont accepté le confinement de mars, car nous n’avions alors rien pour
nous prémunir du virus. Aujourd’hui, nous disposons de tous ces instruments, et
pourtant, nous devons quand même retourner en confinement. Nous sommes donc
beaucoup moins confiants, selon lui.
En outre, ce confinement est différent en pratique
: les écoles restent ouvertes, ce qui signifie qu’« un million de professeurs et d’élèves sont dans un environnement où
les gestes barrières ne seront pas toujours respectés, car ce sont des petits »
a regretté le sénateur. Il existe un risque potentiel que ces derniers
propagent le virus. Ce confinement est donc moins étanche que le précédent.
Pour autant, selon Philippe Bas, il est essentiel que
l’activité puisse se poursuivre là où cela est possible, bien qu’il faille
strictement respecter les consignes sanitaires et même les renforcer.

M Me Xavier Autain, Yves Veyrier et
Philippe Bas (à l’écran)
Les libertés fondamentales menacées ?
À la question de Maître Xavier Autain de savoir si les
libertés fondamentales sont malmenées, Philippe Bas estime qu’il convient
plutôt de se poser la question inverse.
En effet, il s’agit de vies humaines exposées à un virus
très dangereux. Pour lui, le juste équilibre est difficile à trouver.
« Est-ce qu’on est en deçà de ce qu’il
faut demander ou au-delà, là est la vraie question, a-t-il expliqué, en tout
cas, nous ne refuserons pas les demandes du gouvernement aujourd’hui, car
l’enjeu est crucial. »
Dans tous les cas, a-t-il ajouté, ces restrictions ne devront pas
devenir une habitude. Et c’est pour lui le rôle des avocats de veiller à cela.
Dans un État de
droit, il est primordial en effet de ne pas s’habituer à des dérogations au
respect des libertés fondamentales ainsi qu’au respect de la vie privée.
« Ces derniers jours, certains voulaient
que les Français ne soient pas plus de 6 dans leur domicile, car à l’extérieur
ils n’ont pas le droit d’être plus de 6. C’est ahurissant. Un gendarme ne peut
pas venir chez vous pour compter le nombre de personnes présentes au foyer ! »
s’est-il emporté.
Pour Philippe Bas, il doit se former un
esprit de résistance et des recours à un tribunal dans le pire des
cas. Quant à la justice, elle doit être une sorte de balance entre l’intérêt
général qu’il faut atteindre, et les contraintes qui sont imposées, pour que, in
fine, le résultat soit positif.
Yves Veyrier a rebondi sur les propos du président de la Commission des
lois concernant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Il a regretté à
ce sujet que les organisations syndicales n’aient même pas été informées lors
de l’adoption du décret.
Cela est d’autant plus regrettable, selon lui, que le Sénat a
réintroduit la possibilité d’agir par ordonnances, en s’abstenant de toute
consultation obligatoire, sur des thématiques telles que la dérogation au temps
de travail hebdomadaire au-delà de 48h – pour aller jusqu’à 60h –,
le travail le dimanche, etc. Ces mesures avaient d’ailleurs été proposées
contre l’avis des organisations syndicales, au prétexte que les filières devaient fonctionner coûte que coûte pendant
le confinement.
« Mais faire
travailler au-delà de 48 heures, jusqu’à 60 heures, c’est mettre en péril la
santé des salariés concernés et donc en fin de compte, le secteur concerné
lui-même » a dénoncé le syndicaliste.
Comme Philippe Bas qui a insisté : il ne faut pas
confondre l’urgence à agir avec la pérennisation des mesures d’exception.
Par exemple, a-t-il rappelé, l’état d’urgence terroriste de 2015 a permis ensuite que certaines mesures d’exception entrent dans le droit
commun. Cela va-t-il se produire aussi avec l’état d’urgence sanitaire ?
s’est-il demandé.
Depuis 2016, la CNCDH (dont Yves Veyrier est un membre actif) a ainsi
émis pas loin d’une dizaine d’avis sur ces problématiques de mise en place de
l’état d’urgence, voire de la constitutionnalisation de certaines dispositions.
Pour Yves Veyrier en tout cas, il est essentiel d’établir un suivi
effectif de ce nouvel état d’urgence sanitaire.
Le sénateur Philippe Bas a estimé que les organisations
syndicales avaient eu raison d’avoir été contrariées de ne pas avoir été
consultées lorsque la décision de prolonger l’état d’urgence sanitaire a été
prise.
« J’ai pris en
compte cette nécessité de ne pas bouleverser les consultations nécessaires
quand on veut modifier le Code du travail » a-t-il assuré.
Celui-ci a donc déposé et fait adopter un amendement qui
oblige le gouvernement, quand il veut faire passer une ordonnance sur ces questions-là, à
respecter la consultation de la Commission nationale de la négociation
collective (CNNC). C’est au sein de cette Commission, en effet, que les
discussions ont lieu, sous l’égide du ministre du Travail, entre
organisations syndicales et patronales. « L’urgence
sanitaire ne justifie pas qu’on se dispense de consulter la CNNC » a insisté
le sénateur.
Les débats se sont ensuite poursuivis autour du plan de relance lancé le
3 septembre dernier. Celui-ci est-il
suffisamment conséquent pour relancer l’économie française ?
LE PLAN DE RELANCE
À ce sujet, Maître Xavier Autain a fait remarquer que certes 100
milliards d’euros seraient injectés pour les TPE-PME, mais que rien n’était
vraiment prévu pour les indépendants : «
nous sommes régulièrement absents des analyses gouvernementales. (…) Que
doit-on faire pour pouvoir être entendu ? » a-t-il questionné. Philippe Bas
a répondu (sans satisfaire totalement l’avocat) que toutes les professions
devaient effectivement être prises en compte. Les professions indépendantes
souffrent autant que les artisans et les entrepreneurs individuels. Selon lui,
les versements publics sont sans précédent à la fois sur le
plan conjoncturel et pour permettre un redémarrage de l’activité après la crise
– avec des investissements structurels qui permettront de reconstruire le pays.
Cependant, a-t-il ajouté, les déficits publics sont en train d’exploser, et
cela va être encore pire après le deuxièmement confinement. « Heureusement la crise économique ne se
double pas d’une crise financière », a-t-il nuancé.
Il est vrai que le plan de relance est très orienté sur
le volet industriel, a reconnu Yves Veyrier de son côté. La CGT - Force
ouvrière qu’il préside est d’ailleurs très inquiète concernant le secteur de
l’aérien et de l’aéronautique. Les salariés sont au chômage partiel depuis
plusieurs mois déjà. L’impact de la crise se fait sentir à la fois sur le
pouvoir d’achat, mais aussi psychologiquement, car beaucoup d’entre eux
s’interrogent sur leur avenir.
Pour le syndicaliste, il faut en tout cas que le plan de relance
s’appuie sur une revalorisation, une reconsidération de tous ces emplois
(services à la personne) dont on s’est rendu compte, pendant la crise, qu’ils
étaient essentiels. « Ces emplois
sont souvent en bas de l’échelle en termes de salaires, de situation précaire.
Il faut revoir notre regard complet pour en faire des emplois attractifs et non
pas des emplois qu’on fait par défaut » a-t-il fortement insisté.
De nouveaux moyens pour la justice ?
Xavier Autain s’est ensuite interrogé sur les moyens alloués à la
justice durant cette période, mais aussi dans l’avenir tout court.
Rappelons-le, le 29 septembre dernier, le ministre de la Justice, éric
Dupond-Moretti, l’a assuré : hors plan de relance, pas moins de 8,2 milliards d’euros seront investis dans la justice pour lui donner les
moyens d’agir. Soit une augmentation de 8 % du budget de la
justice. Mais ce n’est que « sur le
papier » a précisé Maître Autain, car si on examine la loi de programmation
2018-2022 et de réforme pour la justice, le budget n’augmente en réalité que de
2,5 %. « Un effort louable, mais
insuffisant », a-t-il déclaré.
Malgré le déficit qui se creuse avec les besoins de
financement de l’économie, « peut-on
espérer que la justice soit mise au niveau des autres pays européens ? » a insisté
Xavier Autain auprès de Philippe Bas, qui a mené une mission sur le
redressement de la justice en juillet 2016.
Le sénateur des Républicains de la Manche a raconté :
avant l’élection présidentielle de 2017, le Parlement s’est plongé une année
entière dans les tribunaux, les prisons, les écoles de formation. Cette
immersion leur a permis de prendre la mesure de l’état de vétusté du système
judiciaire français, sur les plans matériels, de gestion, des ressources
humaines, et ce dans tous les corps professionnels de la justice. « Nous avons une justice dont il n’est pas
exagéré de dire que c’est une justice sinistrée qui n’est pas à la hauteur de
ce qu’on doit attendre d’une grande démocratie moderne », a-t-il dénoncé.
Dans so n rapport « Cinq
ans pour sauver la justice ! », le groupe qu’il dirigeait avait recommandé
– sur le modèle de la loi de programmation de la justice adoptée en 2002?– la
mise en place d’un plan quinquennal pour que la justice rattrape son retard.
La mission préconisait en échange de cet effort de la
nation que la justice se réforme de son côté « profondément et courageusement ».
En 2017, la loi de programmation pour la justice présentée par le
gouvernement n’a pas, selon le sénateur, pris en compte leurs recommandations.
Le groupe Républicain au Sénat n’a donc pas voté pour la loi de programmation
2017-2022, car celle-ci leur semblait insuffisante au regard des besoins de la
justice. En outre, a ajouté Philippe Bas, cette loi n’a pas été correctement
appliquée si bien que, même si l’effort prévu était en soi
louable, « il n’est pas de nature à nous
faire changer d’époque pour la justice ».
À l’heure actuelle, a-t-il poursuivi, il faut rester
attentif à ce que les crédits publics versés pour faire face à la situation ne
fassent pas oublier l’urgence d’un certain nombre d’évolutions structurelles dans l’organisation
de la nation, comme celles de la justice notamment.
Un autre sujet inquiète également Xavier Autain : les difficultés
financières rencontrées par un certain nombre de citoyens à cause de la crise
vont forcément accroître les demandes d’aides juridictionnelles pour des
avocats qui ne seront pas mieux payés. « Quand
parviendra-t-on à une vraie réforme de l’aide juridictionnelle ? », s’est-il
vivement exprimé.
Pour Philippe Bas, ce système d’AJ est certes un problème
pour les avocats, mais c’est avant tout un problème pour les justiciables, « qui piétinent à la porte des Palais de
Justice en attendant qu’on réexamine leurs conditions de ressources qui ont
pourtant déjà été réexaminées pour l’attribution du RSA ».
Le sénateur regrette que la justice ne fasse pas davantage
confiance à la CAF et refasse le travail. « C’est
une perte d’énergie qui pourrait être consacrée à l’amélioration du
fonctionnement des tribunaux » a-t-il regretté.
Quant au financement de l’aide juridictionnelle, qui
pose aussi un vrai problème, Philippe Bas a rappelé que dans le rapport « Cinq ans pour
sauver la justice ! », son groupe de travail avait fait des propositions
concrètes. Ces solutions ne font certes pas l’unanimité, mais elles sont
pourtant, selon lui, tout à fait appropriées. Il a ainsi cité le rétablissement
du droit de timbre qui représente, pour lui, une ressource pécuniaire
intéressante (NDLR :
avant le 1er janvier 2014, le justiciable devait s’acquitter d’une contribution de
35 euros, appelée timbre fiscal, afin de pouvoir saisir la justice en
première instance). Autre option :
mobiliser plus efficacement des dispositifs assurantiels.
« Ces deux pistes méritent d’être améliorées. Mais l’abstention des
gouvernements successifs de toute initiative dans ce domaine contribue à faire
de notre justice une justice déshéritée » a-t-il déploré.
Il reste que pour l’avocat Xavier Autain, il faudrait
peut-être davantage repenser l’aide juridictionnelle en termes d’accès au
droit, et réfléchir sur les moyens de permettre cet accès à tous les citoyens.
« L’aide juridictionnelle est aujourd’hui
réservée aux plus pauvres, aux plus démunis alors que toute une classe moyenne
n’a pas accès au droit » a-t-il souligné.
Le sénateur des Républicains de la Manche a opiné. Pour lui en effet, le service
public de la justice – comme le service public hospitalier – a une dimension
sociale extrêmement forte. Or, à son avis, on ne s’intéresse qu’au
pénal. « Mais ce qui encombre les
tribunaux, ce sont surtout des questions d’affaires familiales, comme la garde
des enfants, les contentieux du loyer » a-t-il affirmé… Par conséquent, si
on ne résout pas la question de l’accès au droit, alors « c’est qu’on n’a rien compris ».
Même son de cloche du côté d’Yves Veyrier. Pour lui, il faut cesser de
voir le service public en général comme une dépense : « Depuis des
années, on ne parle plus qu’en termes de dépenses publiques en oubliant que le
service public, c’est l’accès au droit, à la santé… »
Concernant en particulier le système hospitalier, pour le président de
la CGT - FO, l’urgence n’a pas été anticipée, si bien que « ce que va
coûter la crise sanitaire sera beaucoup plus coûteux que si
on avait évité, par exemple, de supprimer des lits, du personnel… pour faire
des économies ». Cela vaut également pour la
justice.

Christiane Féral-Schuhl
La matinée s’est achevée sur le discours de Christiane Féral-Schuhl,
présidente du CNB, dans un contexte particulièrement dramatique. Celle-ci
venait d’apprendre l’attentat terroriste de Nice et a donc demandé d’observer
une minute de silence avant d’entamer son allocution. Un discours pour le moins
alarmiste. « Cette pandémie a fait
vaciller notre pays, a fait
vaciller la justice, a fait vaciller toute notre profession » a-t-elle
notamment déclaré. Le premier confinement a été, selon elle, désastreux pour la
justice. « La
profession ne survivra pas à un deuxième arrêt, même partiel, des juridictions,
au civil comme au pénal » a-t-elle assuré.
Avec colère, celle-ci a dénoncé les réformes que
décident unilatéralement les gouvernements successifs et que les avocats ne
veulent plus financer. « Nous attendons,
avec l’arrivée du nouveau garde des Sceaux, un changement de méthode. » Un
espoir qui restera un vœu pieux ?
Maria-Angélica
Bailly