1,153 milliard
d’euros. C’est la somme que le groupe espagnol Mediapro, détenu par
un fond chinois, déboursera chaque année pour avoir raflé la mise des droits
télévisuels de la Ligue 1 de
football français pour la période 2020-24, contre 762 millions
d’euros pour la période précédente. Le 30 mai 2018, Canal+,
le diffuseur historique des matchs premium du championnat français, est évincé,
et le titre de Vivendi, la maison mère de la chaîne, accuse au passage une
baisse de 3,64 % à la clôture de la bourse. Après avoir
perdu successivement la Ligue des champions et le championnat anglais, c’est un
coup dur pour la chaîne cryptée à qui les analystes prédisent une perte de la
moitié de ses abonnés en France en 2020 et 2021.
La diffusion
de sport à la télévision s’inscrit dans un cercle vertueux. La télévision apporte
une contribution financière via les droits sportifs télévisuels et offre une
fenêtre d’exposition au sport, et le sport permet aux chaînes de télévision de
réaliser leurs plus fortes audiences. Hausse des licenciés,
professionnalisation, création d’infrastructures par les collectivités, mais
aussi émergence de nouvelles générations de
journalistes et consultants sportifs formés à la convergence des médias et du
sport, le
retentissement télévisuel des grands événements sportifs impacte la pratique de
certaines disciplines et son écosystème médiatique. (1) Entre 2000 et 2016, le volume horaire de
programmes sportifs a été multiplié par quatre. Sur 211 000 heures de
programmes sportifs diffusés en 2016, environ 95 % concernent les chaînes
payantes (2) et 75 %
des heures de retransmissions sportives se sont concentrées sur
neuf disciplines dominantes : le football (21 %), les sports
mécaniques, le cyclisme, le basket-ball, le rugby, le tennis, l’athlétisme, la
boxe et le ski. La liste des vingt-cinq plus fortes audiences mesurées depuis la création de Médiamat (3), en 1989, comporte
vingt-trois retransmissions sportives, vingt et une étant liées au
football et deux au rugby. Le record d’audience pour une chaîne est détenu pour
la demi-finale de la Coupe du monde 2006 France-Portugal (22,2 millions de téléspectateurs sur TF1),
mais le record absolu de suivi à la télévision est, en réalité, celui de la
finale France-Brésil de la Coupe du monde 1998, suivie par
23,7 millions de téléspectateurs sur deux chaînes, 20,6 sur TF1 et 3,1 sur Canal+. Les chiffres donnent
le vertige. Le marché de l’acquisition des droits des compétitions sportives
prestigieuses est un marché sous tension, qui n’est donc pas près de refluer.
Les droits
audiovisuels couvrent, en vertu de l’article 2 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication audiovisuelle, toute diffusion télévisée, radiophonique, par
Internet, téléphonie mobile et sur supports fixes. L’exploitation audiovisuelle
des événements sportifs est encadrée par la loi no 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la
promotion des activités physiques et sportives (4). L’analyse des droits
d’exploitation audiovisuelle des événements sportifs implique d’identifier
leurs titulaires (I) pour comprendre le cadre juridique de leur
commercialisation (II).
Les titulaires des droits
d’exploitation des événements sportifs
L’article L. 331-1du Code du sport prévoit que les
droits d’exploitation des compétitions sportives appartient aux fédérations
sportives, qui ont reçu délégation du ministère chargé des Sports pour les
organiser, et aux organisateurs de manifestations sportives.
Les
fédérations sportives sont constituées conformément à la loi du 1er juillet
1901.
Elles rassemblent les groupements sportifs et les licenciés qui leurs sont
affiliés, dans le but d’organiser la pratique d’un sport. Les organisateurs de manifestations
sportives sont définis à l’article L. 331-5 du Code du sport, comme toute
personne physique ou morale de droit privé, autre que les fédérations
sportives, organisant une manifestation ouverte aux licenciés d’une discipline
qui donne lieu à remise de prix en argent ou en nature dont le montant est
plafonné. Les fédérations doivent impérativement donner leur autorisation préalable à
l’organisation d’une manifestation sportive, l’organisateur n’étant donc pas
indépendant. L’organisation d’une manifestation sportive requiert de lourds
investissements financiers et humains.
La jurisprudence estime que les organisateurs doivent en percevoir les fruits
et retient, en conséquence, que la propriété des droits d’exploitation d’une
manifestation sportive doit être reconnue comme un véritable monopole (5). Ce
monopole couvre donc les droits de retransmission audiovisuelle de ces
manifestations.
Les fédérations sportives peuvent créer une ligue professionnelle pour
représenter, gérer et coordonner les activités sportives à caractère
professionnel des associations qui leur sont affiliées et des sociétés sportives
(article L. 132-1 du Code du sport). Les
clubs sportifs dépendent fréquemment d’une ligue professionnelle.
L’article 1.331-1, alinéa 2, du Code du sport offre aux fédérations
sportives la faculté de leur céder gratuitement tout ou partie des droits d’exploitation
audiovisuelle des compétitions ou manifestations organisées par la ligue
professionnelle, dès lors que les clubs y participent. Les clubs ont hâtivement
perçu dans cette disposition la possibilité de tirer des revenus importants,
l’exploitation audiovisuelle de certains événements et, face aux
immobilisations incorporelles, accroître leurs actifs. Or, la réalité de la
propriété des clubs sur les droits d’exploitation acquis des fédérations se
pose (6). En effet, l’article L. 333-2 du Code du sport prévoit que les droits d’exploitation cédés aux clubs
sont commercialisés par la ligue professionnelle. Elle est chargée de la
commercialisation et de la répartition des droits d’exploitation entre les
clubs selon des critères prenant notamment en compte leur notoriété et leurs
performances sportives (article L. 333-3 du Code du sport). En pratique, cette exploitation indirecte ne permet pas
aux clubs d’en tirer des fruits substantiels. En 2005, la Commission nationale
de la comptabilité a d’ailleurs estimé que les clubs n’étant pas habilités à
commercialiser ces droits, ils devaient limiter la valorisation des droits
d’exploitation audiovisuelle au titre de leurs actifs à un euro symbolique (7).
La commercialisation des droits
audiovisuels des événements sportifs
La
définition des marchés, la structure de l’offre et de la demande et l’attrait
de la retransmission en direct d’un événement sportif alimentent la concurrence
pour l’acquisition des droits audiovisuels. Les produits ou services offerts
sur un même marché sont en théorie parfaitement substituables les uns aux
autres afin de permettre aux consommateurs d’arbitrer. Ce constat implique une
mise en concurrence par les prix. La définition d’un marché est classiquement
réalisée en distinguant, tout d’abord, le marché de produits ou services
pertinent, puis en définissant sa dimension géographique.
Cette
définition est particulièrement complexe s’agissant des droits de
retransmission des événements sportifs, d’autant plus que les développements
technologiques constants entraînent une évolution rapide des médias. La
Commission européenne et le Conseil de la concurrence ont segmenté le marché
principal de l’acquisition de programmes audiovisuels. Les marchés de produits
en amont pour l’acquisition des droits d’exploitation audiovisuelle de
manifestations sportives sont identifiés selon des critères spécifiques tels
que l’image de marque, la capacité à attirer un public particulier, les revenus
publicitaires.
En 1996, la
Commission européenne identifie pour la première fois, dans une affaire Bertelsmann,
des marchés distincts pour les droits de diffusion de manifestations sportives
(8).
Les marchés
des droits sur certaines grandes compétitions sportives sont segmentés en
France en fonction du déroulement à intervalle plus ou moins réguliers de ces
compétitions. Ils sont autonomes les uns par rapport aux autres. Les principaux
marchés de produits en aval, identifiés par les autorités nationale et
communautaire de la concurrence, sont ceux de la télévision payante, de la télévision
gratuite, les services de contenu fournis par Internet et la téléphonie mobile.
L’existence de marchés distincts pour la télévision payante et la télévision
gratuite s’explique par des développements technologiques et un degré limité de
substituabilité. Cette conclusion repose principalement sur les différentes
conditions de concurrence, le prix des services et les caractéristiques des
deux types de télévision. II existe des marchés en aval distincts pour les
services de contenu sportif à la demande fournis par Internet ou par des
dispositifs mobiles sans fil.
Bien que la cession des droits des événements sportifs soit susceptible
de couvrir des zones géographiques suffisamment larges pour englober plusieurs
pays de I’Union européenne, les autorités de la concurrence relèvent que les
achats de droits se font pays par pays. Les autorités de la concurrence fixent
donc des limites géographiques nationales aux marchés et surveillent la
formation d’ententes, concentrations et abus de position dominante. À plusieurs
reprises, la Commission européenne a ainsi été saisie d’opérations de
concentration ou de rapprochement entre diffuseurs sur un même territoire ou
sur des territoires différents, dont l’objet était la mise en place de
mécanismes d’acquisition des droits de retransmission de manifestations
sportives. À cet égard,
la Commission s’est prononcée sur la légalité d’opérations d’acquisition
collective de droits audiovisuels sportifs cédés de manière centralisée.
L’Autorité de la concurrence et les juridictions nationales se sont elles aussi
penchées sur la question. L’analyse de leurs décisions permet de dégager les
grandes lignes des accords restrictifs de concurrence. Des accords d’achat
collectif sont parfois envisagés pour faire face aux prix élevés des droits
audiovisuels, auxquels la Commission européenne s’est montrée très attentive
car elles pourraient aboutir à fermer l’accès du marché concerné. Les membres
de l’Union européenne de radiodiffusion (UER) (9) participent à un système d’échange de programmes télévisés, dit « Eurovision »,
qui leur permet un accès réciproque à des retransmissions sportives. Dans le
cadre de ce système, les membres de l’UER mutualisent leurs ressources pour
renforcer leur capacité d’acquisition des droits exclusifs de retransmission.
Ce système garantit aux radiodiffuseurs de petits pays l’accès à des événements
auxquels le coût ne leur permettrait pas de prétendre. Les effets de l’achat
collectif de droits sur la concurrence, par le biais du système Eurovision, ont
été examinés par la Commission (10) et par le
tribunal de I’Union européenne (11).
La Commission a considéré que le système en vigueur restreignait la
concurrence entre les membres et a accordé des exemptions. À chaque fois, le
tribunal a annulé les décisions de la Commission, considérant que les
concurrents des membres de l’UER ne bénéficiaient pas d’un accès suffisant aux
droits de retransmission qu’ils détenaient.
La cession centralisée ou collective correspond à une cession centralisée
des droits d’exploitation audiovisuelle que les fédérations ou ligues
professionnelles détiennent sur leurs compétitions. II s’agit d’un accord
horizontal qui permet de constituer une entente sur le prix, appliqué
collectivement à tous les droits, et sur les conditions commerciales.
Cette exploitation centralisée est pratiquée dans la majorité des États
membres. La Commission européenne a été amenée à se prononcer sur des
opérations de concentration en matière audiovisuelle dans trois affaires
majeures. Elles concernent la cession collective des droits de diffusion des
matchs de foot de la Ligue des champions, du championnat allemand et du
championnat britannique. La Commission considère que l’exclusivité des droits
sportifs cédés collectivement restreint la concurrence. Afin d’y remédier, elle
détermine, dans chacun de ces cas, les conditions susceptibles de valider une
cession centralisée. La Commission conditionne ainsi la validité des
trois marchés en cause à un appel d’offres objectif et non
discriminatoire, la conclusion de contrats de cession de droits d’une durée
maximum de trois années, la décomposition des droits (télévisés,
radiophoniques, Internet, etc.), la constitution de lots de droits vendus
séparément, et la possibilité pour les clubs de commercialiser individuellement
une partie de ces droits. La Commission approuve la cession centralisée des
droits d’exploitation audiovisuelle de compétitions de football, sous réserve
des conditions qu’elle a posées, en raison du profit que les consommateurs en
tirent directement grâce à une meilleure distribution des droits et à un
accroissement de la couverture des événements.
Le dispositif normatif français obéit aux règles du droit commun de la
concurrence. Il s’applique dès lors qu’une fédération ne cède pas aux sociétés
sportives les droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions et
manifestations organisées par la ligue professionnelle. La solution est
identique pour les droits des compétitions organisées sous la seule
responsabilité des fédérations ou les organisateurs privés mentionnés à
l’article L. 3315 du Code du
sport. (12)
L’éparpillement
de l’offre sportive combiné au développement des nouvelles pratiques de
consommation hors écran traditionnel de télévision à travers avers les plateformes de
streaming devrait
rabattre les cartes dans les années à venir. Tout le monde s’accorde sur le
fait que les droits du football ne sont plus seulement une affaire de chaînes
payantes. Remis en jeu après 2020, beaucoup s’attendent à ce que les droits
audiovisuels de la Ligue 1attirent les chaînes, mais aussi les opérateurs télécoms, les Gafa
et les géants américains de l’Internet. À l’exemple des Etats-Unis, où les offres de sport en streaming sont encore minoritaires, les
modèles pourraient très vite évoluer pour offrir aux déçus des chaînes
payantes, qui n’hésitent pas à résilier leur abonnement en masse, de nouvelles
alternatives.
1) Le
sport à la télévision en France : pour l’accès du plus grand nombre, pour
la diversité des pratiques et des disciplines exposées, David Assouline,
rapport à l’attention du Premier ministre, sept. 2016.
2) Sports et
télévision – contributions croisées ; CSA, juin 2017.
3) Médiamat
est la mesure d’audience de la télévision en France.
4) Le texte
a notamment été modifié par la loi n° 92-652 u 13 juillet 1992.
5) Cour
d’appel de Paris, 4e chambre, 28 mars 2001, Sté Gemka
Production SA c/ Sté Tour de France SA et Sté Amaury SPOH Organisation ;
Cour de cassation, chambre commerciale, 17 mars 2004, n° 02-12771.
6) Rizzo.F,
Régime juridique des événements sportifs, J-Cl. Communication, fasc. 4125,
p. 4.
7)
Commission nationale de la comptabilité, avis n° 2005-01, 24 mars
2005.
8)
Commission européenne, 7 octobre 1996, affaire monsieur 779 ertelsmann/CLT, para. 19 ; Voir en ce
sens, Commission européenne, 3 mars 1999, affaire 36237 TPS+7, paragraphe 34.
9) L’UER est
une association professionnelle de radiodiffuseurs nationaux essentiellement
basés en Europe, relevant pour la plupart du secteur public.
10)
Commission européenne, 11 juin 1993, affaire 32150 EBU/Eurovision System ; Commission
européenne, 10 mai 2000, affaire 32150 Eurovision.
11) Tribunal
de première instance des Communautés européennes, affaire T528/93 Eurovision I et affaire T. 185/00 etc Eurovision Il.
12) Si une
fédération opte pour le transfert aux clubs professionnels des droits
d’exploitation audiovisuelle des manifestations ou compétitions sportives, leur
commercialisation incombe à la ligue professionnelle.
Carine
Piccio,
Associée,
Aston