Jean
Castelain, président du Cercle, et Danielle Monteaux, déléguée générale, ont
accueilli Augustin de Romanet, PDG du groupe Aéroport de Paris (ADP). Le
dirigeant nous détaille son secteur d’activité.
Les aéroports
apportent une notion relativement récente. Ils sont nés avec le transport
aérien de masse qui remonte aux années 60. À
cette époque, 100 millions de passagers empruntaient l’avion ; en 2019,
ils étaient quatre milliards et demi, et les projections les estimaient à neuf
milliards en 2040 (soit une multiplication par 90 en 80 ans). Tous les ans, l’aéroport
Charles de Gaulle accueille environ quatre millions de passagers
supplémentaires, et tous les deux ans, il faut construire l’équivalent du terminal de Marseille. Dans le
monde entier, le secteur est tiré par les classes moyennes. Parmi les objectifs
élémentaires humains viennent, par ordre, se nourrir, se loger, se blanchir et
ensuite, lorsque ces besoins primaires sont satisfaits, voyager. C’est
pourquoi, dans les pays émergents, la croissance de l’aérien était, jusqu’à la
pandémie, de l’ordre de 7 à 8 %. En Inde, un individu voyage en moyenne
28 fois moins
qu’aux États-Unis. Jusqu’à la crise de la Covid, l’ascension était telle que
les compagnies aériennes, et plus encore les constructeurs d’avion, ne se
souciaient pas vraiment du marché.
L’univers des aéroports est lié à la géographie. 80 % du trafic aérien dans le monde passe par
25 grands hubs : Pékin, New York, Amsterdam, Francfort… et les états ont très vite compris que comme
les ports antiques, tout comme les gares au 19e siècle, les aéroports sont des signes actuels de puissance. C’est la
raison pour laquelle des pays comme les Émirats ont beaucoup
investi dans les infrastructures aéroportuaires.
La compagnie Emirates représente à elle seule 27 % du
PIB de son pays. Les Émirats ou les Pays-Bas font de leurs plateformes des
instruments de pouvoir. Ce sont des lieux de connectivité et donc de prospérité.
À Paris, 165 compagnies assurent la liaison directe avec 320 villes. Les études
ont montré qu’une connectivité entre deux villes apporte mécaniquement une augmentation
du PIB de chacune d’elles. La connexion entre Londres et l’Indonésie a provoqué
un gain récurrent chiffré à 300 millions de livres pour la Grande-Bretagne.
Les aéroports reflètent la mondialisation. Ils ont évolué assez vite en
Europe et en Asie. Aux États-Unis, situation atypique, ils sont propriété
publique (hormis deux exceptions). Le développement du marché s’est accompagné
d’une compétition intense entre les hubs dans les années 80/90. Les pays du
Golfe (Dubaï, Abu Dhabi, Qatar, Oman) ont drainé 80 % de la progression du trafic entre
l’Europe et l’Asie. Désormais, pour se rendre en Asie, il est beaucoup plus
commode, éventuellement moins cher, de passer par le Golfe. Cette forte
captation du marché a laissé envisager un temps la mort des compagnies
aériennes historique (British Airways, Lufthansa, Air France). La modernisation
des aéroports leur a permis de résister. Charles de Gaulle dispose de la
deuxième meilleure connectivité en Europe et se mesure à Amsterdam ou Londres.
Aujourd’hui, un Bulgare, un Letton, un Slovène ne peut pas prendre l’avion pour
l’Afrique sans passer par Paris. Depuis Londres, il n’existe pas non plus de
liaison directe avec Santiago du Chili, il faut transiter par la capitale
française. La multitude des liaisons de Paris est un atout considérable.

Jean
Castelain, Danielle Monteaux, Augustin de Romanet et Didier Kling
En tant que monopole national, ADP n’est pas libre de fixer ses tarifs de
redevances aéronautiques. Ils sont décidés par l’État. Une loi de 2005 dispose
que l’aéroport doit avoir une rentabilité des capitaux engagés égale au coût
moyen pondéré du capital.
ADP a fait
évoluer sa culture interne. Autrefois, la compagnie aérienne était le client,
pas le passager. Il fallait fournir à la compagnie un poste contact, des
passerelles, des bus, etc. En arrivant à la tête du groupe en 2012, Augustin de
Romanet a le sentiment net que personne ne s’occupe du passager final. Il
s’ingénie dès lors à faire admettre à tous que le client, c’est le voyageur.
Faire passer l’intérêt du voyageur en premier impliquait un changement de
culture, c’est-à-dire se soucier des temps d’attente, de la propreté des
sanitaires,
bref des mêmes détails que dans une chaîne hôtelière. Pour le dirigeant, le bon
projet consiste à instaurer avec les aéroports acquis à l’étranger un principe
de chaine hôtelière. L’objectif
est de créer une chaine d’aéroports attractifs dont la marque soit parfaitement
identifiée par le public, de façon à ce que, lorsqu’il a le choix, le
consommateur donne sa préférence à ADP. Précisons qu’un client passe plus de
temps dans les services communs d’un terminal que dans ceux d’un hôtel, où
seule la nuitée l’intéresse en général. Les aéroports privés ont acquis un fort
sens du service. 50 % des revenus y proviennent du duty free. À
Paris -Charles-de-Gaulle,
le voyageur accède en un seul lieu à l’intégralité des marques de luxe
disséminées dans le Monde. Avant la crise, les aéroports connaissaient une
croissance forte et profitaient d’une visibilité claire à long terme. Ce temps
semble révolu.
C2M