ENTREPRISE

Un index de l’égalité professionnelle « pas très coercitif »

Un index de l’égalité professionnelle « pas très coercitif »
Publié le 27/02/2023 à 18:11

Alors que les entreprises sont sommées de publier leur index de l’égalité professionnelle, Delphine Monnier, avocate, affirme que ce dispositif, important dans sa symbolique, relève davantage de l’accompagnement que de la sanction, et contient plusieurs écueils.

Plus que deux jours pour les entreprises qui doivent publier leur index de l’égalité professionnelle ! Selon ce dispositif instauré en 2019 afin de lutter contre les disparités salariales entre les femmes et les hommes, les sociétés de plus de 50 salariés doivent en effet calculer leur note en la matière à l’aide d’un simulateur dédié, la déclarer en ligne à l’inspection du travail et la publier sur leur site internet au plus tard le 1er mars.

Evalué sur 100 points, il s’appuie sur quatre critères : l’écart de rémunération femmes/hommes, l’écart de taux d'augmentations individuelles, le nombre de salariées augmentées à la suite de leur congé maternité, et la parité parmi les 10 plus hautes rémunérations. Pour les entreprises de plus de 250 salariés, on ajoute un cinquième critère : l’écart de taux de promotions.

En cas d’index inférieur à 85 points, les entreprises doivent fixer puis publier des objectifs de progression de chacun des indicateurs. En-dessous de 75 points, elles ont en revanche trois ans pour se mettre en conformité, et à expiration, si la note minimale n'a toujours pas été atteinte, l'employeur peut se voir appliquer une pénalité financière dont le montant peut atteindre au maximum 1 % de la masse salariale. De même en cas de non publication de l’index.

Un index « pour accompagner » les entreprises plutôt que pour les sanctionner

Toutefois, précise Delphine Monnier, avocate au cabinet Cornet Vincent Ségurel, « ces sanctions sont pour l’instant extrêmement rares du fait du laps de temps laissé aux entreprises. D’autant qu’il est également prévu avant application de la sanction que l’inspection du travail mette en demeure l’entreprise de publier son index dans le mois qui suit ». En somme, rien de « très coercitif », admet-elle. « Pour la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, l’idée était surtout d’accompagner les entreprises. D’ailleurs, cela va dans le sens des outils prévus ».


Si l’avocate doute que l’inspection du travail durcisse les sanctions dans les années à venir, elle prédit néanmoins que l’index pourrait être exploité de façon croissante dans les contentieux individuels. « Une femme pourrait par exemple exploiter cet index en se plaignant d’avoir subi une discrimination, au sens de l’article L.1132-1 du Code du travail, corroborée par la faiblesse des résultats de l’index dans son entreprise », explique-t-elle. Une série de dossiers individuels de ce type pourrait de cette façon encourager les entreprises à rectifier le tir, d’autant plus dans le cadre d’actions collectives de plusieurs salariées sous-payées pendant plusieurs années.

Pour Delphine Monnier, l’index participe par ailleurs de la marque employeur, et les entreprises seraient imprudentes de ne pas y prêter attention, surtout dans le contexte actuel où elles ont du mal à recruter. Si sous l’angle juridique, la faiblesse du dispositif est peu sanctionnée, cette dernière peut avoir beaucoup d’impacts indirects, car « les candidats vont préférer une entreprise plutôt qu’une autre en fonction de leur note. Surtout chez la jeune génération, c’est un élément qui peut faire la différence ».

Des écarts importants dans les secteurs genrés

En dépit (ou du fait) de la tolérance en vigueur, chaque année, les résultats de l’index progressent doucement. L’an dernier, la note moyenne a ainsi évolué d’un point par rapport à 2021 pour s’établir à 86/100. Toutefois, seules 2% des entreprises ont obtenu la note de 100/100. Cela est principalement dû au fait que seuls deux critères sur cinq sont en progression : le retour de congé (les salariées sont augmentées à la suite de leur congé maternité, critère corrigé « dans des proportions importantes », affirme Delphine Monnier), et la parité dans les 10 meilleures rémunérations : sur ce point, 27% des entreprises sont parvenues à une note de 10/10.

En revanche, l’écart de taux d’augmentations individuelles, l’écart de taux de promotion et l’écart de rémunérations femmes/hommes sur un même emploi ont du mal à se résorber. En cause, notamment : le fait que certains secteurs soient très genrés. « L’un des écueils de l’index, c’est qu’il y a des entreprises où l’on ne progresse pas sur les écarts car il n’y a pas de parité hommes/femmes sur le terrain. Par exemple, les entreprises dans l’industrie ont peu d’ouvrières de production, tandis que dans le secteur sanitaire et social, on va souvent avoir plus de femmes », observe Delphine Monnier. « Il y a donc beaucoup d’entreprises pour lesquelles le dispositif n’a pas d’intérêt : certains secteurs y échappent complètement en raison de leur activité », résume l’avocate, qui estime que les limites de la comparaison s’imposent d’elles-mêmes et qu’il serait pertinent d’ajouter à l’index un critère sur la parité.

La durée du travail passée à la trappe

Autre biais notable, selon Delphine Monnier : l’index ne prend pas en compte la durée du travail. Or, statistiquement, en France, les temps partiels concernent en grande majorité les femmes. « Culturellement, car on estime que c’est souvent à elle de le faire, une femme, quand elle devient mère, affiche souvent une période de temps partiel dans sa carrière, car jusqu’aux trois ans de l’enfant, elle a légalement le droit d’y avoir recours dans le cadre du congé parental d’éducation », rappelle Delphine Monnier. Et bien que le dispositif ait prévu le critère de l’augmentation des femmes revenant de leur congé maternité, la même chose n’a pas été prévue au retour du congé parental.

L’avocate souligne que dans les années 70, alors que les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail, personne ne les a remplacées à la maison. Selon elle, encore aujourd’hui, cela peut en conduire certaines à ne pas vouloir se positionner sur des promotions par peur de ne pas réussir à jongler entre vie personnelle et vie professionnelle. « Pour progresser, il aurait pu être intéressant d’inciter les entreprises à mettre en place plus de moyens sur les gardes d’enfants, car on sait qu’elles ont la possibilité d’abonder dans des crèches privées », propose-t-elle.

Bref, pour Delphine Monnier, si l’intention de l’index était bonne, et que, dans l’ensemble, ce dernier affiche des résultats plutôt bons, ces derniers ne sont cependant pas tout à fait fidèles à la réalité du terrain.

 

Bérengère Margaritelli

 

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