INTERVIEW.
Victor Rudebeck dirige les activités Forensics chez Control Risks en France et
en Espagne. Il se spécialise dans la réalisation d’enquêtes complexes
impliquant des allégations de fraude, de corruption et autres crimes
financiers. Il a accompagné des entreprises et organisations internationales
dans la révision de leurs programmes de compliance conformément aux pratiques
internationales et aux réglementations telles que la méthodologie de
gouvernance d'entreprise de l'IFC, la législation française anti-corruption
Sapin II et le Code pénal espagnol.
Dans le
contexte géopolitique actuel marqué par des tensions, la réalisation d’enquêtes
internes dans des pays dits sensibles devient un défi croissant pour les
entreprises opérant à l’international. Victor Rudebeck, directeur responsable
du practice Forensics pour le cabinet Control Risks en France, nous parle de
ses expériences et délivre quelques conseils.
JSS : Pour les
entreprises, la réalisation d’enquêtes internes à l’international semble
devenir toujours plus compliquée. Pourquoi ?
Victor Rudebeck :
La multiplication des restrictions réglementaires, le durcissement des
contrôles étatiques, ainsi qu’un climat de méfiance généralisée vis-à-vis des
acteurs étrangers compliquent considérablement la conduite d’investigations
internes impartiales et efficaces.
Ce repli
protectionniste freine l’accès aux données, limite les échanges avec les
partenaires locaux, et expose parfois les équipes chargées de l’enquête à des
risques juridiques ou personnels.
Face à
ces obstacles, les entreprises doivent adapter leurs stratégies d’enquête,
renforcer leur connaissance des législations locales, et développer des
partenariats de confiance sur le terrain, tout en veillant à préserver
l’intégrité et la confidentialité de leurs processus internes.
JSS : Quelles
sont les principales difficultés liées à la réalisation d’enquêtes internes dans
les pays sensibles ?
V. R : La
conduite d’enquêtes internes dans des pays sensibles s’accompagne de nombreux
défis, à la fois juridiques, opérationnels et culturels. Le premier obstacle
réside souvent dans la complexité réglementaire locale : les législations sur
la protection des données, la confidentialité des échanges ou encore la
coopération avec des entités étrangères peuvent considérablement limiter la
portée des investigations.
S’ajoutent
à cela les différences culturelles et la pression politique ambiante qui
peuvent influencer la manière dont les faits sont rapportés ou perçus. Dans ce
contexte, les entreprises doivent faire preuve d’une vigilance accrue,
s’appuyer sur des relais locaux fiables, et adapter leurs méthodes
d’investigation pour garantir à la fois la conformité légale et l’intégrité du
processus.

Victor Rudebeck. (D.R.)
Enfin,
il convient de souligner les problèmes d’accès à l’information, dus à une
faible transparence, une méfiance vis-à-vis des structures internationales, ou
encore à des restrictions imposées par les autorités locales. Dans certains
cas, les enquêteurs eux-mêmes peuvent être exposés à des risques personnels,
allant de l’intimidation à des menaces plus directes.
Control
Risks est récemment intervenu pour mener une enquête interne dans un pays à
haut risque, portant sur des allégations de corruption et de conflits
d’intérêts visant un cadre dirigeant. L’enquête a soulevé plusieurs
préoccupations en matière de sécurité, tant pour les témoins coopérant à
l’investigation que pour nos propres consultants, en raison des conditions de
sécurité locales et de la position d’influence du cadre concerné au sein de la
communauté locale.
JSS : Quelle
est l’approche de Control Risks pour ce type de mission ?
V. R : Control
Risks s’appuie dans le domaine des investigations complexes sur son expérience
et ses moyens d’analyse des contextes géopolitiques et sécuritaires.
Les
équipes d’investigation, composées de professionnels issus de 40 bureaux à
travers le monde, opèrent en synergie sur plusieurs continents. Grâce à leur
présence terrain notamment en Afrique et en Amérique Latine, nous sommes en
mesure d’intervenir rapidement, avec une parfaite compréhension des contextes
locaux, qu’ils soient juridiques, culturels ou politiques.
Chaque
mission s’opère avec une combinaison de leviers complémentaires, tels que la
réalisation d’entretiens sur place, menés dans la langue régionale, ou encore
des capacités éprouvées en eDiscovery, forensic accounting et intelligence
économique.
Cette
approche multidimensionnelle garantit des enquêtes rigoureuses, discrètes et
adaptées aux réalités de la zone, tout en répondant aux standards les plus
exigeants en matière de conformité et de gouvernance.
JSS : Quels
conseils clé donneriez-vous à un directeur juridique ou un responsable
compliance qui cherche à effectuer une investigation interne dans un pays à haut
risque ?
V. R : Mener
une enquête interne dans un pays à haut risque exige une préparation
rigoureuse, une bonne connaissance du terrain et une gestion fine des dangers
opérationnels, juridiques et humains.
Dans ce
contexte, il est essentiel de s’entourer d’experts disposant d’une expérience
concrète des environnements sensibles. Une équipe d’investigation aguerrie,
capable d’intervenir sur place, dans la langue et la culture du pays concerné,
constitue un véritable atout.
Ensuite,
il faut maîtriser le cadre légal de la région. Avant toute intervention, il est
indispensable de comprendre les législations du pays en matière de protection
des données, de droits du travail, et d’investigations internes. Le non-respect
de ces règles peut compromettre l’enquête, voire exposer l’entreprise à des
sanctions.
Enfin,
l’enquête doit être menée dans le strict respect de la confidentialité et de la
sécurité. Dans des contextes à haut risque, la protection des sources, la
sécurité des données et celle des équipes doivent être assurées à chaque étape.
Des dispositifs discrets et sécurisés doivent être mis en place pour limiter
toute fuite ou interférence.
En
résumé, une enquête réussie repose sur l’anticipation, l’adaptabilité et la
collaboration avec des partenaires de confiance, familiers des réalités du
terrain et des standards internationaux.
Propos recueillis par Édouard Shailend Leeleea,
Think tank « French Compliance Society »