Marie-Jo Zimmermann, femme politique et ancienne députée, revient
pour le JSS sur ses combats en faveur de l’égalité femmes-hommes et sur la genèse de la
loi Copé-Zimmermann pour une représentation équilibrée des femmes et des hommes
dans les CA. Dix ans après, les objectifs de la loi ont-ils été atteints ?
Quels progrès reste-t-il à faire ?
Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
J’ai été professeure d’histoire-géographie jusqu’à mon élection en 1998. Je suis ensuite restée députée pendant 20 ans. Entre 2002 et 2012, j’ai également été
présidente de la Délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale.
C’est à cette occasion que j’ai vraiment appréhendé la problématique de
l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette fonction m’a permis de passer
des amendements dans certaines lois comme les listes à la parité stricte en 2003.
Le fait d’avoir été à la Délégation des droits des femmes, et rapporteur général – grâce au président Chirac – de l’Observatoire de la
parité m’a permis de toucher à la fois la problématique de la parité en
politique et l’égalité professionnelle en entreprise. Dans ce domaine, j’ai
aussi essayé de faire bouger les lignes, notamment concernant la retraite des
femmes, en 2010.
En 1999, j’étais porte-parole de mon groupe – le RPR –, à Versailles, au
moment de la première réforme constitutionnelle relative à l’égalité entre les
femmes et les hommes, laquelle a modifié les articles 3 et 4. En 2008, j’ai
contribué à faire rajouter dans la réforme constitutionnelle, à l’article 1,
l’égal accès des femmes aux « responsabilités professionnelles et sociales ». C’est ce qui a permis ensuite de légiférer sur tout
ce qui est professionnel et social.
En tant que femme, avez-vous rencontré des obstacles
au cours de votre carrière ? Des propos sexistes ont-ils été tenus à votre
égard ?
En 1998, quand je me suis présentée aux élections, le fait d’être une
femme n’a pas été facile. Mais pour moi, ce ne sont pas les propos sexistes qui
sont les plus graves, à
la limite, on arrive à y
répondre. C’est la discrimination a à l’égard des femmes
en général, ce sont les attitudes et les blocages discriminants. Par exemple,
j’ai toujours essayé de défendre la compétence des femmes, car quand on met des
femmes dans un système, on pose toujours la question de sa compétence. On ne la
pose jamais quand il s’agit des hommes.
Je me souviens qu'à l’époque, la personne qui s’était présentée contre moi
avait rédigé un fax de 8 pages pour dire à quel point j’étais
incompétente ! Heureusement, je connaissais tous ces obstacles, j’ai donc
essayé, tant bien que mal, de les franchir et de toujours défendre la cause qui
était la mienne : la reconnaissance de la compétence des femmes.
Je me souviens aussi qu’entre 2008 et 2009, je discutais beaucoup avec le
ministre norvégien. Il m’avait dit : « Vous
verrez, quand on commencera à introduire les femmes dans des lieux de pouvoir, il y aura en
parallèle des formations qui vont se mettre en place ». Et c’est ce qui s’est passé ! On a estimé
que les femmes n’étaient pas assez formées, donc on les a formées. Aujourd’hui
on remarque cependant que les formations deviennent de plus en plus mixtes, car
les hommes se rendent compte que les formations sont tout à fait valables pour
eux.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de la loi Copé-Zimmermann ? Pourquoi avoir choisi d’agir au niveau des CA ? Quelles
difficultés avez-vous rencontrées lors de la mise en œuvre de cette loi ?
Il y a deux raisons pour lesquelles j’ai voulu légiférer. D’abord, parce
que les femmes compétentes
existent, il suffit de faire l’effort de les chercher. En légiférant, on force
à les chercher. Au début de la loi Copé-Zimmermann, les chasseurs de têtes me
disaient : « on ne trouve pas de femmes ! » Or, si, on les trouve ! On est parti de 10 % de femmes
dans les conseils d’administration et on arrive à 44 %. Comme par
hasard ! Deuxième raison : j’ai toujours souhaité qu’au sein des CA –
le cœur battant de l’entreprise – il y ait une mixité, car les questions et
décisions ne sont pas les mêmes en fonction de la composition du CA. De plus,
j’ai souhaité qu’une fois par an, dans chaque entreprise, un rapport sur la
politique d’égalité entre les femmes et les hommes soit remis au CA. Je voulais
qu’au niveau du CA on réalise que toutes les femmes de l’entreprise – et pas seulement celles aux postes de
direction – doivent être prises en considération pour l’évolution de leur
carrière.
“ Quand
une femme me dit aujourd’hui : « j’ai réussi grâce votre loi »,
je lui dis : «
Non. C’est grâce au fait que vous êtes compétente et qu’on vous a choisie. »”
Nous venons de fêter les 10 ans de cette loi,
ses objectifs ont-ils été atteints ? Qu’est-ce qui pourrait encore être
amélioré ?
Globalement, au niveau des statistiques chiffrées, on peut être satisfait. Mais concernant la suite,
c’est peut-être un peu plus aléatoire, car il n’y a absolument aucun contrôle.
Comme le suggère l’association des femmes expertes-comptables, il faut
compléter la loi Copé-Zimmermann en rajoutant un amendement pour rendre
obligatoire, pour toutes les entreprises, une déclaration au registre du
commerce du nombre de femmes et d’hommes dans les CA. Il y a dix ans, les
mentalités n’étaient pas prêtes pour cet amendement. Le MEDEF, notamment, était
farouchement opposé à l’Index de l’égalité professionnelle. Il l’a désormais
accepté. Je pense qu’il acceptera également qu’il y ait une mesure qui permette
d’avoir des statistiques chiffrées sur l’ensemble des CA.
Un autre point qui doit être amélioré concerne le rapport
sur la politique d’égalité qui doit être fait tous les ans au CA. Ce rapport
est obligatoire, c’est l’article 8 de la loi Copé-Zimmermann, or celui-ci est
rarement rédigé. Pourquoi les entreprises ne le font pas ? Parce que les lois
sur l’égalité professionnelle ne sont pas suffisamment respectées. C’est d’ailleurs
la raison pour laquelle la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a légiféré sur l’Index des écarts
salariaux. Actuellement, Élisabeth Borne réfléchit à compléter cette loi. Le fait qu’on ait mal appliqué cet article m’est personnellement très désagréable.
Car en 2011, voyant qu’on ne respectait pas les lois précédentes sur l’égalité
professionnelle (à part certaines grandes entreprises comme Sodexo, PSA,
L’Oréal, etc.), c’est pour
qu’on introduise cet article 8 que je
me suis d’abord battue !
Je ne veux pas me faire l’avocat du diable, mais la
mise en place de quotas n’est-elle pas un peu humiliante pour les femmes ? Ne
s’agit-il pas quelque part de traiter les femmes comme inférieures et incapables
de s’en sortir par elles-mêmes ?
Quelle méthode aurions-nous pu mettre en place en dehors de
celle-ci ? Mon objectif était qu’il y ait 40 % de femmes
au CA, alors, si on a des réserves sur le terme « quota », ce n’est
pas très important. En plus, dans la loi, on n’utilise pas le terme
« quota », mais « représentation ». Moi j’ai toujours fait
en sorte de ne pas utiliser le terme quota, car il a une résonance pas très
positive pour les femmes, c’est vrai. Il faut plutôt parler de « juste représentation ». Le
terme quota a toujours été utilisé par des gens qui dénigraient cette mesure. Quand une
femme me dit aujourd’hui : « j’ai réussi
grâce votre loi », je lui dis : « Non.
C’est grâce au fait que vous êtes compétente et qu’on vous a choisie. »
Le gouvernement a mis en place, dans le cadre de la
loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, l’Index de l’égalité
professionnelle femmes-hommes. Que pensez-vous de cet Index qui prévoit
des sanctions au cas où les indicateurs ne seraient pas satisfaisants ?
L’index sur les écarts salariaux est une bonne chose, c’est lisible sur
les fiches de paie. Mais je pense qu’il faudrait aussi ajouter un critère comme
« vie professionnelle/vie
privée », car il n’y a pas que l’écart salarial qui est important dans les
inégalités. Il y a aussi les inégalités dans les formations qu’on peut proposer tout au long d’une carrière à une femme et à un homme, il y
a les évolutions de carrière, les inégalités au sein d’un couple – la carrière
d’une femme est souvent trop hachée… Pour moi, il faut qu’il y ait une
visibilité de tous ces points-là dans chaque entreprise.
Le gouvernement souhaite aussi une représentation
équilibrée entre les femmes et les hommes au sein des instances dirigeantes.
Comment faire avancer les choses dans ce domaine ?
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a la volonté d’intégrer dans l’Index les Codir et les
Comex, mais cela pose un problème, car quelle est leur existence juridique ? Quoi qu’il en soit, à partir du moment où on met plus de femmes dans les postes de
direction, il y a comme un effet « ventouse» qui
permet à d’autres femmes de monter. C’est d’ailleurs l’objectif de l’article
8 : que les autres femmes au sein de l’entreprise puissent évoluer. C’est
pour cela qu’il faut être très attentif dans la manière dont on gère la carrière
des hommes et des femmes dans l’ensemble de l’entreprise.
Barrières mentales, manque de confiance… les femmes
se mettent parfois elles-mêmes des freins; Comment les aider à s’en
défaire ?
Il y a un
livre qui est sorti récemment et qui me met très en colère. Deux femmes
écrivent qu’il faut faire attention à ce que les femmes n’aient pas le complexe
d’imposture. N’importe quoi ! Déjà, très souvent, quand on propose un poste
important à une femme, elle se demande si elle en est capable. Pas un homme.
Donc ce complexe d’imposture je n’en veux pas ! Sans doute qu’il existe, comme le manque de
confiance, mais il faut absolument le combattre en disant aux femmes qu’elles
ont les compétences et sont en capacité de gérer le poste qu’on leur propose.
Elles ne volent rien, elles ont la juste place qu’elles doivent avoir.
Je pense qu’aujourd’hui nous devons passer de la prise de conscience à la
mauvaise conscience. C’est-à-dire que si une femme a un parcours brillant et
qu’on ne lui propose pas un poste prestigieux, il faut avoir mauvaise conscience. L’égalité devrait devenir
une normalité. Et tant que ce n’est pas le cas, on continuera à faire des combats.
Faudrait-il plus d’entraide entre les
femmes (associations, clubs) ?
Ce que la loi Copé-Zimmermann a permis, c’est le développement des
réseaux. Les hommes ont depuis toujours des réseaux. Les femmes n’en avaient
pas. Aujourd’hui, des réseaux de femmes existent, et au sein de ces derniers, il y
a vraiment un dialogue entre les femmes qui est extraordinaire. En ce qui me
concerne, je n’ai jamais intégré un réseau, mais je les accompagne et
j’interviens quand ils le souhaitent.
Quelles actions menez-vous en ce moment en faveur de
l’égalité femme-homme ?
Je continue à mettre surtout l’accent sur l’égalité entre les
femmes et les hommes au sein de l’ensemble de l’entreprise. Aujourd’hui, je
crois qu’on ne peut plus tolérer qu’il y ait ces différences. Il faut qu’on
soit vraiment très strict sur l’application des lois sur l’égalité
professionnelle, et sur la publication des chiffres, car à partir du moment où
vous publiez, ce n’est plus la mauvaise conscience, mais c’est la honte !
Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly