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(75) Tribunal de Paris : « Elle est complètement zinzin, elle se tape dessus »

(75) Tribunal de Paris : « Elle est complètement zinzin, elle se tape dessus »
Publié le 07/05/2025 à 08:39

CHRONIQUE. Un ressortissant afghan de 26 ans est jugé pour des violences sur sa conjointe, absente à l’audience. Il reconnaît s’être défendu mais nie avoir volontairement commis les violences qu’on lui reproche.

Sayed se tient sur une jambe, l’autre étant corsetée dans une attelle recouverte d’un tissu bleu, solidement appuyé sur la bulle de sa basket Airmax, les mains arrimées au pupitre. Un élégant interprète en langue farsi lui murmure d’une voix douce le rapport du président de la chambre correctionnelle 23-2 du tribunal de Paris, qui le juge pour des violences sur sa conjointe, ressortissante afghane comme lui et absente à cette audience.

Entré en France le 1er mars 2022, réfugié, Sayed a rejoint l’Autriche courant 2023 où il a épousé Ilahe - un mariage qu’il dit arrangé par les deux familles. De cette union est né un enfant en octobre 2023. Ils décident de s’installer en France le 10 décembre 2024, et le 17 décembre, Ilahe dépose une plainte au commissariat.

Lors d’une énième dispute de couple, alors qu’elle lui balance des reproches au sujet de son inactivité, il s’énerve et lui arrache l’enfant qu’elle tient dans ses bras. Elle tente de lui reprendre mais il la repousse et la fait chuter au sol. La mère de Sayed intervient pour calmer la situation et Ilahe, apercevant une patrouille pédestre de policiers municipaux, en profite pour appeler à l’aide. Sayed s’éclipse.

Au bout de ce bref récit, Ilahe fait un malaise et glisse de sa chaise. Elle complète sa plainte le lendemain en racontant des violences passées : cheveux tirés, coups dans le ventre. Elle indique qu’une procédure pour viol est en cours en Autriche. Dans le lit conjugal, il lui imposait des rapports qu’elle ne souhaitait pas avoir.

La victime ne s’est pas rendue à l’unité médico-judiciaire pour faire légalement constater ses blessures, mais d’éloquentes photos en couleur garnissent le dossier : alopécie secondaire et contusions au niveau du cuir chevelu dans la région occipitale droite (arrachage de cheveux), ecchymose au bras et sur la face intérieure de l’avant-bras.

« On a encore quatre dossiers »

Le président a l’accent provençal et le ton piquant : « Que pouvez-vous dire à ce sujet, Monsieur ? Quand on a ces blessures sur les avant-bras, c’est qu’en général le gars a tenu sa femme par les poignets ; c’est le cas ou pas ?

-     Oui, lorsqu’elle a voulu me frapper.

-     Donc, c’est pour la maîtriser ?

-     Oui.

-     Et les cheveux arrachés ?

-     Ma mère m’a raconté qu’elle s’était arraché les cheveux, mais moi j’étais sorti.

-     Pourquoi vous êtes sorti ? »

D’un coup, Sayed se met à parler un français correct et fluide, et entre dans des détails secondaires ; le président le stoppe d’un geste de la main. « On a encore quatre dossiers, donc on veut juste savoir si c’est vous qui l’avez frappée.

-     Non. Je l’ai repoussée et elle m’a dit ‘je te mets dans la merde’ (en français).

-     Donc, vous pensez que c’était pour se débarrasser de vous ?

-     Ouais (toujours en français).

-     Vous n’êtes pas parti parce qu’elle avait appelé la police ?

-     Non, c’est moi qui ai menacé d’appeler la police, mais en rigolant.

-     Et pourquoi vous avez pris son passeport ?

-     Parce que je voulais acheter le billet d’avion. »

-     Pour vous, c’est terminé avec Madame, vous voulez divorcer ?

-     Je ne sais pas, je n’ai pas de contact. »

Sayed hausse les épaules sous sa veste en cuir marron patiné ; il penche légèrement du côté de sa jambe gauche, valide.

« Madame aurait crié à la fenêtre ‘help me’ »

L’assesseur pose une question mystérieuse : « Madame aurait crié à la fenêtre ‘help me’, est-ce que vous savez le sens de ce terme ?

-     Oui, ‘aidez-moi’ », répond-il après un moment d’hésitation - sans doute pensait-il qu’il s‘agissait d’une question piège.

-     Voilà, ça vous inspire quelque chose, Monsieur ?

-     Je n’étais pas là, j’étais en bas (une pièce qui serait le vestibule, ndlr). Les policiers sont venus et m’ont dit ‘y’a quelqu’un qui crie’ ! »

L’avocate de la défense tente un coup : « Dans ce dossier y’a un témoin, la maman de Monsieur, est-ce qu’on peut l’entendre ?

-     En vertu de mon pouvoir discrétionnaire, non, on n’entend personne. Le témoignage de la mère n’a aucun intérêt », rembarre le président. Il décide que les débats sont clos.

Le procureur demande la condamnation sur la foi des photos et des descriptions médicales, et regrette que le parquet n’ait pas retenu la circonstance aggravante de la présence d’un mineur. « C’est bien dommage, car on sait à quel point ça peut être traumatisant. »

Puis ironise : « Ce n’est pas le coup de ‘elle marque très fort’ mais ‘elle est complètement zinzin, elle se tape dessus’ que le prévenu sert comme excuse. » Il regrette de ne pas avoir pu s’entretenir avec ses collègues autrichiens au sujet de la procédure pour viol, et demande 12 mois de prison avec sursis.

C’est la stagiaire avocate qui se lance dans une plaidoirie pour Sayed : elle regrette qu’on ne puisse confronter les versions, remarque que les zones d’alopécie sont diffuses et l’interrogent sur le fait qu’elles seraient la conséquence d’un arrachage de cheveux. Au bénéfice, elle demande la relaxe ; qui ne lui sera pas accordée : 8 mois de prison avec sursis pour Sayed.

Julien Mucchielli

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