CHRONIQUE. Un ressortissant afghan de 26 ans est
jugé pour des violences sur sa conjointe, absente à l’audience. Il reconnaît
s’être défendu mais nie avoir volontairement commis les violences qu’on lui
reproche.
Sayed se
tient sur une jambe, l’autre étant corsetée dans une attelle recouverte d’un
tissu bleu, solidement appuyé sur la bulle de sa basket Airmax, les mains
arrimées au pupitre. Un élégant interprète en langue farsi lui murmure d’une
voix douce le rapport du président de la chambre correctionnelle 23-2 du
tribunal de Paris, qui le juge pour des violences sur sa conjointe,
ressortissante afghane comme lui et absente à cette audience.
Entré en
France le 1er mars 2022, réfugié, Sayed a rejoint l’Autriche courant
2023 où il a épousé Ilahe - un mariage qu’il dit arrangé par les deux familles.
De cette union est né un enfant en octobre 2023. Ils décident de s’installer en
France le 10 décembre 2024, et le 17 décembre, Ilahe dépose une plainte au
commissariat.
Lors d’une
énième dispute de couple, alors qu’elle lui balance des reproches au sujet de
son inactivité, il s’énerve et lui arrache l’enfant qu’elle tient dans ses
bras. Elle tente de lui reprendre mais il la repousse et la fait chuter au sol.
La mère de Sayed intervient pour calmer la situation et Ilahe, apercevant une
patrouille pédestre de policiers municipaux, en profite pour appeler à l’aide.
Sayed s’éclipse.
Au bout de ce
bref récit, Ilahe fait un malaise et glisse de sa chaise. Elle complète sa
plainte le lendemain en racontant des violences passées : cheveux tirés, coups
dans le ventre. Elle indique qu’une procédure pour viol est en cours en
Autriche. Dans le lit conjugal, il lui imposait des rapports qu’elle ne souhaitait
pas avoir.
La victime ne
s’est pas rendue à l’unité médico-judiciaire pour faire légalement constater
ses blessures, mais d’éloquentes photos en couleur garnissent le dossier :
alopécie secondaire et contusions au niveau du cuir chevelu dans la région
occipitale droite (arrachage de cheveux), ecchymose au bras et sur la face
intérieure de l’avant-bras.
« On
a encore quatre dossiers »
Le président
a l’accent provençal et le ton piquant : « Que pouvez-vous dire à ce
sujet, Monsieur ? Quand on a ces blessures sur les avant-bras, c’est qu’en
général le gars a tenu sa femme par les poignets ; c’est le cas ou pas ?
-
Oui,
lorsqu’elle a voulu me frapper.
-
Donc,
c’est pour la maîtriser ?
-
Oui.
-
Et les
cheveux arrachés ?
-
Ma mère
m’a raconté qu’elle s’était arraché les cheveux, mais moi j’étais sorti.
- Pourquoi vous êtes sorti ? »
D’un coup,
Sayed se met à parler un français correct et fluide, et entre dans des détails
secondaires ; le président le stoppe d’un geste de la main. « On a
encore quatre dossiers, donc on veut juste savoir si c’est vous qui l’avez
frappée.
- Non. Je l’ai repoussée et elle m’a dit ‘je te
mets dans la merde’ (en
français).
-
Donc,
vous pensez que c’était pour se débarrasser de vous ?
- Ouais (toujours en français).
-
Vous
n’êtes pas parti parce qu’elle avait appelé la police ?
-
Non, c’est
moi qui ai menacé d’appeler la police, mais en rigolant.
-
Et
pourquoi vous avez pris son passeport ?
- Parce que je voulais acheter le billet
d’avion. »
-
Pour
vous, c’est terminé avec Madame, vous voulez divorcer ?
- Je ne sais pas, je n’ai pas de contact. »
Sayed hausse
les épaules sous sa veste en cuir marron patiné ; il penche légèrement du côté
de sa jambe gauche, valide.
« Madame
aurait crié à la fenêtre ‘help me’ »
L’assesseur pose
une question mystérieuse : « Madame aurait crié à la fenêtre ‘help me’,
est-ce que vous savez le sens de ce terme ?
- Oui, ‘aidez-moi’ », répond-il après un moment d’hésitation - sans
doute pensait-il qu’il s‘agissait d’une question piège.
- Voilà, ça vous inspire quelque chose,
Monsieur ?
- Je n’étais pas là, j’étais en bas (une pièce qui serait le vestibule, ndlr). Les
policiers sont venus et m’ont dit ‘y’a quelqu’un qui crie’ ! »
L’avocate de
la défense tente un coup : « Dans ce dossier y’a un témoin, la
maman de Monsieur, est-ce qu’on peut l’entendre ?
- En vertu de mon pouvoir discrétionnaire, non,
on n’entend personne. Le témoignage de la mère n’a aucun intérêt », rembarre le président. Il décide que
les débats sont clos.
Le procureur
demande la condamnation sur la foi des photos et des descriptions médicales, et
regrette que le parquet n’ait pas retenu la circonstance aggravante de la
présence d’un mineur. « C’est bien dommage, car on sait à quel point ça
peut être traumatisant. »
Puis ironise
: « Ce n’est pas le coup de ‘elle marque très fort’ mais ‘elle est
complètement zinzin, elle se tape dessus’ que le prévenu sert comme excuse. »
Il regrette de ne pas avoir pu s’entretenir avec ses collègues autrichiens au
sujet de la procédure pour viol, et demande 12 mois de prison avec sursis.
C’est la
stagiaire avocate qui se lance dans une plaidoirie pour Sayed : elle regrette
qu’on ne puisse confronter les versions, remarque que les zones d’alopécie sont
diffuses et l’interrogent sur le fait qu’elles seraient la conséquence d’un
arrachage de cheveux. Au bénéfice, elle demande la relaxe ; qui ne lui sera pas
accordée : 8 mois de prison avec sursis pour Sayed.
Julien Mucchielli