CHRONIQUE. Devant
le tribunal correctionnel de Versailles, un prévenu a comparu pour ce que l'on
appelle couramment une « dénonciation d'infraction imaginaire ». En
soi, l'infraction est reconnue, mais l'avocat de la défense a plaidé
« l'état de nécessité ».
Correctionnelle à juge
unique. Serge, la quarantaine, a fait opposition à une ordonnance pénale, qui
l'avait condamné à 500 € d'amende. Pour comprendre pourquoi, il faut remonter
le temps de près de deux ans. Au printemps 2023, il avait poussé la porte d'un
commissariat, dont il était ressorti avec un récépissé de main courante :
il avait expliqué avoir vendu sa voiture (100 €) mais sans remplir de
certificat de cession, et avoir reçu dans l'intervalle plusieurs
contraventions.
Sauf que, dès le lendemain,
il s'était rendu dans un autre commissariat, et avait déposé plainte pour le
vol de cette même voiture. L'une (au moins) de ces deux versions inconciliables
étant nécessairement fausse, Serge a été poursuivi pour avoir « dénoncé
mensongèrement à l'autorité judiciaire des faits constitutifs d'un délit qui
ont exposé les autorités judiciaires à d'inutiles recherches » (6 mois et
7 500 € encourus). Pas si inutiles que cela, d'ailleurs, puisque la
voiture, précise la présidente, a finalement été « retrouvée à Bobigny,
dans un camp de gitans, et elle a été détruite ».
« C'était juste pour
arrêter le problème »
« Si la situation
était inextricable, vous auriez pu saisir un avocat, ou aller dans une maison
de la justice et du droit, voire vous adresser au procureur », le
sermonne la magistrate. Serge explique justement que c'est sur les conseils
d'une association qu'il a voulu déposer plainte, mais qu'au guichet du premier
commissariat, le policier a (abusivement) refusé, considérant qu'il n'y avait
pas d'infraction : « Dans un commissariat, on ne dépose pas
plainte pour une infraction mais pour des faits », ponctue (à juste
titre) l'avocat de Serge.
« C'était juste pour
arrêter le problème... », ajoute son client. Bref, il avait mis sa
voiture sur le Bon coin, et avait simplement pris en photo la carte d'identité
de l'acheteur, qui devait revenir ultérieurement faire la paperasse en bonne et
due forme, mais n'en a rien fait (un grand classique). Résultat, l'acheteur n'a
procédé à aucune formalité et a accumulé les infractions, pour lesquelles Serge
a été considéré pécuniairement responsable : il en a eu pour plus de
2 000 € (!).
« Il nous explique
pourquoi, mais ça ne justifie pas »
« Alors,
effectivement, il reconnaît l'infraction », entame la procureure,
avant d'offrir une petite séance d'ascenseur émotionnel à Serge, au gré d'une
interminable phrase qui comporte beaucoup trop de « mais » :
« Il nous explique pourquoi, mais ça ne justifie pas, ça reste un
délit, […] mais il était dans une situation compliquée, […] mais il n'a pas
fait les choses comme il fallait […] mais il a réglé les contraventions ».
Elle demande finalement 500 € d'amende, mais avec sursis, et une dispense
d'inscription au « B2 » (le bulletin n°2 du casier judiciaire).
Ce qui est original dans ce
dossier, c'est la ligne de défense choisie par son avocat : celle de
« l'état de nécessité ». En effet, selon le Code pénal (art. 122-7),
« n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger
actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte
nécessaire […], sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la
gravité de la menace ».
« Un état de détresse
morale et d'épuisement »
« Quand il vient me
voir dans mon cabinet », se lance l'avocat, « il est dans un
état de détresse morale et d’épuisement. […] Il n'a pas fait effectivement les
formalités nécessaires au moment de la vente de ce véhicule, […] mais ne pas
faire de certificat de cession, ce n'est pas une infraction pénale, c'est
[juste] une négligence ». Il raconte que son client « essaie
de recontacter [l'acheteur] tant bien que mal, mais [que ce dernier] multiplie
les infractions, et qu'il n'a aucun recours sur le plan juridique »,
notamment sur le site de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS).
L'avocat considère donc que
« finalement, il s'expose à un véritable danger pour ses propres biens,
parce que s'il y a un accident de la circulation, que le véhicule n'est plus
assuré, eh ben c'est lui qui paie. Voilà le danger imminent ». Bref,
poursuit-il, « à mon sens, quand il ment, il ne ment pas
volontairement, il ment [même] bien malgré lui. […] Il veut déposer plainte, on
lui dit non, alors il dépose sa petite main courante et il se dit que le
lendemain il tentera de nouveau de déposer plainte ailleurs ». Mise en
délibéré.
Antoine
Bloch