À Lyon
comme aux quatre coins du monde, les barreaux et les défenseurs des droits
humains se sont unis ce vendredi 24 janvier, à l’occasion de la journée
mondiale de l’avocat en danger. Une manifestation pour dénoncer les
persécutions qui frappent celles et ceux qui s’engagent, robe noire sur les épaules,
à défendre la justice et les libertés fondamentales.
« Quelle
profession se bat, parfois au péril de sa vie, pour faire respecter l’état de
droit et la démocratie ? Quelle profession souffre de menaces, d’intimidations
et de pressions ? Quelle profession se retrouve persécutée et réduite au
silence pour défendre des valeurs universelles ? Les avocats. Et c’est une
ignominie ». Maître Alban Pousset-Bougère, bâtonnier de Lyon, ne mâche
pas ses mots en marge de la journée mondiale de l’avocat en danger. Des paroles
lourdes de sens qui reflètent l’ampleur de la situation pour laquelle les
barreaux du monde entier se mobilisent tous les ans depuis 2009. L’objectif :
attirer l’attention de la société civile et des pouvoirs publics sur ces
situations de dérives dans un pays particulier. Et cette année, les projecteurs
se braquent sur les avocats du Bélarus (Biélorussie). Un choix qui n’a rien
d’un hasard. Dans cette ex-république soviétique dirigée par Alexandre
Loukachenko, au pouvoir depuis 1994 et fraîchement réélu ce dimanche pour un
septième mandat, la justice n’est plus qu’un bras armé de l’exécutif.
L’État
de droit en net recul au Bélarus
« Depuis
les élections de 2020, nous subissons une vague de répression. Il n’est plus
possible d’exercer en totale indépendance », témoigne Maryia
Taparkova, avocate biélorusse. Harcelée et menacée, la jeune femme de 26 ans a
été contrainte de quitter le territoire en 2021 avec sa famille. Et elle n’est
pas un cas isolé. Natallia Matskevich, autre figure du barreau bélarus, a aussi
été poussée à l’exil après avoir défendu des opposants politiques. « Mes
garanties professionnelles ont été bafouées. Il m’a été interdit de rendre
visite à mes clients en détention. Une conversation confidentielle avec Sergey
Tihanovski (un blogueur dissident) a été enregistrée et diffusée à la
télévision d’État. J’ai même été suspendue de mes fonctions en plein procès qui
s’est tenu à huis clos dans une prison », confie-t-elle. Andrei Atamanchuk,
spécialisé dans la défense de prisonniers politiques, a quant à lui vu le KGB
faire irruption dans son domicile et l’accuser de « délits
inexistants ». « Ils m’ont emprisonné pendant 30 jours. Non
seulement le barreau de Minsk ne m’a pas soutenu, mais il a tout fait pour me
radier. » (cf. vidéo
du CNB)
Une
profession décimée
Au
total, il ne resterait plus que 1600 avocats en activité et « contrôlés
de près », après la fuite récente d’une cinquantaine de confrères,
révèle Maryia Taparkova. Radiations, arrestations arbitraires, harcèlement,
menaces, et sanctions disciplinaires fictives : l’arsenal répressif est vaste.
Certains paient encore plus cher, à l’image d’Anastasia Lazarenka, Aliaksandr
Danilevich, Vital Brahinets et Maksim Znak, tous emprisonnés pour des peines
allant de 6 à 10 ans.
L’Observatoire
international des avocats en danger (OIAD, voir encart) recense notamment 11
avocats poursuivis pénalement, 139 radiés, 6 derrière les barreaux. Pire
encore, 4 d’entre eux auraient été torturés pendant leur détention et leurs
interrogatoires, selon la résolution
du Conseil national des barreaux adoptée le 17 janvier dernier. Le
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, quant à lui, estime
dans ses derniers
rapports que les actes des autorités bélarusses pourraient constituer des
« crimes contre l’humanité et crimes de persécution ».
Dans ce
sombre tableau, une lueur d’espoir se dessine pour autant avec la Convention
européenne de protection de la profession d’avocat. Présentée en janvier
par la Délégation des Barreaux de France (DBF), sa ratification prévue le 14
mai par les États tiers devrait marquer un tournant pour la défense,
l’indépendance des avocats et leur protection. En attendant, Alban
Pousset-Bougère le rappelle, « unissons nos voix pour qu’elles soient
entendues. Nous ne tolérons pas que notre profession soit muselée. Notre
promesse est de ne jamais détourner le regard face à l’injustice. »
Enzo Maissonnat
Julie Couturier, présidente du CNB : « La
profession d’avocat a beaucoup perdu de son indépendance »

Julie Couturier (D.R.)
Créé
en 2016, l’Observatoire international des avocats en danger (OIAD)
regroupe 41 barreaux mobilisés pour défendre les avocats menacés et dénoncer
les atteintes aux droits de la défense. Julie Couturier, présidente du Conseil
national des barreaux, revient sur le rôle essentiel de cette structure face à
une montée inquiétante des répressions.
Constatez-vous
une hausse des menaces envers les avocats ?
Hélas,
oui. On observe depuis une quinzaine d’années une hausse du nombre d’avocats
menacés, ce qui a justifié la création de l’association. Aujourd’hui, les pays
où les avocats sont le plus en danger coïncident avec ceux où l’État de droit
recule fortement. La profession d’avocat a beaucoup perdu de son indépendance
en Biélorusse, en Tunisie, en Turquie et dans le monde de manière générale.
Quelles
actions menez-vous pour résoudre ces situations ?
Nous
menons d’abord un important travail de recensement en collectant les
signalements d’abus, les atteintes et les menaces visant nos confrères et nos
consœurs. Ensuite, nous intervenons concrètement en offrant une assistance
juridique, un soutien moral et une aide financière aux avocats véritablement en
danger. Ce soutien permet de couvrir leurs frais d’installation, leurs dépenses
médicales lorsqu’ils se trouvent en France, leurs besoins du quotidien ou
encore de les aider à poursuivre leur activité professionnelle. Par
ailleurs, il existe déjà plusieurs dispositifs en place, que l’Observatoire
vient renforcer en complément des initiatives menées par les barreaux et les
instances nationales. Par exemple, le barreau de Paris a instauré le programme Répit,
offrant aux avocats menacés la possibilité de séjourner quelques semaines dans
la capitale. Plus récemment, nous avons même inauguré la Maison des avocats en
exil pour accueillir ceux qui ne peuvent plus exercer dans leur pays et
leur fournir un soutien logistique adapté.
Votre
message est-il entendu par les pouvoirs publics ?
Le
message a été entendu. Durant la dernière assemblée générale de la conférence
des bâtonniers, nous avons longuement échangé avec le ministre de la Justice au
sujet des confrères et consœurs en danger, notamment en Tunisie, avec la
situation de Sonia Dahmani. Bien sûr, notre action rencontre les limites
imposées par la souveraineté des États, mais cela ne nous empêche pas de mener
une diplomatie active et d’exercer une influence. Pour notre part, nous avons
pour devoir d’alerter les pouvoirs publics, de mener un plaidoyer et de
communiquer sur ces actions pour sensibiliser le plus grand nombre. Parce que
l’avocat n’est pas l’ennemi du système judiciaire, mais bien son partenaire, en
France comme ailleurs.
Propos recueillis par
Enzo Maissonnat