DROIT

Avocats en danger : les barreaux montent au front pour les opprimés

Avocats en danger : les barreaux montent au front pour les opprimés
La barreau de Lyon uni pour la journée mondiale de l'avocat en danger
Publié le 27/01/2025 à 18:00

À Lyon comme aux quatre coins du monde, les barreaux et les défenseurs des droits humains se sont unis ce vendredi 24 janvier, à l’occasion de la journée mondiale de l’avocat en danger. Une manifestation pour dénoncer les persécutions qui frappent celles et ceux qui s’engagent, robe noire sur les épaules, à défendre la justice et les libertés fondamentales.

« Quelle profession se bat, parfois au péril de sa vie, pour faire respecter l’état de droit et la démocratie ? Quelle profession souffre de menaces, d’intimidations et de pressions ? Quelle profession se retrouve persécutée et réduite au silence pour défendre des valeurs universelles ? Les avocats. Et c’est une ignominie ». Maître Alban Pousset-Bougère, bâtonnier de Lyon, ne mâche pas ses mots en marge de la journée mondiale de l’avocat en danger. Des paroles lourdes de sens qui reflètent l’ampleur de la situation pour laquelle les barreaux du monde entier se mobilisent tous les ans depuis 2009. L’objectif : attirer l’attention de la société civile et des pouvoirs publics sur ces situations de dérives dans un pays particulier. Et cette année, les projecteurs se braquent sur les avocats du Bélarus (Biélorussie). Un choix qui n’a rien d’un hasard. Dans cette ex-république soviétique dirigée par Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994 et fraîchement réélu ce dimanche pour un septième mandat, la justice n’est plus qu’un bras armé de l’exécutif.

L’État de droit en net recul au Bélarus

« Depuis les élections de 2020, nous subissons une vague de répression. Il n’est plus possible d’exercer en totale indépendance », témoigne Maryia Taparkova, avocate biélorusse. Harcelée et menacée, la jeune femme de 26 ans a été contrainte de quitter le territoire en 2021 avec sa famille. Et elle n’est pas un cas isolé. Natallia Matskevich, autre figure du barreau bélarus, a aussi été poussée à l’exil après avoir défendu des opposants politiques. « Mes garanties professionnelles ont été bafouées. Il m’a été interdit de rendre visite à mes clients en détention. Une conversation confidentielle avec Sergey Tihanovski (un blogueur dissident) a été enregistrée et diffusée à la télévision d’État. J’ai même été suspendue de mes fonctions en plein procès qui s’est tenu à huis clos dans une prison », confie-t-elle. Andrei Atamanchuk, spécialisé dans la défense de prisonniers politiques, a quant à lui vu le KGB faire irruption dans son domicile et l’accuser de « délits inexistants ». « Ils m’ont emprisonné pendant 30 jours. Non seulement le barreau de Minsk ne m’a pas soutenu, mais il a tout fait pour me radier. » (cf. vidéo du CNB)

Une profession décimée

Au total, il ne resterait plus que 1600 avocats en activité et « contrôlés de près », après la fuite récente d’une cinquantaine de confrères, révèle Maryia Taparkova. Radiations, arrestations arbitraires, harcèlement, menaces, et sanctions disciplinaires fictives : l’arsenal répressif est vaste. Certains paient encore plus cher, à l’image d’Anastasia Lazarenka, Aliaksandr Danilevich, Vital Brahinets et Maksim Znak, tous emprisonnés pour des peines allant de 6 à 10 ans.

L’Observatoire international des avocats en danger (OIAD, voir encart) recense notamment 11 avocats poursuivis pénalement, 139 radiés, 6 derrière les barreaux. Pire encore, 4 d’entre eux auraient été torturés pendant leur détention et leurs interrogatoires, selon la résolution du Conseil national des barreaux adoptée le 17 janvier dernier. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, quant à lui, estime dans ses derniers rapports que les actes des autorités bélarusses pourraient constituer des « crimes contre l’humanité et crimes de persécution ».

Dans ce sombre tableau, une lueur d’espoir se dessine pour autant avec la Convention européenne de protection de la profession d’avocat. Présentée en janvier par la Délégation des Barreaux de France (DBF), sa ratification prévue le 14 mai par les États tiers devrait marquer un tournant pour la défense, l’indépendance des avocats et leur protection. En attendant, Alban Pousset-Bougère le rappelle, « unissons nos voix pour qu’elles soient entendues. Nous ne tolérons pas que notre profession soit muselée. Notre promesse est de ne jamais détourner le regard face à l’injustice. »

Enzo Maissonnat


Julie Couturier, présidente du CNB : « La profession d’avocat a beaucoup perdu de son indépendance »


Julie Couturier (D.R.)

Créé en 2016, l’Observatoire international des avocats en danger (OIAD) regroupe 41 barreaux mobilisés pour défendre les avocats menacés et dénoncer les atteintes aux droits de la défense. Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux, revient sur le rôle essentiel de cette structure face à une montée inquiétante des répressions.

Constatez-vous une hausse des menaces envers les avocats ?

Hélas, oui. On observe depuis une quinzaine d’années une hausse du nombre d’avocats menacés, ce qui a justifié la création de l’association. Aujourd’hui, les pays où les avocats sont le plus en danger coïncident avec ceux où l’État de droit recule fortement. La profession d’avocat a beaucoup perdu de son indépendance en Biélorusse, en Tunisie, en Turquie et dans le monde de manière générale.

Quelles actions menez-vous pour résoudre ces situations ?

Nous menons d’abord un important travail de recensement en collectant les signalements d’abus, les atteintes et les menaces visant nos confrères et nos consœurs. Ensuite, nous intervenons concrètement en offrant une assistance juridique, un soutien moral et une aide financière aux avocats véritablement en danger. Ce soutien permet de couvrir leurs frais d’installation, leurs dépenses médicales lorsqu’ils se trouvent en France, leurs besoins du quotidien ou encore de les aider à poursuivre leur activité professionnelle. Par ailleurs, il existe déjà plusieurs dispositifs en place, que l’Observatoire vient renforcer en complément des initiatives menées par les barreaux et les instances nationales. Par exemple, le barreau de Paris a instauré le programme Répit, offrant aux avocats menacés la possibilité de séjourner quelques semaines dans la capitale. Plus récemment, nous avons même inauguré la Maison des avocats en exil pour accueillir ceux qui ne peuvent plus exercer dans leur pays et leur fournir un soutien logistique adapté.

Votre message est-il entendu par les pouvoirs publics ?

Le message a été entendu. Durant la dernière assemblée générale de la conférence des bâtonniers, nous avons longuement échangé avec le ministre de la Justice au sujet des confrères et consœurs en danger, notamment en Tunisie, avec la situation de Sonia Dahmani. Bien sûr, notre action rencontre les limites imposées par la souveraineté des États, mais cela ne nous empêche pas de mener une diplomatie active et d’exercer une influence. Pour notre part, nous avons pour devoir d’alerter les pouvoirs publics, de mener un plaidoyer et de communiquer sur ces actions pour sensibiliser le plus grand nombre. Parce que l’avocat n’est pas l’ennemi du système judiciaire, mais bien son partenaire, en France comme ailleurs.

Propos recueillis par Enzo Maissonnat

 

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