Dans
l’énième volet de la bataille visant à faire interdire l’accès des sites pour
adultes aux mineurs, la plus haute juridiction administrative française a
demandé, le 6 mars, un examen de conformité entre le droit pénal domestique et
la loi communautaire.
Nouveau
rebondissement dans le dossier de la lutte contre l’accès des sites
pornographiques aux mineurs. Le Conseil d'Etat a saisi, le 6 mars, la Cour de
justice de l'Union européenne (CJUE) afin qu’elle examine la conformité avec le
droit communautaire d’un décret de 2021 relatif au blocage des sites
pornographiques. Le texte autorise l’Autorité de régulation de la communication
audiovisuelle et numérique (Arcom) à demander au juge judiciaire le blocage des
plateformes dont le contenu est accessible aux mineurs. Cette saisine fait
suite à une requête déposée par deux éditeurs de sites pornographiques basés en
République tchèque et visés par le régulateur français du numérique.
Les
sociétés Webgroup Czech Republic et NKL Associates sro, éditrices des sites
Xvideos et XNXX, ont demandé l'annulation du décret litigieux qui précise les
critères d’application d’une loi de 2020 visant à protéger les victimes de
violences conjugales. Les deux éditeurs estiment que le texte est en
contradiction avec le droit européen, en particulier la directive 2000/21/CE du 8
juin 2000 dite directive commerce électronique.
L’arrêt
« Google Ireland »
Dans l’arrêt
« Google Ireland » de 2023, la CJUE a estimé que ce texte établit un
principe du pays d’origine, « en vertu duquel
les services de la société de l’information sont régis par le droit de l’État
membre où ils sont établis [et donc] empêche les autres États membres de
leur imposer des règles générales […] en matière d’accès à l’activité de
services numériques ou d’exercice d’une telle activité », rappelle le Conseil d’Etat.
En
clair, les deux éditeurs affirment que, comme ils sont basés en République
tchèque et non en France, le décret de blocage qu’ils contestent est contraire
au droit européen. Cet argument soulève
une question de principe importante sur l’interprétation de la directive
commerce numérique selon le Conseil d'Etat, qui a décidé contre les conclusions
du rapporteur public de transmettre trois questions préjudicielles à la CJUE
relatives à l’application du droit pénal et la protection des mineurs.
La
plus haute juridiction administrative française se demande notamment s’il
« faut considérer que la directive européenne interdit d’appliquer aux
prestataires de services établis dans d’autres Etats membres des règles
générales de droit pénal », et s’il n’existe pas « de règle
supérieure de droit européen qui permettrait l’application de dispositions
visant à la protection des mineurs ». Pour motiver sa décision, le
Conseil d’Etat, relève notamment que la directive Digital Services Act de 2022
sur le marché unique numérique, entrée en application le 17 février dernier, n’a
pas remis en cause le principe du pays d’origine. « Ce qui est en jeu
est la possibilité pour la France d’imposer le respect d’au moins certaines de
ses législations à des services numériques établis dans d’autres Etats membres
de l’UE », estime le Conseil d’Etat.
Un
procédé long et laborieux
Le
feu couve depuis longtemps entre les éditeurs de sites pornographiques et
l’Etat. L’Arcom avait effectué une première demande de blocage devant le
tribunal judiciaire de Paris en 2021, qui visait Xvideos et XNXX mais également
Pornhub, Tukif et xHamster. La décision du tribunal est suspendue le temps de
l'examen des recours concernant le décret d’application. Ainsi, quatre ans
après l’adoption de la loi visant à simplifier la mise hors ligne des sites
pornographiques diffusant du contenu aux mineurs, aucune procédure de blocage
n'a pu encore aboutir.
La décision
de la CJUE sera particulièrement scrutée, au moment où
le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) doit prochainement
passer en commission mixte paritaire. Le texte vise en effet à donner à l’Arcom
le pouvoir d’imposer directement le blocage administratif des sites
pornographiques, sans passer par le juge judiciaire. L'an dernier, la Commission européenne avait déjà interpellé
la France, arguant que la disposition de la loi SREN relative à la vérification
de l'âge pour accéder à certaines plateformes, telles que les sites
pornographiques, empiétait sur le Digital Services Act. La Commission avait aussi
exhorté la France à confier le contrôle des plateformes étrangères à Bruxelles.
Le dossier semble plus complexe que jamais…
[MAJ du 18 octobre 2024 : Dans une décision en date du jeudi 17 octobre, la cour d’appel de Paris a réclamé le blocage de quatre sites pornographiques (xHamster, Tukif, Mrsexe et IciPorno) sous un délai de quinze jours. La raison ? L’absence de vérification de l’âge des utilisateurs. Ce blocage aura lieu « jusqu’à ce que soit démontrée la mise en œuvre par ces derniers d’un contrôle autre que purement déclaratif de ce que les utilisateurs sont majeurs », affirme le communiqué.]
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Romain Tardino