Valérie Fayard, directrice
générale déléguée d'Emmaüs France, était l’invitée du Club de l’Audace jeudi 18
janvier dans le cadre d’une intervention sur la thématique du lien entre les
entreprises et l’association fondée par l’Abbé Pierre. Cette dernière dispose
de nombreux atouts pour séduire les entreprises et nouer des partenariats
fructueux. On vous explique.
Emmaüs, partenaire privilégiée des
entreprises… À première vue, cela peut sembler surprenant d'imaginer une
association comme celle de l’Abbé Pierre s'associer avec des structures dont
l'objectif est principalement de réaliser des profits économiques ; loin
des valeurs traditionnelles d'Emmaüs France, qui, depuis sa fondation en 1954,
milite contre la pauvreté et apporte son aide aux personnes sans-abri.
Pourtant, à partir des années
2000, l'association s’est progressivement ouverte aux entreprises, comme
l’explique Valérie Fayard, directrice générale déléguée chez Emmaüs France
depuis 2002 : « Nous avons évolué, notamment en travaillant avec elles
sur la question des filières environnementales, avec les fameux principes du
pollueur-payeur.
»
Elle précise que « c’était quelque chose qui n’existait pas à l'époque,
alors qu’aujourd’hui, lorsque vous achetez un frigo, vous payez quelque chose
qui va probablement servir à la fin de vie du produit ».
Un accord « structurant »
avec Gaz de France
Dans le lot des entreprises avec
lesquelles Emmaüs a entamé une collaboration dès cette époque-là, on retrouve
des groupes tels que le groupe d’électroménager Darty, l’opérateur téléphonique
SFR ou encore le groupe énergétique Gaz de France. Ces nouvelles opportunités
ont été rendues possibles grâce à l’introduction de partenariats au sein
d'Emmaüs.
« Les entreprises peuvent
nous aider à financer nos programmes en nous apportant des fonds, mais aussi en
nous fournissant des invendus ou des produits neufs, ce qui enrichit notre
offre en boutique et bénéficie à notre public ». « Cependant,
le plus difficile et le plus ambitieux à construire, c’est d'obtenir des
partenariats qui vont au-delà de cette relation de simple échange. Il s'agit de
partenariats où nous créons quelque chose d’innovant ensemble »,
nuance-t-elle.
« L’un des premiers
grands partenariats, et je tiens à en parler parce que ça a été vraiment
quelque chose de structurant chez nous, c’est avec Gaz de France avant sa
fusion avec Suez dans les années 2000. À l’époque, Jean-François Cirelli, qui
était le patron de Gaz de France, et Martin Hirsch, qui était le directeur
d'Emmaüs France, ont conclu un accord visant à co-construire des solutions de
lutte contre l'exclusion et à aller au-delà du simple mécénat financier »,
explique Valérie Fayard.
Un exemple évoqué par Valérie
Fayard lors de son discours concerne la collaboration entre SFR et Emmaüs. À
travers l’une de ses structures d'insertion, Emmaüs avait identifié un problème
crucial pour les personnes sans-abri cherchant à se réinsérer dans le monde
professionnel : l'absence de téléphones portables. « Le téléphone est
essentiel, les personnes sans-abri n'ont pas les moyens d'en acheter un. Nous
avons donc conclu un partenariat avec SFR pour fournir des téléphones à ces
personnes. Ce partenariat contribue également au financement de l'association
grâce à cette coopération… Finalement, cette collaboration s'est poursuivie et
a donné naissance à une structure appelée Emmaüs Connect, qui lutte activement
contre la fracture numérique en aidant les personnes les plus vulnérables à
travers des programmes de formation et d'accompagnement ».
Valoriser son image grâce à
Emmaüs
Mais si Emmaüs trouve un intérêt
évident à collaborer avec les entreprises, qu'en est-il pour ces dernières ? « Je
dirais qu'il y a une motivation qui peut être politique. Les entreprises ont un
rôle à jouer avec des organisations comme la nôtre, qui contribuent à
accompagner les personnes les plus nécessiteuses », explique la directrice
générale déléguée d'Emmaüs France. L'objectif est donc que les associations et
les entreprises participent ensemble au bien commun. « Les entreprises
peuvent apporter leur vision à cette société pour la rendre plus solidaire »,
ajoute-t-elle.
Cependant, le véritable intérêt
pour une entreprise peut surtout résider dans l'amélioration de son image de
marque avec ce type de partenariat, souligne Valérie Fayard. Autrement dit,
collaborer avec Emmaüs, en raison de ses ambitions caritatives, permet à une
entreprise de valoriser son image en obtenant une « responsabilité
morale à moindre coût - enfin, ou peut-être à un coût élevé, ça dépend »,
ironise la directrice générale.
Valérie Fayard, DG déléguée chez Emmaüs France, a évoqué les entreprises partenaires de l'association lors de son passage au Club de l'Audace
Ces partenariats ne se limitent toutefois
pas qu’à une simple collaboration commerciale entre deux entreprises. En effet,
le rayonnement d'Emmaüs a également eu un impact sur la vision des employés
ayant travaillé avec l'association, comme l'explique Valérie Fayard : « Il
y a beaucoup de gens de chez SFR qui sont devenus bénévoles chez nous et qui
viennent le samedi pour nous aider. La rencontre avec un nouvel univers,
j'imagine que ça leur a donné du sens et ça rejoint un autre de nos objectifs
qui est celui du regard et de la rencontre ».
La directrice met également en
avant l'importance pour les entreprises de soutenir Emmaüs, non pas seulement
en tant que mécène en fournissant des fonds sans attendre de retour commercial,
mais aussi en s'engageant dans un programme de transformation. Elle souligne : « Une
transformation pour faire face aux enjeux économiques mais également aux enjeux
sociaux ». Ainsi, l'intérêt principal pour Emmaüs réside dans la
recherche de partenaires désireux de contribuer « à la recherche de
solutions innovantes contre la pauvreté, avec une prise de risque économique ».
Vinted, Boulanger… des
concurrents plutôt que des alliés
Parmi les entreprises qui
pourraient être envisagées comme partenaires, car œuvrant dans le même sens, il
y a notamment Vinted. Une entreprise sur laquelle Valérie Fayard porte
toutefois un regard sévère. Si la plateforme de vente en ligne de produits d’occasion
a l’avantage d’être une société favorisant la seconde main et luttant contre le
fast fashion, Emmaüs ne veut pas en entendre parler. Peur de la concurrence ?
De l’avis de Valérie Fayard en
tout cas, la politique commerciale de Vinted surferait sur « tous les
réflexes de la société capitaliste et du productivisme » et sur une
consommation « agressive » qu’Emmaüs France ne cautionne pas,
selon l’association. Par ailleurs, sa directrice générale déléguée pointe qu’il
est de plus en plus fréquent de voir des gens se rendre chez Emmaüs pour
acheter des vêtements à moindre coût avant de les revendre sur Vinted à un prix
beaucoup plus élevé. Un comportement contre lequel il est « difficile
de lutter », déplore la directrice générale déléguée.
Quid cette fois de Boulanger ?
Bien que Valérie Fayard envisage la possibilité, pour l'association, de
collaborer avec le mastodonte de l'électroménager et du multimédia, l’association
a quelques réserves. « C’est une entreprise qui propose de la collecte
contre bon d’achat, incitant ainsi les gens à venir récupérer de l’argent pour
l'utiliser dans le magasin. Nous, à part donner une photo de l’Abbé Pierre,
nous ne leur offrons rien du tout », souligne Valérie Fayard.
S’adapter en permanence
En fin de compte, Emmaüs a su
s'adapter et diversifier ses activités pour relever les différents défis qui se
présentent au fil de temps, notamment en établissant des partenariats avec
certaines entreprises renommées. Cependant, dans une société de plus en plus
axée sur la consommation, la rentabilité et la productivité, Emmaüs pourrait
tomber sur un os… Valérie Fayard le reconnaît : « Il y a une évolution
des publics et de la pauvreté qui nous oblige à nous adapter en permanence ».
Romain
Tardino