De l’Antiquité jusqu’à la loi PACTE, en traversant les révolutions – française,
puis industrielle –, la protection de la propriété industrielle n’a cessé de se
renforcer au cours du XIXe siècle, s’appuyant sur un cadre législatif national et désormais
international avec la Convention d’Union de Paris. Les conditions de
l’obtention et de l’exploitation des trois titres de propriété industrielle que
sont les brevets, les marques, et les dessins et modèles sont désormais fixées.
Notamment la recherche d’antériorité permettant de prouver la nouveauté de
l’invention, l’originalité du dessin ou modèle, ou encore la liberté
d’exploitation d’une marque, fait apparaître des besoins nouveaux en matière de
recherche documentaire, qui amèneront l’INPI à mettre très tôt en place les
conditions d’accès à l’information sous sa forme numérique. Puis suivront la
dématérialisation des procédures et la diffusion des bases en open data,
suivant une stratégie résolument tournée vers la donnée.
Aux
origines de la propriété industrielle
La
propriété industrielle a une histoire récente. Dans l’Antiquité ou au Moyen
Âge, les créations ne génèrent pas de valeur économique en tant que telle,
n’étant pas reproductibles. En France, même si l’Ancien Régime est marqué par
le système des privilèges royaux sous la forme des concessions, les
révolutions, française et industrielle, déclenchent le besoin de protection des
créations. Les trois titres de propriété industrielle (brevets d’invention,
marques, et dessins et modèles) apparaissent au début du XIXe siècle. La
France, avec l’Angleterre et les États-Unis, est l’un des premiers pays à
légiférer en la matière, avec une mise en place progressive du cadre juridique.
Opérons un retour sur les origines de la propriété industrielle.
Les brevets d’invention
Avant la Révolution française, en raison de l’inexistence
du droit de la propriété industrielle, seul peut être obtenu un privilège
d’exploitation des innovations pour une durée maximale de quinze ans. La
reconnaissance des droits individuels des inventeurs prend lentement forme à la
fin du XVIIIe siècle avec l’émergence des idées libérales et sous l’influence
de la loi anglaise de 1623 sur les inventions, dont on retrouve la teneur dans
les cahiers des États généraux de 1789. En 1790, les États-Unis adoptent une
loi sur les brevets d’invention. Ainsi, dans son élan libertaire, la Révolution
française reconnaît à chaque citoyen le droit à inventer avec la loi du 7
janvier 1791 relative aux découvertes utiles et aux moyens d’en assurer la
propriété à leurs auteurs. Il est désormais possible de se faire délivrer un
brevet d’invention (pour cinq, dix ou quinze ans) sans examen préalable de la
nouveauté, de la valeur ou de l’existence même de l’invention. Dans son
principe, le brevet est conçu comme un contrat entre la société et l’inventeur,
offrant à ce dernier un monopole exclusif d’exploitation pour une durée
limitée. À son issue, l’invention devient la propriété de la société. Ce cadre
légal devient le principe de la législation en la matière.La convention
internationale pour la protection de la propriété industrielle, dite « d’Union
de Paris », est la première grande mesure aidant les créateurs à protéger leurs
inventions dans les autres pays signataires grâce à un droit de priorité. À
partir de cette date, les ressortissants des pays précités disposent d’un délai
de priorité de douze mois, à compter de la date du dépôt de leur demande dans
un de ces pays, pour étendre leur dépôt dans les autres pays signataires au
moyen d’une demande séparée.
Dès lors, la France crée, en 1901, un service centralisé
pour assurer la propriété industrielle, l’Office national de la propriété
industrielle (ONPI). Pour faire face à l’augmentation constante du nombre des
brevets délivrés et à la nécessité de garantir une maîtrise de l’information,
ce dispositif est renforcé par la création d’un registre national des brevets
d’invention, en 1920.
La dernière étape majeure, avant l’adoption de la loi PACTE
en 2019, est constituée par la loi du 2 janvier 1968, qui procède à une réforme
complète de la législation en reprenant l’ensemble des textes modifiés depuis
1791 et en introduisant dans le droit français les dispositions de la
Convention européenne de Strasbourg du 26 novembre 1963 sur l’unification de
certains éléments du droit matériel des brevets, notamment la preuve d’une
activité inventive et la présentation de revendications. Ces nouvelles exigences
conduisent à mettre en place un examen obligatoire, tant sur le fond que sur la
forme, de toutes les demandes de brevets avant leur délivrance, renforçant par
là même le besoin de connaissance de l’antériorité.
Les marques de fabrique et de
commerce
Si
certains auteurs font remonter l’histoire des marques à la plus Haute Antiquité,
le droit de la marque est cependant récent en France. En 1803, une première
législation relative aux manufactures, fabriques et ateliers permet aux
manufacturiers et artisans de déposer des marques auprès des tribunaux de
commerce afin de les apposer sur leurs objets et d’engager éventuellement des
actions en contrefaçon. La contrefaçon de ces marques est alors assimilée aux
faux en écriture privée et est arbitrée par les conseils de prud’hommes. Puis
la loi du 28 juillet 1824 visant à assurer la protection des noms commerciaux
apposés sur des produits, vient compléter l’arsenal judiciaire instauré à
l’encontre des contrefacteurs.
Au
milieu du XIXe siècle, lors du développement industriel, la loi du 23 juin
1857 fonde le droit des marques de fabrique et de commerce. Désormais, une
marque peut revêtir plusieurs formes. Elle peut être une dénomination, un
emblème ou tout autre signe servant à distinguer les objets commerciaux, les
produits fabriqués ou bien résultant d’une exploitation agricole. La propriété
de la marque s’acquiert alors de deux façons : elle appartient à celui qui
l’utilise le premier, ou à celui qui l’a déposée le premier. À partir de 1883,
la Convention de Paris s’applique également aux marques et aux noms
commerciaux, en permettant leur protection dans les autres pays signataires,
avec un délai de priorité de six mois.
La
loi du 31 décembre 1964 bouleverse également les règles en la matière. Une
marque est reconnue comme « un signe susceptible de représentation graphique
servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale
». Le dépôt de la marque auprès de l’INPI devient un préalable à sa propriété.
L’enregistrement de la marque est soumis à un examen portant sur sa valeur
intrinsèque ; le titulaire de la marque peut être déchu de ses droits dans le
cas où la marque a cessé d’être exploitée pendant cinq ans.
Marque de commerce et de fabrique déposée le 16
mars 1885 par Georges Vuitton
destinée à des malles et articles de voyage
(Archives INPI)
Les dessins et modèles
industriels
Au
cours d’un voyage à Lyon, en 1805, Napoléon Ier reçoit les doléances des
industriels de la soie, qui demandent que leurs dessins d’étoffes soient
protégés. Un projet de loi est adopté dès 1806. La procédure à suivre est la
simple remise d’un échantillon, sous pli fermé et scellé, au conseil de
prud’hommes. Ce dernier procède alors à l’enregistrement des dessins de
fabrique, dont les dépôts sont conservés dans des archives. En cas de
contestation entre deux fabricants, le conseil procède à l’examen des
échantillons et décide de la priorité à accorder. En 1823, le Conseil d’État
confirme l’application de la loi de 1806 à tous les autres domaines
industriels. La Convention de Paris étend aussi la protection des dessins et
modèles industriels dans les pays signataires, avec un délai de priorité de six
mois.
L’évolution
du cadre légal se poursuit avec la loi du 14 juillet 1909 qui met en place une
procédure unique de dépôt pour la France entière. Une publication des dépôts
permet de s’assurer de l’originalité du dessin ou modèle. Cela marque également
la fin des dessins et modèles déposés à perpétuité, la durée de protection
étant fixée à cinquante ans. Les créateurs obtiennent le « droit exclusif d’exploiter, vendre, faire vendre » leurs dessins et
modèles grâce à leur dépôt en sus de la protection accordée par le droit
d’auteur.
La
durée de validité d’un dessin et modèle va être progressivement réduite : tout
d’abord en 1979, avec une période unique de vingt-cinq ans, renouvelable une
seule fois ; puis les dépôts enregistrés à partir de 2001 le sont pour une
période de cinq ans, qui peut être prorogée par périodes de cinq ans jusqu’à un
maximum de vingt-cinq ans.
Aux
origines de la dématérialisation
L’INPI et les nouvelles
technologies
Ainsi, pour pouvoir jouir du monopole que confère un des droits de
propriété industrielle précités, un préalable nécessaire est la nouveauté de
l’invention, l’originalité du dessin ou modèle, ou encore la liberté
d’exploitation d’une marque. Cette assurance d’exploitation s’acquiert par une
recherche d’antériorité, en partie au sein des publications des bulletins
officiels prévus par la Convention d’Union de Paris en 1883 : « Chacune des
parties contractantes s’engage à établir un service spécial de la propriété
industrielle et un dépôt central, pour la communication au public, des brevets
d’invention, des marques de fabrique et de commerce. » La France s’est
acquittée de cette obligation avec la création du Bulletin officiel de la
propriété industrielle (BOPI) dès 1884, et la publication intégrale des textes
et planches des brevets à partir de 1902.
À
cet égard, les dispositifs de traitement de l’information sous forme papier ont
très vite montré leurs limites à la fois en termes de gestion des volumes
générés et en termes d’utilisation. À titre d’illustration, pour les domaines
scientifiques, techniques et médicaux, la demande annuelle de copies de
documents issues des brevets dans les années 1980 était d’environ 100 millions
de pages. L’Office français classait chaque année plus de 70 000 brevets,
représentant plus de 17 millions de pages.
Avec
le développement de l’informatique et de ses fabuleuses possibilités de tri et
de recherche, sont nées les bases de données documentaires, permettant
d’identifier les documents pertinents dans des corpus contenant de gros volumes
(au moyen d’une description synthétique, d’un ensemble de mots clés et d’un
résumé). C’est pourquoi l’INPI s’est lancé, dès les années 1980, dans la
réalisation de bases de données documentaires relatives aux brevets déposés en
France.
Avec
l’apparition des technologies électroniques permettant de numériser les
documents et de stocker en grand nombre les images numériques correspondantes,
des projets ont émergé pour accélérer la mise à disposition des documents
auprès des utilisateurs.
À
cet effet, l’INPI, en étroite coordination avec l’OEB, s’est lancé dans la mise
en place de dispositifs de gestion documentaire électroniques innovants. La
coopération technique entre les deux offices a joué un rôle moteur dans la
modernisation des offices de brevets non seulement au niveau européen mais
aussi au plan international grâce aux collaborations avec l’USPTO (office
américain des brevets), le SIPO (office chinois), le JPO (office japonais) et
le KIPO (office coréen). Ainsi, l’INPI a été un des premiers offices nationaux
mettant en œuvre une politique volontaire d’automatisation des tâches de
production et de diffusion de l’information.
Un projet européen structurant
Dans
ce contexte, a été lancé en 1982 l’appel d’offres DOC-DEL par la DG 13 de la
Commission européenne, avec pour objectifs de stimuler le secteur documentaire
européen et de susciter la mise en place de services d’accès à l’information
primaires sous forme électronique, en développant des infrastructures
d’archivage et de fourniture électronique de documents et en incitant les
organismes de normalisation européens à simplifier leurs procédures.
Le
projet TRANSDOC porté par l’Office français a été retenu, un projet mené en
association avec le CNRS, EDF, la Fédération nationale de la presse spécialisée
et Télésystèmes-Questel (alors filiale de France Télécom) et avec le soutien du
ministère en charge de la Recherche (MIDIST).
Ce projet,
qui vise l’étude et la mise en place d’une chaîne automatique de traitement de
documents pour les transmettre rapidement aux utilisateurs finaux, a
considérablement accéléré la numérisation des activités au sein de l’INPI, et a
permis de développer un véritable savoir-faire innovant et une réelle
compétence en informatique documentaire, tous deux reconnus à la fois au plan
national et international.
En 1985, a
été créé le Centre d’informatique documentaire de Sophia Antipolis, le CERDA
(Centre d’Étude et de Recherche Documentaire Appliquée), qui est un centre
informatique précurseur au niveau mondial, entièrement dédié à l’informatique
documentaire.
Ce centre a
mis en place une chaîne de publication électronique unique en son genre, avec
un dispositif de numérisation rapide permettant la reprise de dix ans de
publications et un système de stockage et d’accès rapide aux documents stockés
sur des disques optiques numériques (DON) gérés par un juke-box. Dans un
deuxième temps, des CD-ROM ont été utilisés, notamment par les bureaux
régionaux de l’Institut, en raison de leur facilité de duplication et
d’utilisation.
L’INPI, un précurseur en matière
de production et de diffusion de l’information
L’INPI a ainsi développé
une chaîne de publication complètement intégrée qui permettait la production
automatique des documents brevets, des bulletins officiels (BOPI), des tables
mensuelles, des éléments à envoyer à l’OEB et, bien sûr, des bases de données.
Par ailleurs, l’Office
s’est structuré en créant un service spécifique pour développer les produits
documentaires sous forme électronique dans les années 1980, entraînant les
producteurs de bases de données dans son sillage : c’est ainsi qu’il a été l’un
des membres fondateurs du groupement français des producteurs de bases et
banques de données, le GFII (Groupement français des industriels de
l’information).
En parallèle de cet
intense développement des services documentaires en matière de brevets, l’INPI
a été en mesure d’étendre ses prestations dans ses autres domaines de
compétence : les marques, les dessins et modèles ainsi que le registre national
du commerce et des sociétés et le répertoire des métiers.
Dès sa mise en place, au
début des années 1990, le service EURIDILE, un service d’accès au registre
national du commerce et des sociétés via le Minitel, a connu un très large
succès et a longtemps été un des services les plus consultés. Le service
ICIMARQUES a, quant à lui, été l’un des premiers services d’accès aux marques
déposées à être accessible à tous. En outre, grâce à une campagne de
numérisation en haute définition des logos de marques, ce même service a permis
de visualiser ces logos sur Minitel.
Cette compétence acquise
en matière de services électroniques a permis à l’INPI de se lancer très tôt
dans la dématérialisation des procédures de dépôt de demandes de titres de
propriété industrielle. C’est ainsi que l’Office a pu proposer la possibilité
de procéder aux dépôts directement sous forme électronique, dans un premier
temps (dès le début des années 2000), aux grands déposants (cabinets ou grandes
entreprises), puis, dans un deuxième temps (à partir de 2018), à l’ensemble des
déposants. C’est notamment ce qui explique que les procédures auprès de
l’Office n’aient connu aucun temps d’arrêt pendant la crise sanitaire liée à la
pandémie mondiale de 2020.
Désormais résolument
tourné vers la mise à disposition et l’exploitation de ces gisements
numériques, l’INPI s’est inscrit dans l’ouverture de ses données au travers de
son programme de licences en open data pour ses différentes bases et a ouvert
son portail de données en 2019. Également missionné pour tenir le registre des
entreprises, l’Institut est un facilitateur qui permet de mettre en résonance
les données de l’innovation et de l’économie, en offrant un accès gratuit via
son portail à 53 millions de données.
Héritier des
institutions qui l’ont précédé depuis la fin du XVIIIe siècle, l’INPI, créé en
1951, est devenu la mémoire et la représentation de l’innovation en France,
grâce à ses bases, historiques et actives, librement consultables, tout en
adoptant une stratégie résolument orientée vers la donnée et les traitements
numériques intelligents pour continuer à innover et proposer à ses utilisateurs
les services les plus performants et les plus adaptés dans un contexte
technologique foisonnant et mouvant.
Steeve Gallizia,
Chargé de la valorisation des archives
patrimoniales à l’INPI
Serge Chambaud,
Ancien directeur
du Musée des Arts et Métiers
Cet article a été publié pour la
première fois dans le numéro de novembre 2020 de Réalités industrielles, une
série des Annales des Mines.