Décédée le 28 juillet à l’âge de 93 ans,
l’avocate et femme politique Gisèle Halimi aura marqué l’histoire par son
engagement sans relâche contre les injustices, notamment celles dont sont
victimes les femmes. Au cours de sa longue carrière, deux procès feront date,
aussi bien dans l’opinion publique que dans le droit.
Tout au long de ses 93 années d’existence, Gisèle
Halimi, avocate de renom et ancienne députée de l’Isère, n’aura eu de cesse de
défier l’ordre établi. Cette « pionnière »,
comme la qualifie l’historienne Michelle Perrot dans Libération, née en 1927 à Tunis dans une famille juive et modeste,
deviendra avocate dans un milieu encore quasi exclusivement masculin, portera
et médiatisera les grandes luttes féministes des années 1970 et 1980 (droit à
l’avortement, criminalisation du viol) et sera en première ligne pour défendre
l’indépendance de l’Algérie. Elle-même se qualifie d’avocate « irrespectueuse », ce qui l’amène à
suivre sa propre voie tout en s’engageant totalement dans les combats qui lui
tiennent à cœur. « C’est une femme
qui a choisi sa vie, de bout en bout, aussi bien sur le plan professionnel que
sur le plan personnel. Elle était une femme très libre et très ouverte »,
décrit Michelle Perrot. Avocate parce que l’injustice lui est « physiquement intolérable », elle
n’hésite pas à défrayer la chronique, comme par exemple avec la signature du
Manifeste des 343, publié par Le Nouvel
Observateur en 1971, mais aussi en s’emparant des procès hautement
politiques dans l’espoir de faire bouger les lignes. Deux d’entre eux ont
marqué l’Histoire, la grande, celle des droits des femmes, et donc le droit
tout court.
1972, le procès de Bobigny
C’est un des grands procès pour défendre le droit à
l’avortement. L’histoire est terrible. À 16 ans, Marie-Claire Chevalier est
violée par un camarade de son lycée et tombe enceinte. Elle décide de se faire
avorter, en parle à sa mère qui la soutient dans sa démarche, et subit donc
cette opération illégale. En plus de l’épreuve psychologique et physique de l’avortement,
son choix la mènera devant les tribunaux. Gisèle Halimi accepte de défendre la
jeune fille avec toutefois l’idée d’une stratégie très précise : en faire
un procès politique et surtout médiatique pour que cesse le « scandale du silence ». L’accusée
doit garder la tête haute malgré les injures, elle n’a rien à se reprocher car
la culpabilité n’est pas de son côté. La mère de Marie-Claire Chevalier,
également poursuivie pour complicité, dira même au juge d’instruction dès sa
première rencontre : « Mais,
Monsieur le juge, je ne suis pas coupable ! C’est votre loi qui est
coupable ! ».
Dans un entretien au Monde, l’avocate de Marie-Claire se
souvient : « Alors, oui, j’ai
choisi d’en faire un procès politique et de m’adresser, au-dessus de la tête
des magistrats, à l’opinion publique et au pays. Les accusées reconnaissaient
les faits, ne s’en excusaient pas, ne les regrettaient pas. Et, avec leurs
témoins, elles faisaient le procès d’une loi et d’un système ineptes. Pendant
que je plaidais, j’entendais la foule, aux portes du tribunal, crier avec
Delphine Seyrig : “Libérez Marie-Claire !” ou ”Nous avons toutes avorté !”
Ça porte, vous savez. Comme la colère que je ressentais devant ces hommes qui
allaient nous juger et qui ne savaient rien de la vie d’une femme. »
L’opinion se range majoritairement derrière Marie-Claire
Chevalier et le droit à disposer de son corps s’impose dans la société. La
jeune fille est relaxée, et, à la sortie du procès, Gisèle Halimi est
applaudie. Devant les caméras, elle sait déjà que le moment est
historique : « Le procès […] a
marqué un pas irréversible. » Pas de retour en arrière mais bien plus
encore, l’affaire est un accélérateur pour le droit à l’avortement. « Ce procès va jouer un rôle crucial dans la
mobilisation des femmes à l’époque, et de certains hommes aussi. C’est ce
procès qui conduira ensuite au vote de la loi Veil, qui dépénalisera
l’avortement en janvier 1975 », retrace l’historienne Michelle Perrot.
1978, le procès d’Aix
Dans la nuit du 21 au 22 août 1974, Anne Tonglet et
Araceli Castellano, deux touristes belges, sont violées et battues pendant
plusieurs heures par trois hommes dans une calanque de Marseille. Trois ans
plus tard, Gisèle Halimi défend Anne Tonglet devant le tribunal des
Bouches-du-Rhône. Or, à cette époque, le viol n’est pas encore considéré comme
un crime, contrairement à ce que réclament les militantes féministes. Pour ce
procès, l’objectif de Gisèle Halimi est « que l’on puisse parler du viol et dire que les femmes n’en sont pas
coupables, qu’elles n’ont pas à garder le silence, se souvient Michelle Perrot.
Dans la longue histoire des femmes contre les violences sexuelles, ce fut une
action décisive, une parole essentielle, un acte aussi important que ce qu’elle
avait fait pour le droit à l’avortement ». Un nouveau combat loin
d’être gagné d’avance. Au micro de FranceInfo, Anne Tonglet raconte l’ambiance
délétère au moment de l’affaire. « On
nous a craché dessus, on nous a insultées, on nous a bousculées. Gisèle Halimi
a été menacée de mort, encore après le procès. » Pour elle, « il y avait 5 % de chances qu’on puisse faire
reconnaître le viol comme crime tellement cette société était patriarcalisée à
l’extrême, c’était des mentalités pires que moyenâgeuses. Moi, je m’attendais à
ce qu’on perde. » L’avenir lui donnera pourtant tort. Les trois
hommes, qui plaidaient non coupable, sont condamnés. Le procès prépare le
terrain à la loi de 1980 qui reconnaît le viol comme un crime. « Gisèle en a fait un procès extraordinaire.
Généralement, ce genre d’affaires n’avait pas beaucoup d’importance. Gisèle en
a fait véritablement un procès éclatant, à la suite duquel la loi sur le viol a
été profondément modifiée. C’est sur cette loi que se sont appuyées ensuite
toutes celles qui ont porté plainte pour viol », contextualise
Michelle Perrot. L’historienne ajoute : « Elle est entrée dans l’histoire. Elle a fait l’histoire. »
C’est donc un bout d’histoire qui s’est éteint ce 28 juillet.
Maïder Gérard