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EMPREINTES D'HISTOIRE. Quel poète français abolitioniste a demandé au temps de suspendre son vol chez le roi des marmottes ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. Quel poète français abolitioniste a demandé au temps de suspendre son vol chez le roi des marmottes ?
Abbaye de Hautecombe, sa grange batelière. Lamartine à Aix-les-Bains © Étienne Madranges
Publié le 21/01/2024 à 07:00

Cette semaine, notre chroniqueur Etienne Madranges nous emmène dans les Alpes sur les rives du lac du Bourget puis à Mâcon dans les pas d’Alphonse de Lamartine dont on découvre l’engagement pour l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort ainsi que l’admiration, méconnue mais peut-être feinte, pour le Prophète de l’Islam.

Il naît à Mâcon le 21 octobre 1790, le jour même où Mirabeau, dans un climat tendu, obtient par son éloquence de l’Assemblée nationale l’adoption du drapeau tricolore se substituant au drapeau royal blanc. « Vive la Nation, la loi et le roi » remplace « vive le roi ».

C’est un personnage hors du commun.

Chantre de la romantique poésie, de la mélancolique élégie et de la mythique tragédie, adepte de la conservatrice monarchie avant de devenir le héraut de la populaire démocratie, écrivain à la plume parfois lyrique se dispersant dans le maquis des jeux de pouvoir, c’est un grand voyageur quelque peu égaré en politique.

La Saône-et-Loire est son terroir. La Savoie sera source d’un passager désespoir. Paris sera son exutoire.

Alphonse de Lamartine habite successivement à Milly puis à Saint Point, en Saône et Loire, dans des demeures familiales.

Milly deviendra par la suite Milly-Lamartine, à l’image de ces autres communes qui changeront de nom après la domiciliation ou l’action sur leur territoire de personnages célèbres, comme La Haye-en-Touraine (Indre-et-Loire) devenant La Haye-Descartes puis tout simplement Descartes en 1967, Ferney (Ain) devenant Ferney-Voltaire, ou encore Le Bignon (Loiret) devenant Le Bignon-Mirabeau.

En octobre 1816, le pays est gouverné par le duc de Richelieu qui préside le Conseil des ministres sous l’autorité de Louis XVIII ; le territoire est occupé par plus d’un million de soldats étrangers. Agé de 26 ans, le jeune Bourguignon quitte momentanément la France pour se rendre en Savoie* au pied des Bauges, à Aix-les-Bains, cité thermale plantée au bord du lac du Bourget connue pour ses sources chaudes apaisantes aux multiples vertus. Après la défaite de l’empire napoléonien, la Savoie, française depuis son annexion pendant la Révolution, mais appartenant auparavant au royaume de Sardaigne, est redevenue sarde. Le roi Victor-Emmanuel 1er est rentré d’exil et a retrouvé son trône. On se plait à dire que ses sujets ont dormi pendant 20 ans, et on surnomme dès lors le monarque le… roi des marmottes.

Lamartine loge donc au pays du roi des marmottes, à Aix dans une pension appartenant à un médecin. Dans une chambre contiguë se trouve une jolie femme créole âgée de 32 ans, Julie Charles. Plutôt timide, aimant la solitude, elle est à Aix pour soigner sa tuberculose. Née Bouchaud des Hérettes, elle a épousé le célèbre physicien Jacques Charles, de 38 ans son aîné, connu pour avoir inventé l’altimètre et avoir fait voler le premier ballon à hydrogène.

Julie est royaliste. Alphonse est monarchiste. Il ne deviendra républicain que plus tard.

Alphonse et Julie se promènent au hasard des rues, puis le badaudisme cède vite le pas au romantisme. Ils flânent sur les rives du lac, admirent l’abbaye de Hautecombe qui domine les flots (voir image), voguent parfois sur les eaux qui reflètent monts et forêts, passent devant la grange batelière, s’extasient devant la nature, nouent une idylle dans une grotte, échangent des mots ravissants.

L’année suivante, en 1817, Lamartine revient à Aix pour y revoir sa bienaimée, mais l’amante chérie tant attendue, bientôt emportée par la maladie, n’est plus sur le rivage lacustre. Il ne la reverra pas.

Le poète, malheureux devant les roseaux qui soupirent dans le zéphyr gémissant sous la molle clarté de l’astre au front d’argent qui blanchit les eaux calmes écrit alors son plus beau poème, qui inspirera d’autres artistes et des compositeurs de musique, « le Lac », avec cette emblématique strophe romantique :

« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
 »

Peu à peu le souvenir s’estompe. Ephémère diplomate, Lamartine épouse une artiste d’origine britannique qui sera la première femme modèle pour un buste de Marianne. Elle l’aide à restaurer le château familial de Saint-Point.

 

La ville de Mâcon a mis en place un parcours (en haut à gauche) et son musée des Ursulines est consacré à Lamartine, 
son portrait, une représentation du château de Saint-Point, la reconstitution de son bureau, des souvenirs



Il devient un touche-à-tout à la culture éclectique, se battant pour la liberté de la presse ou encore l’éducation gratuite. Il s’intéresse à de grands personnages.

Ainsi, il consacre une pièce de théâtre en vers au héros de l’indépendance haïtienne, le général Toussaint-Louverture, ancien esclave affranchi, mort de maladie en 1803 car privé de soins dans sa cellule au château de Joux à La Cluse-et-Mijoux (Doubs), là-même où Mirabeau avait été « embastillé » 18 ans auparavant à la demande de son père avant de prendre la fuite avec une jeune pontissalienne, épouse d’un vieux marquis président de la Cour des comptes de Dole.

Chevalier de la Légion d’honneur, académicien français, député dans le Nord puis en Bourgogne dans sa ville natale, Macon, puis à Paris, enfin ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement provisoire de 1848, il signe le décret d’abolition de l’esclavage.

Le texte de la constitution de la Seconde République du 4 novembre 1848 « adoptée en présence de Dieu et au nom du Peuple français », lui doit beaucoup. Ce texte place protocolairement le pouvoir législatif avant le pouvoir exécutif, associe un vice-président au président de la République, abolit la peine de mort en matière politique, institue la gratuité de la justice exercée par des juges nommés à vie.

Lamartine se présente à l’élection présidentielle, dont il a obtenu qu’elle se déroulât au suffrage universel. Il obtient près de 18 000 voix, tandis que Louis Napoléon Bonaparte est élu avec cinq millions et demi de voix. Peu quérulent, il se soumet et s’éloigne de la politique.

On lui doit la formule : « Une conscience sans Dieu, c’est un tribunal sans juge ». Mais tout en demeurant dans la foi chrétienne, il plonge dans le Coran et la vie du Prophète de l’Islam en commettant un ouvrage semblant apologético-dithyrambique, « La vie de Mahomet », dans lequel il écrit :

« Jamais homme n'accomplit en moins de temps une si immense et durable révolution dans le monde … Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l'immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l'homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l'histoire moderne à Mahomet ?... il a remué des idées, des croyances, des âmes. Il a fondé sur un Livre dont chaque lettre est devenue une loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues… Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d'idées, restaurateur de dogmes rationnels, d'un culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d'un empire spirituel, voilà Mahomet. A toutes les échelles où l'on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand ? ».

En réalité, l’exégèse de l’intégralité du texte laisse un doute sur sa réelle admiration pour le Prophète qui pourrait sembler feinte et intéressée, Lamartine s’étant inspiré de textes non historiques et son discours n’étant pas toujours celui d’un laudateur. Certains verront même une certaine hypocrisie dans son analyse de la religion musulmane.

Fervent partisan de l’abolition de la peine de mort et ne supportant plus les exécutions capitales, évoquant « un meurtre social », il s’écrie devant les députés : « L’abolition systématique de la peine de mort dans nos lois serait une intimidation et un exemple plus puissant conte le crime que des gouttes de sang répandues de temps en temps, si stérilement, devant le peuple, comme pour lui en conserver le goût… la nécessité de la peine de mort est controversée par tous… la loi du talion est la loi des temps de barbarie… ».

Il écrit même un poème intitulé « Contre la peine de mort »** dans lequel il se demande si des têtes sans troncs sont « l’offrande d’un grand peuple à la liberté » et dans lequel il évoque, outre « le carnage civique » et « la fange des échafauds » le poète André Chénier, adversaire de Robespierre, guillotiné à 31 ans le Thermidor de l'an II (25 juillet 1794) après avoir entendu Fouquier-Tinville lui dire : « La République n’a pas besoin de poètes » :

« Souviens-toi du jeune poète,
Chénier ! dont sous tes pas le sang est encor chaud,
Dont l’histoire en pleurant répète
Le salut triste à l’échafaud.
Il rêvait, comme toi, sur une terre libre
Du pouvoir et des lois le sublime équilibre ;
Dans ses bourreaux il avait foi !
Qu’importe ? il faut mourir, et mourir sans mémoire :
Eh bien ! mourons, dit-il. Vous tuez de la gloire :
J’en avais pour vous et pour moi !
 

Lamartine ? Un artiste du Romantisme dans toute sa spontanéité et sa fécondité, un humaniste des Lumières au XIXe siècle, noble par son origine, ses sentiments et ses engagements.

Etienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n°207

* La Savoie ne deviendra française qu’en 1860
** Les différentes phases de la vie de Lamartine et ses engagements ne sont pas ici relatés dans l’ordre chronologique

 

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