Le 13 décembre 2017, le tribunal de grande
instance de Créteil a lancé son unité des modes amiables de résolution des
différends (UMARD) afin de développer efficacement dans le Val-de-Marne la
médiation, la conciliation de justice, la convention de procédure participative
et le droit collaboratif. Pour le président du TGI, Stéphane Noël, qui a
accordé un entretien au Journal Spécial des Sociétés, il s’agit de déclencher « une révolution culturelle ».
Pourquoi avoir créé une
unité des modes amiables de résolution des différends ?
La médiation est un sujet qui est déjà ancien dans
l’organisation judiciaire ou dans les processus civils puisque cela fait plus
de vingt ans
qu’on nous invite à y recourir. Cela s’organise donc progressivement, nous
réalisons d’ailleurs des progrès en matière familiale. Mais, cela a toujours
été une possibilité sans que ce soit contraignant.
La justice est asphyxiée en matière civile, sociale
et commerciale, il est donc nécessaire de s’interroger maintenant activement
sur une nouvelle manière d’appréhender les choses. C’est pourquoi nous avons
réuni l’ensemble des juridictions du Val-de-Marne et des magistrats concernés
par ces procédures (TI, TGI, prud’homme et TC), avec pour volonté de faire un
état des lieux de ce que représente la médiation familiale dans le département
et de se demander : « Comment peut-on s’engager plus activement
pour être porteur ou coporteur d’une révolution culturelle ? ».
L’idée étant d’être plus offensif que nous ne l’avons été jusqu’à présent, et
d’identifier un certain nombre de procédures qui ne relèverait plus du
traitement traditionnel par le juge, mais par des personnes qualifiées, des
médiateurs, des conciliateurs et aussi des avocats dans le cadre de ce que nous
appelons la procédure participative. Ici, l’acteur s’approprie davantage les
enjeux du litige pour trouver avec les parties des solutions constructives à
leur litige. C’est cela l’enjeu de la médiation : c’est une solution
coconstruite par les parties. Plutôt que d’être dans une cristallisation du
conflit avec le procès, on est dans la recherche d’une solution. C’est ce qu’on
veut porter comme état d’esprit général.
Ensuite, nous souhaitons mettre en place un circuit
de procédure particulier. Cela commencerait dès la saisine où une plus grande
attention serait attendue de la part du juge et où il devrait se
demander : « est-ce que l’affaire dont je suis saisi ne pourrait
pas trouver une solution dans le cadre de la médiation ? ». Puis,
lorsque l’affaire revient, s’il y a un accord, qu’on l’homologue le plus vite
possible, et s’il n’y a qu’un accord partiel dans le cadre de la médiation, que
ces affaires-là reviennent prioritairement pour que le juge tranche.
Dans le cas où les parties ne voudraient pas d’une médiation, le
juge doit être plus contraignant à travers une application particulière de
l’article 700 du Code de procédure civile et éventuellement de l’amende
civile. Il s’agit de dire : « C’est un procès inutile, vous devez
trouver une solution parce que la nature du litige s’y prête ».
Nous avons également souhaité associer les professionnels du
droit : les avocats, les huissiers et les notaires. Les avocats sont des
professionnels formés qui ont une très bonne connaissance de la procédure, des
litiges, et qui en plus connaissent la jurisprudence d’un tribunal. Ils peuvent
donc dire à leur client « nous pouvons engager un procès, mais regardez
ce que le tribunal va décider ». Les barreaux aussi doivent changer de
culture et prendre en compte les enjeux de la procédure participative. L’avocat
comme source de solution au litige doit être davantage développé. Certains
avocats se forment déjà et sont volontaires, mais l’idée avec le barreau de
Créteil est de franchir une étape.
Quel est l’intérêt pour
le TGI de développer la médiation ? Le but est-il de désengorger ?
Désengorger n’est pas la finalité première, car ce
n’est pas avec cela que nous y arriverons. Parce que toutes les affaires ne s’y
prêtent pas et parce que toutes les parties à ce jour ne le veulent pas. Il
faut promouvoir une nouvelle culture du contentieux civil, social et commercial
pour que ça change.
Il y a quand même l’idée
que cela accélérerait la résolution des litiges ?
Un particulier ou une société qui engage un procès
sait quand celui-ci commence, mais pas quand il se termine. Cela génère
beaucoup d’attente et de frustration et le résultat ne donne pas toujours
complète satisfaction. De plus, le jugement n’est parfois que le point de
départ d’une nouvelle négociation entre parties. Avec la médiation, l’idée est
de se dire : « Prenons une autre voie ».
Quel est le bilan de
l’année 2016 en matière de médiation ?
En matière familiale, au TGI de Créteil, c’est 54 informations collectives
et 1 634 informations
individuelles. Les gens reconnaissent que c’est une manière de construire une
solution qui est acceptée par tout le monde, et cela permet souvent de
désamorcer le conflit et de bâtir quelque chose de solide dans la durée.
Culturellement, il y a eu une grande évolution en l’espace d’une bonne dizaine
d’années. En terme d’affaires civiles, c’est beaucoup plus faible, seulement
une dizaine parce que ce n’était pas dans la culture du juge. Il faut faire
changer les mentalités. Il n’y avait pas assez de médiateurs et pas forcément
non plus l’appétence du barreau pour accepter la médiation.
Quelles sont les
barrières à faire tomber ?
Le juge doit accepter l’idée qu’il n’est pas
forcément le meilleur acteur pour régler un litige. Ce raisonnement à l’encontre
de toute la culture de judiciarisation que nous connaissons depuis quarante ans, qui consiste à dire
que tout problème de la société a une réponse judiciaire et que le juge, « tout-puissant »,
est le seul régulateur de certains conflits et de certains litiges. La justice,
c’est une vision très autoritaire et très verticale. La médiation, c’est
complètement différent. On est face à un
process horizontal : j’ai un litige, j’ai un contradicteur. Mettons-nous
autour de la table et discutons.
L’autre problème c’est la formation des médiateurs,
mais la situation est en train de changer : il y a maintenant des
instituts de formation, vous avez de bons juristes qui s’y sont formés, des
magistrats et aussi des avocats. L’autre obstacle, c’est le coût, car il faut
reconnaître que cela en représente un pour les parties. Mais, une procédure qui
dure (conclusion, procédure de mise en état, des jugements intermédiaires,
etc.) dans le temps c’est encore plus cher.
Quels sont les avantages
de la solution judiciaire pour les affaires civiles et familiales ?
Lorsqu’on l’on met les deux en balance la question
est naturelle : il y a d’un côté le process autoritaire et impératif que
représente le juge et puis il y a la médiation qui consiste à dédramatiser et à
trouver une solution. Cependant, tout ne peut pas aller en médiation. Dès qu’il
y a violence conjugale, violence sur enfant, quand les situations sont très
tendues, ce n’est pas la meilleure solution. En revanche, lorsque l’on est face
à des enjeux de tension familiale autour de la garde, de la résidence, des
droits de visite, de la pension ça vaut le coup de tenter de trouver une
solution apaisée. Un autre exemple : les enjeux liés à la copropriété.
Dans ce domaine, il est possible d’obtenir facilement des solutions.
Avez-vous des objectifs
chiffrés ?
Non. Je veux déjà faire évoluer, en quelque sorte, « les
mentalités judiciaires ». Mais ce qui peut se produire, si une
dynamique se crée, c’est de voir une évolution rapide des pratiques. Cependant,
cela nécessite beaucoup d’investissement des acteurs judiciaires.
La solution trouvée par la première présidente de la
cour d’appel de Paris, Chantal Arens, est de développer et partager les
pratiques. Actuellement, la médiation n’est pas recensée dans l’activité d’une
juridiction, ni en termes d’activité, ni en termes de performance, mais elle
pourrait devenir un indicateur. Nous pourrions parfaitement dire dans chaque
juridiction, en plus des affaires qui rentrent et qui sortent, il y a celles
qu’on renvoie en médiation et puis on suit leur évolution. Je n’attends pas de
résultat chiffré, je n’attends pas que l’on passe en quelques mois de la nuit
au jour. J’attends que l’on enclenche quelque chose.
Propos recueillis par Victor Bretonnier
État des lieux de la médiation au TGI de Créteil en
2016
• 23 mesures de médiation ont été ordonnées en 2016 dans le domaine
civil, hors médiation familiale.
• En matière familiale,
le TGI de Créteil travaille avec 4 associations. En 2016, 54 informations
collectives
et 1 634 informations individuelles ont été organisées par ces
associations.
• 324 mesures de
médiation ont été terminées et se sont tenues 900 séances de médiation.
• Une
permanence de médiation familiale a lieu chaque jour au TGI.