DROIT

I.Avocat, une nouvelle application « révolutionnaire » dans le viseur de la profession

I.Avocat, une nouvelle application « révolutionnaire » dans le viseur de la profession
Publié le 05/01/2024 à 13:00

Cette application se pique d’être « le cauchemar des avocats » en proposant aux justiciables un « avocat de poche » - comprendre : une aide juridique via un algorithme d'intelligence artificielle - et ce, à moindre coût. Un outil toutefois contesté, qui rencontre de nombreuses limites.

I.Avocat : mais quelle est donc cette nouvelle application dans le viseur des avocats ? En effet, le Barreau de Paris viendrait de mettre en demeure l’entrepreneur concerné de retirer son application de l’Appstore, où elle se trouvait depuis quelques jours seulement, rapporte BFM Lyon ce vendredi 5 janvier.

Proposer une solution d’intelligence artificielle (IA) qui se substitue, dans certains cas, à un avocat, c’est ce que prétend offrir Issam Reghi, un entrepreneur lyonnais, grâce son application mobile, qui a fait son apparition le 29 décembre 2023 dans le catalogue d’application d’Apple, en attendant d’être disponible sur les autres smartphones. Le créateur de la plateforme se targue de vouloir rendre le monde plus juste en mettant la loi à la disposition de tous grâce à un avocat « virtuel » et de « poche », rien que ça.

Un problème de confidentialité parmi de nombreuses anomalies

Le système de fonctionnement de l’application est relativement simple. I.Avocat a accès à l'ensemble des textes juridiques grâce à son algorithme et permet à l’utilisateur de trouver des textes de loi plus rapidement qu’en consultant des documents papier. Chose déjà rendue possible de longue date via Legifrance dans un premier temps, puis, depuis, et de façon plus aboutie, sur d’autres applications comme LegiGPT, qui propose un chatbot pour répondre aux questions juridiques des Français… mais gratuitement.

Lorsque vous lui soumettez une demande via sa fenêtre de chat, similaire dans son esthétique et dans son fonctionnement à celle de ChatGPT, I.Avocat est donc en mesure de proposer une solution à la problématique juridique que vous rencontrez, dans le cadre de « petits litiges » précise-t-elle.

Mais attention, de façon bien plus personnalisée, car il est ici possible pour l’utilisateur d’ « importer » ses affaires judiciaires ; ou du moins, les documents PDF qui leur sont relatifs. Une fois le téléchargement effectué, l'application se charge d'analyser les cas qui lui ont été soumis et de répondre aux problématiques qui leur sont liées tout en se basant sur le profil, la situation, les antécédents de la personne.

Un siège à Dubaï qui suscite des interrogations

Oui mais voilà, ce téléchargement serait pointé du doigt en matière de confidentialité, selon BFM Lyon, « alors que le secret de l'instruction est l'une des règles en matière de droit » et qu’il n’y a « pas de certitudes sur la destination des données ». Or, « une rapide inspection permet de constater que le siège de cette start-up est situé à Dubaï ». Les éventuels litiges entre les utilisateurs et l’application seraient donc soumis à cette législation. Pas top.

Sur les réseaux sociaux, de plus en plus d’internautes nourrissent la controverse et pointent du doigt d’autres anomalies. « Le site web de la "société" à l'origine de l'appli est d'un amateurisme fou. Les termes légaux sont de bêtes copiés-collés. Il manque des obligations légales. Le sujet est clairement pas maitrisé, dommage pour une appli orienté "juridique" », affirme notamment un développeur web sur Twitter. « Super boulot ! (…) [L’application] vous invente des lois, comme la loi du 30 juillet 2020 sur le protoxyde d’azote citée ci-dessous, qui n’existe pas » ironise de son côté Maître Eolas, avocat et « twittos » reconnu.

Une communication mensongère ?

Autre problème identifié : la communication bancale et racoleuse, voire mensongère, qui entoure I.Avocat.

Tout d’abord, le compte X (anciennement Twitter) relié à l’application l’assure : l’application va devenir « le rêve des clients, le cauchemar des avocats ». Tout semble donc indiquer à première vue que l'objectif commercial d'I.Avocat est de proposer aux citoyens lambda une alternative au conseil d’un avocat, et ce, pour des affaires relativement simples, comme évoqué précédemment.

Sauf que le service semble également proposer aux juristes un moyen de faire eux aussi leurs recherches juridiques, comme le montre une vidéo promotionnelle dans laquelle une personne présentée comme avocate dresse un feedback de l’utilisation de l’application, qu’elle qualifie de « révolutionnaire », expliquant que cette dernière peut notamment permettre d’obtenir des réponses à des questions de procédure « au lieu de passer un temps fou à les chercher », particulièrement dans des matières dans lesquelles la profession n’est « pas spécialiste ».

Si ce raisonnement se tient, la cible n’est donc finalement pas si claire, et la communication plutôt contradictoire, car si on en croit la publicité qui entoure l’application, l’avocat pourrait donc passer en un clin d’œil du « cauchemar » de se faire dérober ses clients par une IA… à l’utilisation active et enthousiaste de cette même IA. Etrange !

Plus important que cela, bien que sur le papier, I.Avocat puisse passer pour une solution avantageuse à destination des personnes ne pouvant pas s’offrir les services d'un avocat, de là à se faire défendre par celle-ci lors d’un vrai procès, il y a évidemment un gouffre. Et pourtant, c’est l’idée sur laquelle surfe la campagne, notamment via une vidéo promotionnelle qui cultive l’ambiguïté, où trois personnes sortant d’un tribunal laissent entendre qu’elles gagné leur procès grâce à l’application ; mais aussi via la mention « avocat de poche » mentionnée par l’offre. Une mention qui, juridiquement, pourrait poser quelques problèmes. D’ailleurs, c’est notamment cette approche promotionnelle qui aurait engendré des crispations du côté du Barreau de Paris. De son côté, interrogé par BFM Lyon, le créateur de la plateforme indique avoir voulu créer un « bad buzz ».

Une application pas si bon marché et sans période d’essai

Si l’on veut pinailler, on remarquera que bien que la promesse d’une solution « à moindre coût  » semble, cette fois, respectée, I.Avocat proposant sa formule de base à 69 euros par an, incluant le chat « question/réponse » avec l'IA (bien que certaines solutions équivalentes, comme on l’a vu, soient gratuites), et une formule premium à hauteur de 149 euros par an, notons cependant qu'aucune option d'accès gratuit pour une période d'essai n'est offerte pour tester l'application, bien que cela soit visiblement à l’étude, d’après les informations que l’on peut trouver à ce sujet sur X.  

En fin de compte, I.Avocat, avant d’être « révolutionnaire », semble surtout en mauvaise posture. De plus, visiblement lancé par un entrepreneur qui ne semble pas issu du monde du droit (mais plutôt de la boxe thaïlandaise) et promu par des influenceurs (tels que Medave Prod ou encore ByJenaate) également étrangers à ce domaine, ce projet ne peut qu’inspirer une certaine méfiance, bien qu’Issam Reghi affirme que cet outil aurait été perfectionné par une équipe d'avocats, sans forcément préciser leurs noms, dans le but d'améliorer l'IA.Haut du formulaire

Bref, si l’application ne convainc pas, voire semble peu fiable pour l’heure, en matière de bad buzz en tout cas, les attentes sont respectées : difficile de faire mieux !Haut du formulaire

 

Romain Tardino

Bérengère Margaritelli

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