Cette application se pique d’être « le
cauchemar des avocats » en proposant aux
justiciables un « avocat de poche » - comprendre : une aide juridique via un algorithme d'intelligence artificielle - et ce, à moindre coût. Un outil toutefois
contesté, qui rencontre de nombreuses limites.
I.Avocat : mais quelle est
donc cette nouvelle application dans le viseur des avocats ? En effet, le
Barreau de Paris viendrait de mettre en demeure l’entrepreneur concerné de
retirer son application de l’Appstore, où elle se trouvait depuis quelques
jours seulement, rapporte BFM Lyon ce vendredi 5 janvier.
Proposer une solution
d’intelligence artificielle (IA) qui se substitue, dans certains cas, à un
avocat, c’est ce que prétend offrir Issam Reghi, un entrepreneur lyonnais,
grâce son application mobile, qui a fait son apparition le 29 décembre 2023
dans le catalogue d’application d’Apple, en attendant d’être disponible sur les
autres smartphones. Le créateur de la plateforme se targue de vouloir rendre le
monde plus juste en mettant la loi à la disposition de tous grâce à un avocat « virtuel » et de « poche », rien que ça.
Un problème de confidentialité
parmi de nombreuses anomalies
Le système de fonctionnement de
l’application est relativement simple. I.Avocat a accès à l'ensemble des textes
juridiques grâce à son algorithme et permet à l’utilisateur de trouver des
textes de loi plus rapidement qu’en consultant des documents papier. Chose déjà
rendue possible de longue date via Legifrance dans un premier
temps, puis, depuis, et de façon plus aboutie, sur d’autres applications comme LegiGPT,
qui propose un chatbot pour répondre aux questions juridiques des Français…
mais gratuitement.
Lorsque vous lui soumettez une
demande via sa fenêtre de chat, similaire dans son esthétique et dans son
fonctionnement à celle de ChatGPT, I.Avocat est donc en mesure de proposer une
solution à la problématique juridique que vous rencontrez, dans le cadre de
« petits litiges » précise-t-elle.
Mais attention, de façon bien
plus personnalisée, car il est ici possible pour l’utilisateur d’ « importer »
ses affaires judiciaires ; ou du moins, les documents PDF qui leur sont
relatifs. Une fois le téléchargement effectué, l'application se charge
d'analyser les cas qui lui ont été soumis et de répondre aux problématiques qui
leur sont liées tout en se basant sur le profil, la situation, les antécédents de
la personne.
Un siège à Dubaï qui suscite des
interrogations
Oui mais voilà, ce téléchargement serait pointé du
doigt en matière de confidentialité, selon BFM Lyon, « alors que
le secret de l'instruction est l'une des règles en matière de droit » et
qu’il n’y a « pas de certitudes sur la destination des données ». Or,
« une rapide inspection permet de constater que le siège de cette start-up
est situé à Dubaï ». Les éventuels litiges entre les utilisateurs et
l’application seraient donc soumis à cette législation. Pas top.
Sur les réseaux sociaux, de plus en plus d’internautes
nourrissent la controverse et pointent du doigt d’autres anomalies. « Le
site web de la "société" à l'origine de l'appli est d'un amateurisme
fou. Les termes légaux sont de bêtes copiés-collés. Il manque des obligations
légales. Le sujet est clairement pas maitrisé, dommage pour une appli orienté
"juridique" », affirme notamment un développeur web
sur Twitter. « Super boulot ! (…) [L’application] vous invente
des lois, comme la loi du 30 juillet 2020 sur le protoxyde d’azote citée
ci-dessous, qui n’existe pas » ironise de son côté Maître Eolas,
avocat et « twittos » reconnu.
Une communication
mensongère ?
Autre problème identifié :
la communication bancale et racoleuse, voire mensongère, qui entoure I.Avocat.
Tout d’abord, le compte X
(anciennement Twitter) relié à l’application l’assure : l’application va
devenir « le rêve des clients, le cauchemar des avocats ».
Tout semble donc indiquer à première vue que l'objectif commercial d'I.Avocat
est de proposer aux citoyens lambda une alternative au conseil d’un avocat, et
ce, pour des affaires relativement simples, comme évoqué précédemment.
Sauf que le service semble
également proposer aux juristes un moyen de faire eux aussi leurs recherches
juridiques, comme le montre une vidéo promotionnelle dans laquelle une personne
présentée comme avocate dresse un feedback de l’utilisation de l’application,
qu’elle qualifie de « révolutionnaire », expliquant que cette
dernière peut notamment permettre d’obtenir des réponses à des questions de
procédure « au lieu de passer un temps fou à les chercher »,
particulièrement dans des matières dans lesquelles la profession n’est « pas
spécialiste ».
Si ce raisonnement se tient, la
cible n’est donc finalement pas si claire, et la communication plutôt
contradictoire, car si on en croit la publicité qui entoure l’application,
l’avocat pourrait donc passer en un clin d’œil du « cauchemar »
de se faire dérober ses clients par une IA… à l’utilisation active et
enthousiaste de cette même IA. Etrange !
Plus important que cela, bien que
sur le papier, I.Avocat puisse passer pour une solution avantageuse à
destination des personnes ne pouvant pas s’offrir les services d'un avocat, de
là à se faire défendre par celle-ci lors d’un vrai procès, il y a évidemment un
gouffre. Et pourtant, c’est l’idée sur laquelle surfe la campagne, notamment
via une vidéo promotionnelle qui cultive l’ambiguïté, où trois personnes
sortant d’un tribunal laissent entendre qu’elles gagné leur procès grâce à
l’application ; mais aussi via la mention « avocat de poche » mentionnée par l’offre. Une mention qui, juridiquement, pourrait poser quelques
problèmes. D’ailleurs, c’est notamment cette approche promotionnelle qui aurait
engendré des crispations du côté du Barreau de Paris. De son côté, interrogé
par BFM Lyon, le créateur de la plateforme indique avoir voulu créer un « bad
buzz ».
Une application pas si bon marché
et sans période d’essai
Si l’on veut pinailler, on
remarquera que bien que la promesse d’une solution « à moindre coût » semble, cette fois, respectée, I.Avocat
proposant sa formule de base à 69 euros par an, incluant le chat « question/réponse »
avec l'IA (bien que certaines solutions équivalentes, comme on l’a vu, soient
gratuites), et une formule premium à hauteur de 149 euros par an, notons
cependant qu'aucune option d'accès gratuit pour une période d'essai n'est
offerte pour tester l'application, bien que cela soit visiblement à l’étude,
d’après les informations que l’on peut trouver à ce sujet sur X.
En fin de compte, I.Avocat, avant
d’être « révolutionnaire », semble surtout en mauvaise posture.
De plus, visiblement lancé par un entrepreneur qui ne semble pas issu du monde
du droit (mais plutôt de la boxe thaïlandaise) et promu par des influenceurs (tels
que Medave Prod ou encore ByJenaate) également étrangers à ce domaine, ce
projet ne peut qu’inspirer une certaine méfiance, bien qu’Issam Reghi affirme que cet outil aurait été perfectionné
par une équipe d'avocats, sans forcément préciser leurs noms, dans le but
d'améliorer l'IA.Haut du formulaire
Bref, si l’application ne
convainc pas, voire semble peu fiable pour l’heure, en matière de bad buzz en
tout cas, les attentes sont respectées : difficile de faire mieux !Haut du formulaire
Romain Tardino
Bérengère Margaritelli