DROIT

JO : protéger l'institution, valoriser la performance et les qualités du sportif

JO : protéger l'institution, valoriser la performance et les qualités du sportif
Publié le 08/05/2024 à 10:40

De nombreuses règles strictes encadrent le droit à l’image des athlètes pendant les JO, particulièrement convoités par les grandes marques qui espèrent associer des produits à leur image.

L’image des sportifs fait rêver. Pour les entreprises, ils permettent d’associer à leurs produits des valeurs très positives. Les sportifs sont les « meilleurs représentants de la fameuse expression ‘esprit sain dans un corps sain’ », souligne Vincent Mauriac, avocat associé chez Mauriac Avocats (1).

Les sportifs permettent aux entreprises de communiquer « en mettant en avant des qualités humaines indéniables », comme « l’abnégation, le partage, le courage, le respect, la performance, la santé », poursuit-il. Dès qu’un athlète atteint une certaine notoriété, les entreprises vont chercher à signer un contrat avec lui dans lequel il s’engage à céder tout ou partie de ses droits à l’image, c’est-à-dire un contrat de sponsoring ou de parrainage.

En contrepartie, le sportif reçoit un soutien matériel ou financier. Les contrats liés à son image sont la « deuxième source de revenus des sportifs, juste après les salaires », fait remarquer Vincent Mauriac. Le droit à l’image est en « lien direct » avec la propriété intellectuelle car « on assiste à la patrimonialisation de l’image et du nom sportif », précise-t-il.

Les contrats liés à l'image des athlètes qui participent aux Jeux olympiques sont généralement différents de ceux des footballeurs. Les clubs professionnels de football sont autorisés par le code du sport à conclure avec leurs joueurs des contrats relatifs à l’exploitation de leur image, nom et voix. Le sportif touche en échange des redevances qui sont indexées sur le niveau des recettes générées par l’exploitation commerciale de son image, dans le cadre des contrats signés par le club avec les sponsors. Ces redevances sont touchées par le joueur en plus du salaire prévu dans son contrat de travail.

La situation est différente pour les sportifs qui n’ont pas de club, notamment les athlètes qui participent aux Jeux olympiques dans une discipline individuelle. Dans ce cas, « le sportif athlète va signer directement un accord de parrainage avec l’entreprise, en échange d’un soutien financier pour les meilleurs d’entre eux, et/ou un soutien matériel, car cela coûte très cher », explique Vincent Mauriac. L’athlète individuel négocie le plus souvent avec l’aide d’un agent lorsqu’il signe un contrat avec une entreprise.

Dans ce contrat, on retrouve généralement une clause permettant au sponsor d’utiliser l’image du sportif, mais aussi parfois des obligations de représentation, de relations publiques, de participations à des séances d’autographes ou encore à des ouvertures de magasins. « L'athlète se transforme en VRP. Il assure à la fois un rôle de mannequin, mais également des obligations à réaliser de véritables prestations de services pour son sponsor », résume Vincent Mauriac. Il peut y avoir des « contrats très simples » et des « contrats très élaborés qui sont très impliquant » pour l’athlète.

Pour les JO 2024, les athlètes cèdent leur droit à l’image

En l’absence de contrat, le sportif tombe dans le régime classique du droit à l’image, qu’il soit célèbre ou non. « Comme tout un chacun, il va pouvoir s’opposer à l’usage de son image et obtenir, le cas échéant, l’indemnisation de son préjudice économique s’il y a eu divulgation de son image sans son accord », développe Vincent Mauriac.

Pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, les athlètes signent un document dans lequel ils cèdent leur droit à l’image au Comité d'organisation des Jeux olympiques (Cojo). L’objectif pour les organisateurs est de pouvoir diffuser des photos et vidéos des athlètes pour faire la promotion des JO avec les sponsors officiels, lors d’opérations publiques ou lors de la retransmission par les diffuseurs. Une première version de contrat de cession des droits à l’image a été soumise à signature sous la forme d’un courrier adressé aux athlètes en amont des Jeux. Elle devait être revue après février 2024 en intégrant des parties distinctes (autorisation de diffusion des images séparée de la partie relative aux partenaires commerciaux) (2).

De l’autre côté, de nombreuses conditions s’appliquent à l’athlète et ses partenaires qui souhaitent faire la promotion de son image pendant et après les Jeux.

Ces conditions sont définies par la règle 40 de la Charte olympique du Comité international olympique (CIO) (3). Les principes de cette règle 40 sont spécifiques aux JO 2024 de Paris, car les dispositions évoluent à chaque édition. Ces dispositions se divisent en deux grandes catégories.

D’abord, celles qui s’appliquent aux partenaires olympiques et paralympiques officiels des JO, c’est-à-dire les « marques ou les sociétés ayant des contrats de parrainage ou de licence officiels » avec les organisateurs de Paris 2024. Sont inclus les diffuseurs auxquels les organisateurs ont accordé les droits de retransmission.

Ensuite, il y a la catégorie des partenaires olympiques et paralympiques non officiels, c’est-à-dire les « marques ou sociétés, ayant signé un contrat personnel avec un participant, mais n’ayant pas de contrat de parrainage ou de licence officiels » avec les organisateurs des JO.

Les partenaires officiels ayant signé un contrat personnel avec un athlète sont libres d'utiliser son image à des fins publicitaires et de diffuser des messages publicitaires de « félicitations » durant les périodes des JO. Quant aux athlètes, ils sont libres de faire la promotion de leurs partenaires et de leur « adresser des messages de remerciement », prévoit la règle 40.

Les règles sont différentes pour les partenaires non officiels. Pendant la période des JO, les sponsors personnels sont autorisés à utiliser l’image des participants à des fins publicitaires, mais seulement si cette publicité ne « contient aucune propriété olympique ou paralympique », comme des logos ou mascottes.

En outre, l’utilisation de l’image des participants à des fins publicitaires n’est autorisée que si elle « constitue une publicité générique », c’est-à-dire n’utilisant aucune image ou vidéo des JO, ni aucune propriété olympique ou paralympique.

La principale garantie de financement des JO

Les organisateurs des Jeux ont ainsi mis en place des règles très strictes concernant le droit à l’image et la propriété intellectuelle. Cela répond avant tout à la nécessité de garantir le financement des JO en attirant les investisseurs et sponsors privés, les coûts d’organisation étant trop importants pour être supportés par les seules caisses publiques ou les fédérations sportives.

Le budget du Comité d'organisation des JO 2024 de Paris, estimé à 4,38 milliards d’euros fin 2023, est financé à 97% par des ressources privées. La vente des droits de retransmission et droits commerciaux, partenariats et licences, devrait en financer plus de la moitié : « 1,2 milliard provenant de la dotation du CIO, dont 750 millions de droits de retransmission et 470 millions des Top Partners, auxquels s’ajoutent 1,2 milliard provenant des partenariats propres du Comité d’organisation et plus de 125 millions des licenciés de Paris 2024 », rapporte Laurent Nowak (4), associé-partner et conseil en propriété industrielle chez Plasseraud IP.

Les partenaires officiels « jouissent donc de l’exclusivité de pouvoir apposer ou associer leurs propres marques à ces actifs extraordinaires que sont les propriétés olympiques et paralympiques », souligne-t-il. Ils sont « essentiels pour qu’un événement mondial comme les Jeux olympiques et paralympiques, qui devrait être vu par 5 milliards de téléspectateurs à travers le monde et attirera près de 10 millions de visiteurs, puisse avoir lieu essentiellement par le biais de financements privés ».

Pendant la durée des JO, la « garantie, primordiale, de cette exclusivité revient au Comité d’organisation, qui doit donc lutter quotidiennement contre les atteintes portées aux droits qu’il détient ou dont il assure la défense sur le territoire français », ajoute Laurent Nowak. Les marques, logos, mascottes des Jeux de Paris, ainsi que les termes « JO », les « Jeux Olympiques » et l’adjectif « Olympique », sont strictement protégés.

« En plus d’une protection classique par les marques ou les dessins et modèles, certaines de ces propriétés olympiques se sont vu reconnaître le statut de marques notoires par les tribunaux français sur le fondement du code de la propriété intellectuelle », explique Laurent Nowak.

Les propriétés olympiques et paralympiques sont également couvertes par des dispositions spéciales prévues dans le code du sport.

Le geste sportif peut-il être protégé comme une œuvre d’art ?

Le geste sportif peut-il être considéré comme celui d’un artiste et ainsi protégé par les droits d’auteur ? D’après les spécialités, la réponse n’est pas tranchée dans les conditions actuelles du droit. Le sprinteur jamaïcan à la retraite, Usain Bolt, est titulaire d’une marque de l’Union européenne portant sur sa silhouette en noir et blanc, déposée en novembre 2009 et renouvelée en 2019, souligne Thibault Lachacinski (5), avocat associé au cabinet NFALAW. D'autres silhouettes célèbres de sportifs ont été enregistrées à titre de marque, comme le logo « jumpman » de Michael Jordan et qui a rendu ce dernier multimillionnaire.

Le droit des marques représente donc un « outil pour le moins efficace pour assurer la patrimonialisation du geste sportif », au moyen « d’un simple enregistrement renouvelable tous les 10 ans » qui donne un droit exclusif aux titulaires, explique Thibault Lachacinski.

Cependant, l’appréhension du geste sportif par le droit d’auteur est difficile. Le code de la propriété intellectuelle confère à « l’auteur d’une œuvre de l’esprit, du seul fait de sa création, un droit de propriété incorporelle sur cette œuvre », précise-t-il. Il n’existe aucune opposition de principe à accueillir le geste sportif parmi les créations protégeables par le droit d’auteur.

Le code de la propriété intellectuelle fixe une liste des œuvres de l’esprit susceptibles d’être protégées. « On y trouve notamment les œuvres littéraires, les conférences, les plaidoiries… et plus près du geste sportif ‘les œuvres chorégraphiques’ », relève Marc Peltier (6), maître de conférences en droit à l’université de Nice Sophia-Antipolis. Ainsi, une chorégraphie de patinage artistique lors des JO semble pouvoir être protégée au titre du droit d’auteur, du moins théoriquement. 

Or, pour être protégé, le geste sportif doit pouvoir être considéré comme artistique. « Il s’agit là d’un obstacle potentiellement difficile à surmonter, dès lors que – par nature – le geste sportif est avant tout un geste technique, apportant une réponse sportive à une situation de jeu nécessitant une intervention de l’athlète pour atteindre un objectif », analyse Thibault Lachacinski.

Le geste sportif s’inscrit dans un « contexte sportif contraint et soumis aux règles de la compétition ». En outre, la « spontanéité/ improvisation propre au geste sportif et sa nature instinctive, tout comme sa brièveté, ne favorisent pas non plus son appréhension par le droit d’auteur », ajoute-t-il.

Ainsi, considérer le geste sportif comme une invention ou une œuvre pourrait « entraîner l’application d’un régime juridique inapproprié », conclut Marc Peltier.

Sylvain Labaune

1/ Conférence du 23 septembre 2023 : « Les défis du sport face à la propriété intellectuelle » au Centre d'études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) https://www.youtube.com/watch?v=W2TVeKUT228
2/ Paris 2024 : bisbille sur le droit à l’image des sportifs, l’organisation plaide la « maladresse »
https://www.leparisien.fr/sports/JO/paris-2024/paris-2024-bisbille-sur-le-droit-a-limage-des-sportifs-lorganisation-plaide-la-maladresse-10-02-2023-PRJWBOE7KNBXVK7AUCET6PDA5U.php
3/ Consignes de communication pour l’application de la règle 40, Comité national olympique et sportif français (CNOSF), décembre 2023 https://cnosf.franceolympique.com/api/media/sites/default/files/2024-03/Re%CC%80gle%2040%20-%20Consignes%20communication%20OLY%20-%20PARA%20-%20Paris%202024_VF.pdf
4/ « La protection spéciale des Propriétés Olympiques et Paralympiques en France », décembre 2023
https://blip.education/la-protection-speciale-des-proprietes-olympiques-et-paralympiques-en-france
5/ « La patrimonialisation du geste sportif », Jurisportiva, Thibault Lachacinski, mars 2023
https://www.jurisportiva.fr/articles/la-patrimonialisation-du-geste-sportif
6/ « Peut-on patrimonialiser le geste sportif ? », Marc Peltier, 2015 
https://www.museedusport.fr/sites/default/files/Peut-on%20patrimonialiser%20le%20geste%20sportif_Marc%20Peltier.pdf

0 commentaire
Poster
CIO
JO

Nos derniers articles