Le 16 mai dernier, l'École nationale de la magistrature se penchait sur l'expérience des jurés d'assises lors de sa traditionnelle conférence Angle droit, en partenariat avec la librairie Mollat. L’occasion d’un regard croisé entre
Claire Jéhanno, autrice du roman La jurée et Jérôme Hars,
ancien président des assises de Gironde, alors même que la généralisation des cours
criminelles départementales continue de faire débat.
Issus de la Révolution
française et empruntés à la tradition anglaise, les jurés d’assises n’ont plus
le vent en poupe. Abandonné par la Suisse et drastiquement réduits chez nos
voisins belges, ce gage d’un verdict rendu au nom du peuple a vu son existence restreinte
en France, à la suite de la généralisation des cours criminelles départementales
(CCD) en janvier 2023. Ces nouvelles juridictions qui se substituent aux cours
d’assises pour les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion présentent
la particularité de fonctionner sans jury.
Devenus parias, les jurés ? Régulièrement soupçonnés de
ne pas être légitimes à concourir à une décision de justice, les jurys
populaires n'en demeurent pas moins une expérience extraordinaire, parfois traumatique, source
de débats passionnés et de curiosité. C'est ce qu’illustre le premier roman de Claire
Jéhanno, La jurée (Harper Collins, 2023), récit d’un procès d’assises
vécu à travers les yeux de la narratrice et dont l’exactitude des descriptions
a été louée par la critique.
Invitée le 16 mai par l’École
nationale de la magistrature (ENM) à l’occasion d’une conférence, l’auteure a pu
confronter sa vision romanesque à celle de Jérôme Hars, magistrat pénaliste, président
d’assises pendant sept ans en Gironde, aujourd’hui président du tribunal
judiciaire de Saintes.
De gauche à droite, Jérôme Hars, président du tribunal judiciaire de Saintes, la magistrate Fathia Zeghoudi et l'auteure Claire Jéhanno
Témoignage fictif renseigné avec soin, le roman de
Claire Jéhanno est le fruit d’une enquête de terrain poursuivie sur plusieurs
mois. « Au départ, je n’y
connais rien, je pars de zéro quand je décide d’écrire ce roman. Je n’étais
même pas fan d’Affaires sensibles [émission radiophonique diffusée sur
France Inter qui retrace des procès notables, ndlr] ! », raconte
l’écrivaine. Pour se saisir de cette
matière judiciaire, elle assiste à de nombreux procès et interroge d’anciens
jurés, en s’attachant à cerner leur quotidien d’alors : « Avais-tu
le courage de te faire à manger le soir ? Est-ce que tu as vu des amis
pendant cette période ? Faisais-tu des cauchemars ? »
Les responsabilités et la
solitude des jurés
Pour Jérôme Hars, qui a eu à
trancher de nombreuses affaires de viol, cette réalisation du trauma de la
victime par les jurés est centrale : « Ma pratique [des
assises] m’a appris que [les] victimes se posaient deux questions
fondamentales. Pourquoi c’est arrivé ? Et pourquoi moi ? Pour que les
jurés aient l’impression de rendre justice, pour qu’ils n’aient pas de
frustration, il faut qu’ils aient pu appréhender l’une des deux réponses à ces
questions, pendant le procès. C’est pour cette raison qu’il faut aller au fond
des sentiments des uns et des autres. Pour que se crée une connexion entre
l’attente du juré, qui veut rendre justice, et le besoin des victimes. »
Le magistrat salue à ce titre
la façon dont Claire Jéhanno a abordé son ouvrage « de l’intérieur des
entrailles » du jury populaire. Cet angle d’attaque confronte le
lecteur au sentiment de « solitude du juré », lequel va rester,
selon l’expérience du magistrat pénaliste, « interrogatif de tout ce
qui s’est passé au cours du procès, en se rendant compte qu’à la fin, il reste
avec plus de questions que de réponses ».
« Le juré n’est pas là
pour porter un jugement moral »
Sans certitude, comment se réconcilier avec
l’idée de rendre un verdict aux lourdes implications, pour les victimes comme les
accusés ? « Un jour, un prêtre m’a dit : ne réduis jamais un
être humain à l’acte qu’il a commis, raconte Jérôme Hars. Toute la quête
d’un procès d’assises, c’est précisément de faire la connexion entre un acte
aussi abominable soit-il, et un être humain. Pourquoi peut-il basculer dans
l’ordre de l’impensable ? […] Aussi paradoxal que cela puisse
paraître, le juré n’est pas là pour porter un jugement moral, mais pour établir
la réalité des faits reprochés à l’accusé. Pour essayer de trouver une peine
adaptée, qui sanctionne l’acte commis - s’il est déclaré coupable - et
favoriser sa réinsertion. »
Cet aspect des procès
criminels est bien souvent incompris des profanes, comme le souligne Claire
Jéhanno. « J’ai été surprise qu’on s’intéresse autant aux accusés et
pas tant à la victime, quand j’ai commencé à assister des procès […]. En
réalité, on n’est pas dans un procès pour les victimes, mais pour juger des
actes criminels », remarque l’auteure.
Ce témoignage souligne la
spécificité du fonctionnement du système pénal en France, au sein duquel la
place de la victime est relativement limitée. Si elle peut par exemple faire
appel de la décision finale sur l’action civile (en réparation de son préjudice
direct), elle ne peut pas faire appel du verdict lui-même. « C’est
aussi aux acteurs du procès criminel, président d’audience, assesseurs et
jurés, de faire vivre, dans cette atmosphère pesante, ce qu’a pu ressentir la
victime », estime Jérôme Hars.
Les cours criminelles départementales divisent toujours
Interrogé par un spectateur
de la conférence sur l’existence d’un « suivi psychologique post-assises »
dédié aux jurés, le président du tribunal judiciaire de Saintes émet un avis
mitigé sur les pratiques intégrant la collaboration de psychologues. Ces
dispositifs ont notamment été mis en place au sein des cours de Poitiers ou de
la Charente.
« Selon moi, les jurés ont
besoin de parler de ce qu’ils ont vécu. La présence d’un psychologue qui
n’aurait pas vécu les débats avec eux, pourrait apparaître trop déconnectée
d’un groupe, estime le magistrat. Il m’apparaît plus opportun que ce
soit le président de la cour d’assises qui prenne le temps nécessaire pour
échanger avec eux sur certains points personnels. »
Enjoint sans surprise à s’exprimer
sur les cours criminelles départementales (CCD), le magistrat partage sur ce
point un avis plus tranché. « Les CCD ont été expérimentées pour faire
des économies », commente-t-il. Adoubées par les uns, décriées par les
autres, ces nouvelles juridictions créées pour désengorger les assises et éviter
la requalification de certains crimes en délits, notamment les viols, font l’impasse
sur la présence des citoyens tirés au sort.
« Un jour de procès
de cour d’assises, c’est 2060 euros. Un jour de procès de CCD, c’est 1000 euros.
Quand on regarde ces chiffres du ministère, on se dit évidemment qu’il faut
privilégier la CCD », avance Jérôme Hars. Puis nuance : « On
s’aperçoit aujourd’hui que le taux d’acquittement est le même, à savoir 5% pour
les deux cours. En revanche, le taux d’appel est plus important pour les CCD.
Pas loin de 20%, contre 15% seulement pour les cours d’assises. On génère donc
un travail plus important en appel. Le nombre d’affaires correctionnalisées
n’a, pour sa part, pas diminué. Sans compter que deux fois plus de magistrats
professionnels sont mobilisés pour siéger à la CCD. On risque d’arriver à une
situation de tension toujours plus grande. »