DROIT

L'accumulation de dettes n'impose pas nécessairement la sanction du dirigeant

L'accumulation de dettes n'impose pas nécessairement la sanction du dirigeant
Publié le 19/07/2025 à 11:00

SÉRIE « RESTRUCTURING » (10). Pour la série restructuring estivale, les auteurs, Adeline Cerati, Vincent Perruchot-Triboulet et Bastien Brignon ont choisi de commenter des affaires qui amènent la réflexion sur l’impérieuse nécessité de la présence d’une faute pour sanctionner le dirigeant ; sur la faute détachable des fonctions du dirigeant ; et sur la stricte application des textes pour prononcer une faillite personnelle :

- l’accumulation de dettes ne conduit pas automatiquement à la sanction du dirigeant ;
-
l’omission de signaler une créance contestable n’implique pas une faute séparable de ses fonctions de la part du dirigeant (le 26/07) ;
-
l’articulation entre la faillite personnelle et la responsabilité pour insuffisance d’actif (le 02/08).

Dans son analyse, Adeline Cerati démontre qu’avec une société en liquidation judiciaire, l’accumulation de dettes n’entraine pas forcément la sanction du dirigeant.

Cass. Com. 11 12 2024, n° 23-19.807

De l’accumulation de dettes sociales, on ne peut déduire la faute du dirigeant. C’est cet enseignement qu’il faut tirer d’un arrêt rendu le 11 décembre 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 11 déc. 2024, no 23-19.807, JCP E 2025. 1093, note Stefania; LEDEN 1/2025. 4, obs. E. Miglietta; BJS févr. 2025. P. 40, note Jullian; Dr. sociétés 2025, no 46, note J.-P. Legros; BJED 3-4/2025. 23, note T. Favario.).

L’affaire opposait le président et actionnaire unique d’une SAS en liquidation judiciaire depuis janvier 2019 au liquidateur lui reprochant la poursuite d’une activité déficitaire. Les juges montpellierains ont condamné le premier à supporter l'insuffisance d'actif de la société pour plus de 480 000 euros et ont prononcé à son encontre, une interdiction de gérer pour une durée de cinq années. Les faits semblaient accabler le dirigeant : des cotisations sociales impayées depuis le mois d'avril 2018, l’inscription de deux privilèges au profit de l'Arcco et de l'URSSAF pour plus de 20 000 euros, des impôts et des dettes fiscales déclarés pour un montant de 8 911 euros comprenant des sommes impayées depuis le mois d'août 2018 et un bilan au titre de l'exercice clos au 30 juin 2018 faisant apparaître un accroissement du montant des dettes de la société de 756 976,72 euros à 978 133,08 euros depuis l'exercice précédent. Ils n’étaient pourtant pas suffisants pour le condamner, ni à combler l’insuffisance d’actif, ni à une interdiction de gérer.  

Sanction pécuniaire de la poursuite d’activité déficitaire : pas sans faute

La poursuite d’une activité déficitaire par un dirigeant social est régulièrement qualifiée par les juges de faute de gestion au sens de l’article L. 651-2 du Code de commerce. Ainsi, dès lors que cette faute a contribué à l’insuffisance d’actif, le dirigeant peut être condamné. C’est précisément le fondement utilisé par les juges montpelliérains pour condamner le dirigeant en l’espèce. Sans autre motivation que celle du constat de hausse croissante des dettes sociales. Profitant de cette faille, le dirigeant a fait valoir, au soutien de son pourvoi, que les motifs invoqués étaient « impropres à caractériser la faute de gestion consistant, pour un dirigeant social, à poursuivre une exploitation déficitaire ».  Il est suivi par la Cour au motif que la poursuite d’une activité déficitaire « ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes ».

Ce que la chambre commerciale a reproché aux juges d’appel, c’est d’avoir cédé à la « tentation à voir dans une multiplicité de dettes la preuve ipso facto d’une faute » (N. Jullian, obs.  préc. Bulletin Joly Sociétés - n°2, p. 40).

L’accumulation de dettes n’est pas nécessairement la conséquence d’un comportement fautif du dirigeant. La perte d’un contrat, d’un fournisseur, la conjoncture économique, la hausse du coût des matières premières sont autant de raisons pouvant justifier cette hausse. Elle n’est pas nécessairement la manifestation d’une obstination aveugle et irraisonnée du dirigeant malgré l’absence de perspective de redressement. Et si elle l’est, il appartenait au juge du fond d’en établir la preuve.

C’est encore un défaut de motivation qui est reproché aux juges du fond qui avaient prononcé contre ce même dirigeant une interdiction de gérer.

Sanction personnelle de la poursuite d’activité déficitaire : pas sans texte

Pour prononcer contre le dirigeant une mesure d’interdiction de gérer pour une durée de 5 ans, les juges d’appel avaient argué de la poursuite de l'activité déficitaire et de l'absence de déclaration de cessation des paiements, tout en relevant qu'il n'était pas établi que le dirigeant « aurait poursuivi abusivement dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ».

Les juges montpelliérains sont à nouveau censurés, cette fois au visa des articles L. 653-4, L. 653-5, L. 653-6 et L. 653-8 du Code de commerce. Et la Cour d’affirmer qu’« il résulte de ces textes que l'interdiction de gérer ne peut être prononcée contre le dirigeant d'une personne morale que pour sanctionner les fautes qu'ils prévoient ».

Pour comprendre la censure, il faut rappeler les fautes susceptibles de conduire à l’interdiction de gérer. L’article L. 653-8 du Code de commerce renvoie d’abord aux «  cas prévus aux articles aux articles L. 653-3 à L. 653-6 » pour autoriser le tribunal à prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. L’alinéa suivant poursuit en menaçant de la même sanction le dirigeant qui, « de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22 ». Le texte termine en évoquant le cas de l’omission consciente « de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ».

Quel était le fondement utilisé par les juges du fond pour prononcer l’interdiction de gérer ?

Le premier tenait à une prétendue poursuite abusive d’une exploitation déficitaire. A supposer que la preuve de cette exploitation abusive eût été rapportée – ce qui n’était pas le cas comme évoqué ci-dessus – cette faute n’aurait pu conduire à l’interdiction de gérer du dirigeant que si elle avait été commise dans son intérêt personnel (art. L. 653-4 4°). Or, en même temps qu’ils lui reprochaient cette exploitation déficitaire, les juges montpelliérains reconnaissaient qu’il n’était « pas établi que celui-ci aurait poursuivi abusivement dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ». Pas d’intérêt personnel, pas de sanction.

Le second reproche fait par les juges au dirigeant est de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements dans les délais. Mais comme rien ne semblait indiquer que le dirigeant avait « sciemment » omis de demander l'ouverture la liquidation judiciaire (art. L. 653-8 al. 3), la sanction n’était pas justifiée.

Dans l’un comme dans l’autre cas, les fautes rapportées par les juges ne justifiaient pas le prononcé de l’interdiction de gérer, faute de textes le prévoyant.

Adeline Cerati
Maître de conférences HDR Aix Marseille Université

 

 

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