Parmi
les quelque 10 millions de documents ayant le statut d’archives historiques
conservés par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), un bon
nombre touche à un domaine cher aux Français : celui de l’alimentation en
général et du « bien manger » en particulier. Nicolas Appert, Jean-Baptiste
André Godin, Charles Christofle et Auguste Escoffier, quatre figures de
l’innovation au service de la cuisine française, ont notamment déposé des
marques et brevets, conservés dans les archives de l’INPI.
Des
milliers de brevets d’invention, de marques de fabrique et de commerce ou
encore de dessins & modèles témoignent de l’évolution, non seulement de la
cuisine, mais aussi du partage du repas, au XIXe siècle. Quatre
individus y ont notamment œuvré : Nicolas Appert, Jean-Baptiste André Godin,
Charles Christofle et Auguste Escoffier.
Les
découvertes et les activités de ces entrepreneurs hors pair – officiant
pourtant dans des domaines très différents – participent à moderniser les
techniques et les pratiques culinaires. Ils contribuent ainsi à la naissance de
la « gastronomie » telle que la définit Brillat-Savarin en 1823 dans
sa Physiologie du Goût. Trait d’union entre les quatre hommes :
tous ont pris soin de protéger leurs découvertes et les activités qui en
découlent, de la conservation ou cuisson des aliments jusqu’à leur préparation
puis leur présentation sur la table.
Aux
origines de la boîte de conserve
Le XIXe siècle
est celui des grandes découvertes. Le vaste domaine de l’alimentation n’y
échappe pas. Profitant des avancées d’autres domaines industriels comme celui
de la chimie ou de la métallurgie, encouragés par la poussée démographique,
l’amélioration de la santé et de l’hygiène et les mouvements culturels,
d’inexorables changements s’opèrent dans la manière de se nourrir et de
cuisiner. La production du sucre de betterave, la création des premières
laiteries industrielles ou l’invention de la margarine, brevetée en 1869, n’en
sont que quelques exemples.
Dès
1895, un ingénieux confiseur met au point un système de conservation des
aliments à l’aide de la chaleur. Nicolas Appert (1749-1841) invente le procédé
de stérilisation qui porte aujourd’hui son nom : l’appertisation. À cette
époque, on conserve encore les aliments par salage, fumage, dans de l’alcool,
du vinaigre, de la graisse ou encore du sucre. Ces procédés ne permettent
qu’une conservation partielle et ne gardent pas les substances dans leur
intégralité. L’appertisation permet désormais une bonne conservation : en
bouteille tout d’abord puis dans des boîtes hermétiques, les fameuses boîtes de
conserve.
À
partir de là, des préparations tels que les pâtés, les plats préparés, mais
aussi les produits frais comme le poisson, les fruits de mer, les fruits ou les
légumes, se gardent plus longtemps. Ils peuvent ainsi voyager et s’échanger
plus facilement. De nouveaux produits apparaissent et le champ des recettes
s’élargit. Si Appert laisse son nom à son procédé, son patronyme reste
également attaché aux différents repreneurs et exploitants de sa
découverte : les maisons Prieur-Appert ou encore Chevallier-Appert feront
de la production de boîte de conserve leur spécialité jusqu’au début du XXe siècle.
Tout
feu tout flamme
La
maîtrise de la cuisson est également un atout important quand on est derrière
les fourneaux. Jules Gouffé, cuisinier renommé, à l’origine du livre de
recettes tel qu’on le conçoit aujourd’hui, décrit dans son Livre de
cuisine, en 1867, trois espèces de feux pour divers types de cuissons : le
« feu de marmite » doux et continu pour le pot-au-feu, le « feu de
grillade » qui doit toujours être égal et le « feu de rôti » ou « feu
soutenu ». Dans le même temps, le braisage et le poêlage font leur apparition.
Le fourneau de cuisine, qui est à l’origine un ouvrage clos, maçonné en pierre
ou en brique, est dérivé des anciens fours où la cuisson se faisait dans
l’espace intérieur chauffé, le feu étant contenu dans un foyer fermé. La
cuisson s’y effectue par l’intermédiaire des braises qu’il contient. Cette
forme d’ouvrage s’est appelée le potager, où l’on y confectionne le
potage.
Au XXe siècle,
les potagers sont progressivement remplacés par des poêles ou des fourneaux
plus modernes dont la partie contenant les braises, puis le charbon, est
composée de plaques de fonte. Ils sont pensés pour être multifonctionnels et,
outre le chauffage, ceux installés dans les cuisines deviennent des «
cuisinières » avec même la possibilité de produire de l’eau chaude. L’un des
principaux acteurs de ce changement est Jean-Baptiste André Godin (1817-1888).
Industriel éclairé, inspiré par le socialisme utopique, il imagine des
créations qui s’adaptent suivant leur utilisation. Les cuisinières Godin
révolutionnent l’espace de la cuisine toute entière, elles deviennent un
élément à part entière des foyers, des plus aisés tout d’abord jusqu’aux plus
modestes, en passant par les restaurants.
Un
service hors pair
L’apparition
et le développement de ces nouveaux établissements, dont certains deviennent de
véritables lieux du plaisir gustatif, participent également à l’évolution de la
cuisine et à lui faire prendre la voie de la « grande » cuisine. Dans les
années 1810, pour faciliter le service, certains maîtres d’hôtel introduisent
le service dit « à la russe » au cours duquel les plats sont servis un par un.
Parallèlement, la bourgeoisie s’empare de la table pour en faire l’un des
symboles de sa réussite sociale. Et vis-à-vis de ses convives, on ne brille pas
que dans l’assiette : le service de table et une table bien dressée participent
aussi au plaisir de la dégustation. Assiettes, couverts ou encore verres,
chaque pièce fait l’objet de maintes déclinaisons suivant son usage ou ce qu’il
contient : soupe, poisson, viande, fromage, desserts, escargots, huîtres,
etc.
À
l’instar de Charles Christofle (1805-1863), certains orfèvres en font une de
leurs spécialités. Christofle perfectionne ainsi les techniques de fabrication
des couverts et brevète même un réchaud propre au service de la table en 1846.
Pour la célèbre Maison – dont l’activité perdure encore aujourd’hui –, l’art de
la table est bel est bien un art, et elle tend à le démontrer par ses créations
d’exception.
Des mets d’exception
Côté
recettes, même si les préparations culinaires ne sont théoriquement pas
brevetables, on observe quelques exceptions, comme la préparation des escargots
de Bourgogne et des petits escargots gris de vigne au vin blanc de Chablis,
brevetée en 1890, qui peut encore en faire saliver certains. On dénombre
également diverses compositions et méthodes de gâteaux, comme celle de voyage
dite « le chaumontais », brevetée en 1882, ou encore la fabrication d’une
terrine, dite « pâté parisien », en 1874.
En
1880, le maître d’hôtel Auguste Sacaron dépose un brevet pour la confection
d’un pâté de foies gras en croute dont la pâte est comestible. Véritable
innovation, puisqu’à l’origine, les pâtes ne sont pas destinées à être mangées,
mais permettent de conserver la viande plus longtemps. Le « roi des cuisiniers
et cuisinier des rois », Auguste Escoffier (1846-1935), n’est pas en reste.
Révolutionnaire dans la manière de cuisiner, Escoffier considère qu’un bon
repas doit être tout aussi agréable à déguster que léger à digérer. Grâce à
lui, l’art culinaire connaît un vaste mouvement de simplification. Il dépose
entre autres un brevet pour une machine perfectionnée à tourner les fruits et
légumes dite « l’express » ou encore une double crème parfumée aux fruits. En
véritable homme d’affaires, il enregistre également ses créations, mais aussi
son nom en tant que marque de fabrique et de commerce.
En
classant le « repas gastronomique des Français » comme patrimoine culturel
immatériel de l’humanité en 2010, l’UNESCO célèbre la cuisine et le partage des
repas comme une véritable pratique culturelle. Comme souvent, cette pratique
sociale est liée à l’évolution des sciences et des techniques. Au XXe siècle
surtout, des innovations viennent bouleverser pour longtemps la production, la
conservation, la transformation mais aussi la distribution et la présentation
des aliments sur la table des Français. Témoins clés de ces mutations, les
archives historiques conservées par l’INPI constituent aujourd’hui le passage
obligé pour qui veut en reconstituer l’histoire.
Steeve Gallizia,
Chargé de valorisation des archives patrimoniales à l’INPI
Légende et crédit photo : brevet
d’invention déposé le 8 mars 1872 par Jean-Baptiste-André Godin pour une
cuisinière en fonte, ses organes accessoires et les procédés nouveaux de
construction servant à sa fabrication (1BB87600, archives INPI)