Á l’approche
des fêtes de fin d’année, les juristes ne peuvent s’empêcher de s’interroger
quant à l’encadrement juridique du travail du Père Noël et de ses lutins. Déformation
professionnelle sans doute, le professeur émérite de l’Université Toulouse
1 Capitole, Deen Gibirila, a accepté de
répondre à nos questions, pour le plus grand plaisir des curieux qui se
demandent encore si Noël et Droit sont compatibles. Nous republions avec
plaisir cette interview, publiée dans notre édition du 21/12/2019.
Pouvez-vous nous éclairer sur le statut du
Père Noël ? Est-ce une profession réglementée ?
Il convient d’attribuer au Père Noël un statut identique à celui
d’ambassadeur permanent et itinérant de l’UNICEF (United Nations International Children’s Emergency Fund, ou Fonds
des Nations Unies pour l’Enfance, en français). Son action bénévole lui permet
de veiller au respect du « droit aux jouets » à Noël pour tous les enfants du
monde, sans distinction d’origine, de condition sociale, de sexe ou d’âge. Bien
loin d’être une « ordure », le Père Noël est un bienfaiteur de l’enfance, voire
de l’humanité ; encore faut-il que tout le monde, notamment les décideurs de ce
monde, lui en donnent les moyens, de sorte que les 24 et 25 décembre, tous les
enfants du monde puissent trouver un jouet dans leurs chaussures placées au
pied du sapin.
À n’en point douter, il s’agit
d’une profession réglementée, parce que placée sous l’égide de l’UNICEF, qui
est un organisme international.
Le Père Noël bénéficie du
concours de nombreux lutins qui constituent des travailleurs bénévoles et
reçoit de nombreux dons destinés à financer l’achat des jou ets distribués aux enfants.
De temps à autres, le Père Noël est
remplacé par la Mère Noël. Reste à savoir si celle-ci est tenue de revêtir un
des statuts dévolus au conjoint du chef d’entreprise : conjoint associé,
collaborateur ou salarié.
« Les
données personnelles des enfants récupérées par le Père Noël sont
nécessairement soumises au RGPD qui offre un cadre protecteur ».
À l’heure où l’égalité femmes-hommes est au
cœur des débats, pourquoi les emplois de lutins tardent-ils encore tant à
s’ouvrir aux femmes ? Le « Name and Shame » pourrait-il
changer les choses ?
De toute évidence, le retard d’ouverture aux femmes des emplois de
lutins est absolument inadmissible. Il est le reflet de la discrimination
salariale entre les femmes et les hommes qui perturbent encore le monde du
travail. En dépit des appels incessants des politiques et des associations pour
mettre fin à cette situation intolérable, gageons tout de même que cette
situation ne restera pas figée et évoluera positivement très rapidement. Le
« Name and Shame », traduction française de « nommer
et couvrir de honte », autrement dit « montrer du doigt »,
doit être proscrit, pour ne pas succomber aux méfaits du « procès
médiatique ». Dès lors, plutôt que de faire savoir ce qu’une personne,
un groupe ou une entreprise a fait de mal par l’injonction, il vaut mieux faire
évoluer les mentalités en éduquant les esprits, notamment en soulignant
les bienfais de l’égalité « femmes – hommes », source de
cohésion et de paix sociale.
Le Père Noël sait si les enfants ont été
sages durant l’année, et connaît la nature des cadeaux qu’ils espèrent
recevoir. Les données personnelles des enfants récupérées par le Père Noël
sont-elles soumises au RGPD (Règlement Général sur la Protection des
Données) ?
Les données personnelles des enfants récupérées par le Père Noël sont
nécessairement soumises au RGPD qui offre un cadre protecteur. Cette mesure est
destinée à répertorier tous les enfants du monde, sans distinguer ceux qui ont
été sages et ceux qui ne l’ont pas été. Par l’attribution de jouets à tous, il
s’agit de récompenser les premiers et d’encourager les seconds à devenir sages.
En dehors du Père Noël, personne ne saurait avoir accès à ces données
qui restent confidentielles. Les lettres innombrables qui sont adressées à ce
dernier chaque année par les enfants, ne sont conservées que le temps
nécessaire pour y répondre et sont détruites ensuite.
Où se règlent les différends entre les
lutins et leur employeur ? Recommandez-vous le recours aux modes
alternatifs de règlement des différends (MARD) ?
Je recommande fortement le recours obligatoire aux MARD. Ainsi, toute
saisine judiciaire devra obligatoirement être précédée d’une tentative de
règlement amiable du différend impliquant les trois modes suivants :
négociation, conciliation et médiation.
Ce n’est donc qu’en cas d’échec de ce règlement amiable que pourrait se
réunir une juridiction qui statuerait selon une procédure, là encore pacifique,
excluant toute invective. Il s’agirait simplement de régler les questions liées
aux commandes non honorées ou non conformes, aux retards de livraisons, aux
colis égarés ou détériorés… Sont exclues les questions tenant à la nature des
commandes (tels que les jeux vidéos considérés comme dangereux en raison de
leur caractère belliqueux), qui ne relèvent pas de la responsabilité du Père
Noël. Les types de jouets commandés relèvent du libre choix des enfants,
éventuellement conseillés par leurs parents.
Les litiges doivent être réglés rapidement, afin d’éviter la
déperdition des preuves, et, en tout cas, avant la fonte des neiges, qui
empêcherait les déplacements en traîneau du Père Noël, qui serait obligé de
recourir à d’autres moyens de déplacement inappropriés (utilisation prohibée de
l’espace aérien…) susceptibles de polluer l’environnement. Par ailleurs, bien
que pour l’instant, les rennes ne figurent pas parmi les espèces en danger de
l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature),
ils pourraient l’être assez rapidement. Vivant au-delà du cercle arctique, ils
sont particulièrement dépendants de la qualité de leur habitat soumis
aujourd’hui à un réchauffement climatique trop rapide pour eux.
Justement, comment le traitement des rennes
du Père Noël est-il encadré par le droit ?
Á l’instar de tous les animaux, domestiques et sauvages,
les rennes du Père Noël doivent être protégés. Sans être des « personnes » au
sens juridique du terme, ils ne sont plus considérés par le droit comme des
objets, mais comme des « êtres vivants » doués de sensibilité, donc réceptifs à
la douleur, dignes de respect et de protection.
À cet égard, on pourrait concevoir un contrat «
symbolique » dit contrat « domestique » passé entre leur propriétaire et eux.
Ce contrat serait une sorte de « contrat de travail » ou d’« échange de
services » conclu entre l’éleveur ou le
propriétaire et les rennes. L’éleveur ou le propriétaire prodigue des soins aux
rennes qui, en contrepartie, louent leur capacité de travail. La difficulté
réside dans l’accord et l’échange de consentements entre les parties, le
consentement des rennes étant purement hypothétique.

Qu’en est-il de l’utilisation de l’espace
aérien par le Père Noël et son traîneau ?
L’utilisation de l’espace aérien doit être interdite au Père Noël. Il
convient en effet de préserver la « magie de Noël », plus
précisément l’image féérique du Père Noël revêtu de son manteau rouge et blanc,
se déplaçant dans les différentes contrées d’origine en traîneau, afin de
livrer les jouets aux enfants du monde entier.
En outre, l’utilisation des moyens modernes tels qu’avions ou
hélicoptères encombrerait et polluerait l’espace aérien, déjà suffisamment
perturbé par différentes nuisances…
Il est vrai que dans l’imaginaire sans bornes lié à la féérie et à la
magie de Noël, on parle de traîneau volant tiré par les rennes. Seul ce
traîneau pourrait être admis dans l’espace aérien.
Si un jour, hélas, l’espèce des rennes disparaissait ou était en nombre
insuffisant, impliquant leur protection, peut-être faudrait-il envisager
l’utilisation d’un véhicule autonome par le Père Noël, ce qui éviterait les
accidents de déplacement et ferait échapper celui-ci à la taxe carbone.
Lorsque le Père Noël s’introduit chez les
gens par la cheminée, ne commet-il pas une violation de domicile ?
Si l’on s’en
tient à la définition de la violation de domicile donnée en droit français, par
l’article 226-4 du Code pénal, il s’agit d’un
délit qui consiste à s’introduire ou à se maintenir dans « le domicile
d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».
Les manœuvres recouvrent tout procédé astucieux ou ruse, comme par exemple le
fait de se présenter sous une qualité usurpée. Les menaces correspondent à une
attitude inquiétante ou à des paroles d’une personne prête à accomplir des
actes de violence. Ce n’est absolument pas le cas pour le Père Noël. Bien au
contraire, chaque année, dans la nuit du 24 au 25 décembre, il
est vivement attendu dans tous les foyers du monde où vivent des enfants, bien
que ces derniers ne le verront pas. Son image éminemment connue ne saurait
susciter la confusion. Il est aisément reconnaissable sous les traits d’une personne
âgée avec une barbe blanche et des cheveux blancs.
En outre, les guirlandes illuminées et les sapins placés devant bon
nombre de maisons constituent des invitations à entrer en pourparlers avec la
population.
Bientôt, les lettres au Père Noël devront
être entièrement dématérialisées et passeront par une plateforme unique. La loi
prévoit-elle des exceptions ?
Effectivement, d’aucuns le regrettent peut-être, les lettres au Père
Noël vont être dématérialisées.
Il existe désormais le site web du Père Noël. Cette dématérialisation semble
inévitable et correspondre au progrès de la société moderne. En effet, selon
une étude réalisée en septembre 2012 dans
18 pays européens et en Afrique du Sud, les cadeaux high-tech sont trois fois plus demandés. Le souhait de
produits innovants tels que les tablettes et smartphones enregistre une
progression constante, respectivement à 19 % et 17 %.
Pour autant, il faut constater que le secrétariat du Père Noël à
Libourne, assuré par les lutins, parvient tout à fait à répondre au million
quatre cent mille lettres reçues chaque année.
La magie de Noël doit être préservée autant que
possible et le plus longtemps possible. Aussi, faut-il
prévoir une exception à la dématérialisation du courrier. Il n’est donc point
besoin de remplacer absolument et complètement la plume par la souris, le
papier par le clavier, le voyage en traîneau et le passage par la cheminée, par
le voyage dans le « cloud ». Le traîneau du Père Noël est
aussi rapide qu’Internet. Il convient donc de laisser le choix aux
enfants : la voie postale ou la voie numérique, même si, fort
probablement, à court ou à moyen terme, cette dernière voie prendra le pas sur
la première.
Le Père Noël risque-t-il d’être concerné par
la réforme des retraites ?
En raison de son intemporalité et de son immortalité, le Père Noël ne
saurait être touché par la réforme des retraites et son lot de propositions,
notamment la fameuse « clause du grand-père », qui est
discriminatoire.
L’image du Père Noël appartient-elle au
domaine public ? Peut-on l’utiliser sans lui demander son
autorisation ?
L’image du Père Noël appartient au domaine public. Bien que l’on puisse
utiliser son image sans solliciter son autorisation, il convient de ne pas en
faire un usage intempestif ou abusif. Son image doit être protégée, afin
d’éviter les impostures.
Si un cadeau arrive détérioré ou s’il
comporte un vice caché, quelle est la responsabilité du Père Noël ?
En pareilles circonstances, le Père Noël doit bénéficier de l’immunité
diplomatique que lui confère son statut d’« ambassadeur permanent et
itinérant » de l’UNICEF. Sa responsabilité ne saurait être mise en
jeu. Il suffirait de résoudre la question par la voie amiable (négociation,
conciliation et médiation) préalablement évoquée.
Alors, peut-on dire que le Père Noël est
au-dessus des lois ?
Le Père Noël ne saurait se situer au-dessus des lois, faute de quoi, il
serait « hors-la-loi ». Il doit avoir un statut légal
protecteur de sa personne. Toujours est-il qu’il dispose de la capacité
juridique (de jouissance et d’exercice). Il a une identité, bien que l’on ne
sache distinguer son prénom de son nom de famille, et un domicile élu,
Libourne, où lui sont adressées toutes les lettres.
Propos
recueillis par l’équipe du JSS