Ce
jeudi 15 février 2024, les sénateurs socialistes ont échoué à faire adopter le
texte instaurant un arrêt de travail de deux jours par mois pour les femmes en
cas de règles douloureuses.
Le
congé spécifique pour règles douloureuses, dit « congé menstruel »,
sera-t-il un jour reconnu en France ? Cette question commence à trouver sa
place dans l’agenda politique. Mais ce 15 février, le Sénat a rejeté la
proposition de loi visant à sa généralisation nationale.
Les
sénateurs du groupe SER (socialiste, écologiste et républicain), et notamment Hélène
Conway-Mouret qui a porté le texte, espéraient lever les inquiétudes de la
majorité sénatoriale lors des débats en séance. Le texte a finalement été
rejeté par 206 voix contre 117.
La sénatrice socialiste et rapporteure du texte Laurence Rossignol a
exprimé sa déception à l’AFP : « Nous avons perdu l’occasion non pas
d’être en avance, mais d’accompagner l’évolution de la société. C’est
regrettable pour le Sénat et pour les femmes qui devront encore attendre. »
Sur son compte Twitter/X, l’élue a également commenté ce vote, regrettant
« un vote générationnel d’une majorité imperméable aux évolutions de la
société ».
Deux
tiers des femmes concernées
Cette
proposition de loi prévoyait la mise en place d’un arrêt maladie spécifique
pour les femmes victimes de douleurs menstruelles souffrant de dysménorrhée,
dont l’endométriose fait partie. Une contrainte loin d’être minoritaire, car
environ 7 millions de femmes seraient concernées en France, 65 % des
femmes rencontrent des difficultés liées à leurs règles au travail, tandis que
35 % relèvent que les règles ont un impact négatif au travail d’après un sondage IFOP de 2022.
L’article
1er de la proposition de loi précisait qu’un congé d’une durée de
deux jours par mois au maximum était prévu sur présentation d’un certificat
médical pouvant couvrir une durée d’un an renouvelable. La sénatrice Hélène Conway-Mouret a fourni des précisions à ce sujet pour Public
Sénat : « On ne peut pas demander à une femme souffrant de douleurs
menstruelles de se déplacer chez le médecin pour obtenir un justificatif alors
même que certaines ne peuvent même pas se rendre sur leur lieu de travail.
» Quant à l’article 2, il supprimait les délais de carence, permettant aux
femmes d’être indemnisées dès le premier jour et évitant ainsi une perte
pouvant aller jusqu’à 10 % du salaire des femmes.
L'article 3 de la proposition de loi établissait que les arrêts de travail
liés au congé menstruel seraient intégralement remboursés par la Sécurité sociale,
contrairement au régime général du travail qui prévoit une indemnisation à
hauteur de 50 %. La commission des affaires sociales a refusé une
proposition d'amendement qui avait pour but de retirer cet article du projet de
loi.
Une
proposition de loi suivant les mutations du droit du travail
Cette
proposition de loi s'inscrit dans les tendances observées après la crise du
Covid-19, qui a transformé la perception collective des conditions de travail.
Elle visait également, avec son article 4, à simplifier l'accès au télétravail
pour les femmes souffrant de dysménorrhée invalidante, un sujet désormais
central dans le droit du travail.
Dans
l’exposé des motifs de la proposition de loi, il est mentionné qu’ «une femme peut
parfaitement se retrouver gênée par des douleurs menstruelles l’empêchant de se
rendre sur son lieu de travail, sans pour autant être handicapée au point de ne
pas travailler ».
Sous réserve de dispositions prévues par des accords collectifs négociés au
sein des entreprises, les femmes auraient pu ne pas avoir à fournir un
certificat médical pour télétravailler un à deux jours par mois.
Le
gouvernement également opposé
Ce
rejet s’explique par une réticence des sénateurs de droite et quelques
abstentions centristes qui relèvent un risque de désorganisation du travail des
entreprises et le manque de prise en compte du secret médical.
Interrogée
par Public Sénat, la sénatrice centriste Brigitte Devésa a regretté « l’absence d’une perspective plus large ».
Le nouveau ministre de la Santé, Frédéric Valletoux, qui s’exprimait pour
la première fois dans l’hémicycle, s’est opposé fermement à la proposition de
loi, tout en mettant en avant un risque « de discrimination à l’embauche »
et une potentielle violation du secret médical. Il s’est toutefois dit ouvert à
la discussion, dans l'objectif de « contribuer à briser les tabous ».
La
question du congé menstruel avait déjà été soulevée au Sénat, avec le dépôt
d'un amendement au Projet de loi de finances pour 2023 par Mélanie Vogel,
sénatrice écologiste. L’amendement avait finalement été jugé irrecevable. Au
niveau local, de nombreuses communes et entreprises appliquent déjà ce congé
menstruel à leurs collaboratrices, à l’instar de la région Nouvelle Aquitaine
ou des mairies de Paris, Strasbourg, Arras, Laval entre autres.
Si
une loi de ce genre venait un jour à être adoptée en France, le pays
rejoindrait l’Espagne qui, le 16 février 2023, est devenue le premier – et pour
l’heure unique – État européen à reconnaître un congé menstruel pour les femmes
souffrant de leurs règles.
Morgane Tanguy-Biscarrat