JUSTICE

Le TJ de Nanterre en lutte contre « la dégradation du rapport à la norme »

Le TJ de Nanterre en lutte contre « la dégradation du rapport à la norme »
Benjamin Deparis, le président du TJ, a dressé le portrait d'une année « tout en contraste ». @JSS
Publié le 09/02/2024 à 16:03

Le tribunal judiciaire effectuait son audience solennelle de rentrée le 29 janvier dernier. Son président Benjamin Deparis et le procureur Pascal Prache ont tous deux fait le bilan de l’année écoulée, marquée par les émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel à Nanterre. Pour 2024, la juridiction mise sur les modes alternatifs de règlement des litiges afin de permettre la réduction des stocks d’affaires.

« Que nous reste-t-il aujourd'hui d'immuable et de résistant au temps après la disparition du ticket de métro et la future disparition du timbre papier ? Les robes et audiences des magistrats ! » Benjamin Deparis, président du tribunal judiciaire de Nanterre, semblait d’humeur nostalgique en introduction de son discours lors de l’audience solennelle de rentrée du TJ, le 29 janvier 2024. Mais c’est pourtant vers l’avenir que le tribunal compte se tourner, après une année 2023 marquée par l’épisode de violences urbaines au début de l’été, consécutives au décès du jeune Nahel.

Une période très chargée pour la juridiction, témoigne le procureur de la république près le tribunal, Pascal Prache. Selon lui, si une partie des émeutes venait bien en réaction de l’événement, « une part significative des émeutiers [avait] des considérations étrangères fondées sur l'effet de groupe, l'opportunisme et la recherche d’adrénaline. S’y est ajouté dans certains cas la volonté de détruire ou de piller », assure-t-il.

Trois sites ont durant cette période été attaqués avec des cocktails molotov. Le tribunal de proximité d’Asnières a été mis hors d’usage pour plusieurs années et est actuellement hébergé au tribunal de proximité de Colombes le temps de trouver un bâtiment adapté dans sa ville d’origine. « Mais la juridiction n’a pas plié », se félicite le président. « Au moins dans les premiers temps des émeutes, une majorité des personnes interpellées étaient inconnues de la justice », assure Pascal Prache, qui se souvient d’un dossier de l’époque qui l’a marqué par les explications d’un jeune ayant lancé un projectile sur des pompiers en fin de manifestation, « indiquant simplement ne pas avoir réfléchi sous le coup d'énervement ». Pour le procureur de la République, « cet exemple illustre la dégradation du rapport à la norme ». 450 gardes à vue en lien avec les émeutes ont été déclenchées par le parquet, et des comparutions immédiates ont été organisées, y compris les week-ends.

Les justiciables désertent le tribunal

Autre illustration citée par le magistrat : le taux de présence des personnes convoquées au tribunal qui, « pour certaines de nos orientations, est inférieur à 50 % », malgré notamment la mise en place de rappels par SMS aux justiciables concernés. « C’est dire l’éloignement d’une partie des justiciables, notamment par rapport à la norme, mais aussi par rapport au juge », déplore Pascal Prache, qui rappelle que « les justiciables sont convoqués au tribunal pour répondre de leurs actes, et non pas conviés ou invités ». Ce sera l’un des objectifs fixés par le procureur de la République pour l’an prochain : « Faire évoluer nos organisations pour redonner du sens à la convocation devant la juridiction. »

Néanmoins, « cette année tout en contraste nous a permis, malgré ces lourds événements, d’affronter ceux-ci et d’opérer des avancées importantes dans notre juridiction », se félicite Benjamin Deparis. Le nombre de procédures transmises au parquet en est en forte augmentation en 2023, avec plus de 156 000 plaintes et procès-verbaux reçus d’après des données provisoires, en augmentation de 45 % par rapport à 2022 et de 50 % en trois ans. Une hausse qui s’explique en partie par les opérations de traitement sur site menées par les parquetiers dans les commissariats. Les délais des affaires familiales ont été divisés par deux en un an, passant de 15 mois à 7 mois et demi en moyenne. « C’était, à mon arrivée (en septembre 2022, ndlr), le point noir majeur de la juridiction », pointe Benjamin Deparis. Le président explique ce résultat par des moyens supplémentaires alloués au TJ, avec l’arrivée de deux juristes assistants et trois juges.

Les alternatives aux poursuites de plus en plus utilisées

Le recours aux procédures simplifiées est rapide et désormais priorisé par le TJ pour les affaires qui le permettent. « Cela permet d’apporter une réponse pénale de qualité dans des délais raisonnables », selon Pascal Prache. Un changement de paradigme qui se traduit dans les chiffres : les orientations en ordonnance pénale ont augmenté de 60 %. Les comparutions immédiates et les convocations par procès-verbal sont elles aussi de plus en plus utilisées, de l’ordre de 13 % de hausse sur un an.


Pascal Prache, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nanterre

Le recours aux travaux d’intérêt général, « axe de stratégie du parquet s’agissant d’une peine qui renforce le sens de la réponse pénale », selon le procureur de la République, a augmenté de 9 % en 2023 dans la juridiction.

La justice des mineurs a également été longuement abordée. Sur toute l’année, ce sont 522 jeunes qui ont été déférés. « Le renforcement des alternatives aux poursuites a également été un objectif pour le parquet », assure Pascal Prache. Ces alternatives ont augmenté de 50 % pour les mineurs, grâce notamment à la mise en place d’un stage spécifique pour ceux ayant été impliqué dans des attroupements armés ou des rixes. Sur le plan de la responsabilisation parentale, des vérifications quant au rôle des parents sont effectués, par des auditions et de potentielles poursuites.

Toutes procédures confondues, le taux de réponse pénale est passé en deux ans de 70 % à 89 %. « Quand on se retourne sur les 15 mois écoulés, je pense que l'on peut dire que la capacité de résilience de cette juridiction est remarquable », estime le procureur.

La lutte contre les violences intrafamiliales renforcée

Objectif pour 2024 : « poursuivre cette voie et réduire significativement le recours aux convocations par officier de police judiciaire devant le tribunal correctionnel », espère Pascal Prache. Celles-ci, au nombre de 1 905 en 2023, se tiennent en moyenne 8 à 10 mois avant l’audience. Moins les utiliser devrait avoir pour conséquence d’améliorer les délais de jugement. Elles devraient être remplacées par des procédures avec défèrement, « pour renforcer la dimension pédagogique de l’orientation pénale ». Le procureur veut également renforcer la lisibilité de la réponse pénale, « un enjeu majeur qui nourrit la confiance de nos concitoyens dans l’institution ».

Autre axe de développement pour le tribunal : le développement des modes alternatifs de règlement des litiges. Pour cela, le nombre de délégués du procureur a été multiplié par deux en deux ans. En 2024, les missions de médiation seront renforcées, notamment grâce aux conciliateurs de justice, mais aussi grâce à l’arrivée de la césure du procès civil et de l’audience de règlement amiable, introduits dans le Code de procédure civile le 1er novembre dernier. Le tribunal de proximité sera prochainement le site pilote pour l’expérimentation d’une plateforme nationale de conciliation en ligne, a assuré Benjamin Deparis.

La lutte contre les violences intrafamiliales, « fléau de civilisation et signe de décivilisation », selon le président du TJ, est également un cheval de bataille pour la juridiction. Le nombre de plaintes concernant des faits de ce type a continué d’augmenter en 2023, et le tribunal judiciaire de Nanterre a prononcé deux fois plus de condamnations depuis quatre ans. « C’est un choc majeur pour l’institution judiciaire, il s’agit désormais d’un contentieux de masse », assure Pascal Prache. Sur ce type de faits, « la nécessité est de traiter cet afflux massif par des réponses d’urgence impliquant très souvent un défèrement ».

Des audiences foraines ont été créées à Boulogne-Billancourt l’an dernier et une convention a été signée avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour faciliter la prise de plaintes au sein des hôpitaux et soulager les commissariats. L’objectif de la centaine de téléphones grave danger distribués par la juridiction a été fixé, soit trois fois plus qu’il y a deux ans. Et le procureur Pascal Prache de se féliciter que le TJ ait « préfiguré la mise en place des pôles dédiés aux violences intrafamiliales », généralisés par décret en début d’année. « Cette forte mobilisation de la juridiction a vocation à nous permettre de faire face aux aléas, mais aussi à la très forte contrainte qui résulte des attentes de nos concitoyens », estime le procureur.

La juridiction mobilisée avant, pendant et après les JO

Les Jeux olympiques de Paris 2024 sont également en ligne de mire. « Là aussi, l’efficacité de notre juridiction sera scrutée », estime Pascal Prache. Le TJ sera mobilisé durant la période des Jeux, mais aussi en amont et en aval « pour tenir compte de l’afflux de touristes prévisible ». Le défi sera surtout dans le maintien de la capacité du tribunal à gérer l’activité délinquante classique. « Les phénomènes de vols, de violences, d’escroqueries feront ainsi l’objet d’une attention particulière », assure le procureur de la République. Les audiences de comparution immédiate seront notamment renforcées durant l’été. Une nouvelle chambre correctionnelle, la 21e, créée en septembre 2023, devrait permettre de gérer plus de comparution de ce type « durant les trois semaines critiques des JO », selon le président du tribunal.

« En cette année olympique, nous ne voulons pas seulement participer, mais monter sur le podium en continuant à muscler et élever notre niveau de jeu », métaphorise Benjamin Deparis. Mais rien n’est jamais sûr, et Pascal Prache se veut vigilant : « Je ne doute pas que d'autres imprévus s'imposeront à nous. Il nous faudra donc rester attentifs. »

Alexis Duvauchelle

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