Au
printemps dernier, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a publié
un rapport sur le management, comparant la France à quatre voisins européens.
Le rapport montre un management français plus directif et vertical que chez eux.
Est-ce vraiment le cas, et d’ailleurs est-ce toujours une mauvaise chose ?
Quelles sont les causes d’un management plus hiérarchique, et globalement,
comment améliorer les pratiques managériales ?
Un
management plus directif que dans d’autres pays, plus vertical, impliquant
moins les salariés, leur conférant moins d’autonomie et moins de reconnaissance…
C’est en substance la façon dont le rapport de l’Igas « Pratiques
managériales dans les entreprises et politiques sociales en France », paru en mars 2025, décrit le management
français. Il précise bien que ce n’est pas systématique, mais estime que cela
reste majoritaire.
Philippe
Savajols, dirigeant d’Isospace, une entreprise d’aménagement d’espaces de
bureaux, observe l’organisation du travail dans les neuf sociétés rachetées
dans sa carrière et chez ses clients. Il trouve le management français « un
peu trop hiérarchique, laissant traditionnellement assez peu de marge de
manœuvre aux collaborateurs. Dans certaines sociétés que j’ai rachetées, j’ai dû
déconstruire le modèle de management pour permettre à l’humain de retrouver un
peu sa place ».
Plusieurs
chercheurs interrogés confirment la tendance plus directive du management
français, mais la nuancent fortement : nombre d’entreprises managent par
la confiance, désireuses de répondre aux attentes des salariés, et cherchent
les clés d’un management moins directif.
« Nous
voyons des pratiques prometteuses concernant le management et le dialogue sur
les conditions de travail », confirme Matthieu Pavageau, directeur
scientifique de l’Anact, l’Agence nationale des conditions de travail, qui fait
de la recommandation de politiques publiques et accompagne notamment des
petites et moyennes entreprises. « S'il est très inégal, le dialogue a
quand même cours et il se développe ».
Le
sociologue des organisations Eric Delavallée confirme que cela existe aussi
bien dans les petites entreprises que dans les grandes, comme Danone, « connue
pour son management beaucoup plus participatif, intégrant davantage les
logiques humaines que d'autres entreprises françaises ».
Cela dit,
Matthieu Pavageau reconnaît que l’Anact « voit souvent dans ses
enquêtes que le dialogue, s’il peut exister, est insatisfaisant et se confronte
à des difficultés ». Il note un « affaiblissement de la
capacité à se concerter sur l’avenir du travail. C’est un vrai problème ».
Loïc Le
Morlec, chercheur en sciences de gestion, qui a managé dans de grands groupes
internationaux, n’a pas l’impression - contrairement à d’autres intervenants - que
le management relativement directif de la France le soit plus qu’à l’étranger.
Et appelle à distinguer management autoritaire, rare, qui recourt à la
contrainte, et potentiellement « impose au-delà de toute règle »,
et management directif, qui « exige de respecter les règles ».
Il pointe une limite de l’étude : elle interroge plusieurs intervenants,
mais seulement quelques grandes entreprises, sans observation de terrain.
Le management doit-il
toujours être participatif pour être un bon management ?
Le
rapport de l’Igas cite plusieurs sources qui s’accordent toutes sur la
définition d’un bon management : il doit être notamment participatif,
accorder suffisamment de reconnaissance aux salariés, et favoriser leur
autonomie.
Il évoque
plusieurs études liant la qualité du management et la santé des salariés, et
même le management et la performance économique. Mais les effets d’un bon
management vont bien au-delà : le rapport de l’Igas souligne qu’il influence
aussi des dimensions collectives majeures comme le taux d’emploi,
l’absentéisme, la santé mentale, ou encore le sentiment de sens au travail –
des enjeux centraux pour les politiques sociales.
Vincent Coutansais,
associé à Xelya, en est d’ailleurs fermement convaincu. Il veut proposer le
management le plus participatif possible : chez l’éditeur de logiciels, le
management est tournant, avec des mandats de trois ans pour les différents
postes. Et il est participatif, avec beaucoup de co-construction. « Le
manager est un facilitateur. Il amène les gens à faire, les accompagne quand
ils ont besoin, les aide, les oriente. »
Caroline
Diard, chercheuse en management à Toulouse Business School, explique qu’en
« matière de management, vous suivez quelqu'un quand vous le considérez
comme légitime. L'autorité s'appuie sur une forme de soumission, mais aussi une
perception de l’utilité, un intérêt à obéir, et une reconnaissance de ce que
vous êtes en tant que manager », notamment l’expertise professionnelle. Si
un manager autoritaire n’est pas reconnu comme légitime, « à un moment,
ça va au clash ».
Elle
note aussi que si un contexte économique défavorable augmente la propension des
gens à accepter un management, même s’il ne leur convient pas, certaines
pratiques managériales sont de moins en moins acceptées, même en périodes de
crise économique, car « les salariés, beaucoup mieux informés », sont
plus critiques vis-à-vis des ordres reçus. Elle sent une « demande
accrue de justification des décisions ».
Un management adaptatif
« Personne n'a démontré que le
management participatif était mieux et conduisait à plus de performance dans
toutes les entreprises et à tous les niveaux de management que d'autres types
de management, contredit cependant Eric Delavallée. Cela dépend des
contextes, des moments ». Loïc Le Morlec et lui citent le « leadership
situationnel », théorisé par les chercheurs états-uniens Paul Hersey
et Kenneth Blanchard : « Il n’y a pas de management, il n’y a que
des situations de management », synthétise Loïc Le Morlec.
Par
conséquent, « le manager doit être capable d'adapter son style de
management à la variété des situations et des personnes. Parfois, il doit être
participatif, d'autres fois, directif, et cætera », poursuit Eric
Delavallée. Comme en période de crise, ou quand une personne est réfractaire,
ou en difficulté.
Loïc Le
Morlec repense ainsi aux nombreuses règles, imposées de façon directive,
lorsqu’il manageait dans l’industrie chimique. « Heureusement qu’on les
fait respecter, car ce qui est en jeu, c’est la vie des salariés ». En
revanche, ces règles « ne doivent pas brider et déresponsabiliser, ou
responsabiliser mal, par exemple en allant chercher les KPIs à tout prix ».
Selon lui, cela se retrouve pourtant chez certains managers de tous niveaux
qui, poussés par le management par objectifs, ne veulent que faire leur chiffre.
Philippe
Savajols se souvient d’un rachat d’entreprise où les salariés se plaignaient du
management trop directif de l’ancien patron et voulaient plus d’autonomie, ce qu’il
cherche à mettre en place dans ses entreprises. Il a été ravi, mais cela s’est mal
passé : les salariés ont tout d’un coup eu beaucoup d’autonomie, sans
l’accompagnement nécessaire. « C'était vraiment une découverte pour moi.
Cela m’a appris qu'il fallait former ses managers à se transformer radicalement.
Nous avons fait des formations à l'écoute active, et accompagné ces salariés. L'erreur
était de croire que parce qu'ils étaient demandeurs d'autonomie, ils avaient
complètement saisi ce que cela représentait comme effort de leur côté. »
« Tout
le monde n’a pas envie d’être chef, d’avoir le pouvoir, ni même d’être managé
de manière plus participative », rappelle la chercheuse Caroline
Diard.
Mais le
chercheur Loïc Le Morlec pointe qu’un management participatif doit
s’accompagner d’un droit à l’erreur pour les salariés. Or, les managers
eux-mêmes en bénéficient de moins en moins, selon lui, ce qui renforce encore
le management descendant. « Dans certaines circonstances, le management
directif est nécessaire. Mais si c'est le seul management, il va empêcher la
créativité, la prise d'initiative... C’est un terrain propice pour le
désengagement, la démotivation »… Et aussi le management toxique,
puisqu’il y a moins de contrepouvoirs.
Quelles sont les causes
du management directif ?
Certains
mettent en avant des causes historiques, culturelles. Caroline Diard explique
que le management de l’époque industrielle, « très contrôlant et visuel »
(les contremaîtres regardaient ce que faisaient les ouvriers), est peu à peu
devenu plus participatif, avec notamment la tertiarisation. « Mais on a
réorganisé les entreprises de service comme étaient organisées les entreprises
industrielles ». Elle cite ainsi la diminution du télétravail. « Le
retour au bureau est une manifestation emblématique du management contrôlant »,
tout comme, selon elle, les plateformes téléphoniques, et la multiplication de
réunions dans certaines banques durant le confinement, pour s’assurer que les
salariés travaillaient. « Le contrôle visuel n'existe plus, mais a été
remplacé par d’autres formes de contrôle » sur l’organisation du
travail, permises par les nouvelles technologies.
Matthieu
Pavageau critique certains « modèles d'organisation du travail fondés
sur une distinction entre ceux qui pensent et ceux qui font, qui reprennent les
fondements du taylorisme ». Si le management autoritaire a été accepté
durant le compromis fordiste (croissance soutenue, sécurité de l’emploi),
« la relation au travail ne peut plus être la même quand on est face à
davantage d'insécurité, par exemple ».
Le
rapport de l’Igas pointe aussi une culture de l’honneur à la française, un
grand respect pour le statut hiérarchique. « C'est sûrement assez
persistant dans les relations de travail, que ce soit dans le dialogue social
ou dans la relation à l'autorité », confirme Matthieu Pavageau de l’Anact. Ce
que Philippe Savajols, dirigeant d’Isospace, regrette, car cela conduit aussi à
un éloignement du dirigeant et de l’équipe opérationnelle, les salariés « s’autocensurant »
face à lui.
Il y
voit aussi les effets de « la culture de la centralisation »,
qui accorderait une place prépondérante au chef. « Dans certaines tours
à la Défense, il y a quelques années, le PDG avait son propre ascenseur que
personne n'avait le droit de prendre. Les bureaux étaient un espace de pouvoir.
Au fil des années, j’ai vu que l'espace de travail est le reflet de la culture
managériale. Maintenant, l'open space suffit-il à casser l'autorité
verticale ? Je n’en suis pas tout à fait certain. »
Mais Loïc
Le Morlec rappelle que le passé industriel, vécu par d’autres pays occidentaux
– « le taylorisme, ce n’est pas la France qui l’a inventée »,
ne permet pas d’affirmer que le management français serait plus directif. Il
appelle à faire attention à ne pas sombrer dans le « French bashing ».
Pour lui, le management est influencé par son environnement, c’est-à-dire tout
ce qui exerce une influence sur l’activité humaine. Celui-ci « crée les
conditions de management, ce n’est pas lié à une culture donnée ».
L’environnement peut s’entendre d’un pays, d’un secteur, d’une entreprise.
« Dans une PME, il se marie avec la personnalité du dirigeant. »
Il décrit
la France comme « un environnement où les règles sont importantes, avec
depuis le début du siècle un retour du management par les règles, qui induit un
management directif. L’environnement devient de plus en plus bureaucratique, on
impose de plus en plus de normes », aussi bien au niveau de l’Etat,
qu’au niveau des entreprises, notamment des grands groupes vis-à-vis de leurs
fournisseurs, les poussant à adopter un management directif.
Une
autre explication selon lui - mais qui n’est pas propre à la France - est une
financiarisation et une déréglementation de l’économie, qui affecte les grands
groupes cotés : « Jusqu'à la fin du siècle précédent, la
valorisation d'une entreprise se définissait par sa valeur économique.
Maintenant, ce qui importe, c’est la confiance des marchés, qui peut chuter en
une seconde. Et dès que vous entrez dans un environnement à risque, vous êtes
obligés de mettre du contrôle », d’autant qu’il observe une aversion croissante
au risque dans certains secteurs. D’où une augmentation du contrôle sur les
résultats chiffrés.
Le
chercheur note que souvent, les managers intermédiaires ont énormément de
responsabilités, sans le « pouvoir d’agir ». Conséquence :
« Les managers s’appuient sur les moyens qu’ils ont, être coercitifs
avec leurs équipes ». D’autant qu’il observe, chez les grands groupes,
« un problème de pression sur les résultats et un problème de temps. Cela
ne laisse pas de place à la créativité, à l'esprit critique… Si vous n’avez
plus le temps de rien, vous n’avez plus que le temps de micromanager ».
Tout en
appelant à être prudent sur le sujet, Matthieu Pavageau indique que « le
système de management par les chiffres, avec une logique dominante de
reporting, peut avoir une incidence dans les grands groupes qui ont conçu des
plans pluriannuels à des niveaux stratégiques sans prendre en compte les réalités
productives : compétences présentes, coordination, coopération, liens avec la
sous-traitance, etc. Certains parlent d’un découplage entre un management très
stratégique et la réalité de travail ».
Un manque
d’investissement des organisations ?
L’Igas
pointe aussi le manque de formation des managers. Caroline Diard et Loïc Le
Morlec observent tout de même que la formation initiale au management est mieux
prise en considération dans les écoles, et plus collective.
Mais
cela prend du temps. Et dans les entreprises, la majeure partie des managers
n’est toujours pas formée, assure le chercheur, ce qui accroît les probabilités
de reproduire le management à l’ancienne, très directif. D’autant que les
entreprises ont du mal à évaluer les résultats du management, selon Matthieu
Pavageau.
Ainsi,
pendant longtemps, elles n’ont pas pris en compte les compétences spécifiques
requises par le management, qui n’était vu ni comme un métier, ni comme une
fonction mais comme une récompense des meilleurs éléments. « Souvent, on
disait qu’on perdait un très bon technicien pour gagner un mauvais manager
», confirme Eric Delavallée. Si désormais, le management attire moins, l’idée
est encore répandue que « ce qui compte est d’être bon techniquement, que le
management peut s'apprendre sur le tas ».
Le
sociologue des organisations doute que les entreprises investissent « suffisamment
dans des véritables dispositifs de développement managérial au-delà de la
formation aux basiques du management ». La cause ? « Si on fait de
grandes généralités, je pense que par rapport à d'autres pays, les dirigeants français
n'attachent pas suffisamment d'importance au management, à sa qualité, à son
impact sur la performance de l'entreprise et à ses modalités de fonctionnement
». Ce qui se sent aussi bien dans l’attribution des promotions que dans
l’évaluation des managers. « Durant les entretiens annuels, vous évaluez
leur performance opérationnelle, leur expertise technique, pas forcément leur
capacité managériale. »
Conséquence
: « Je ne suis pas bien sûr que ce soit au niveau hiérarchique le plus élevé
qu'on trouve les meilleurs managers. Et même, on pourrait dire à peu près
l'inverse. Je connais un certain nombre d'entreprises dans lesquelles on sait
que les membres du comité de direction ne sont pas des managers exemplaires.
»
Surtout,
la plupart des intervenants partagent le constat que le style de management est
largement favorisé par l’organisation, actuelle et passée : un manager au
style participatif dans une organisation très directive aura plus de difficultés.
Loïc Le Morlec – comme Matthieu Pavageau – appelle à se méfier du développement
personnel, qui « plutôt que d’aller chercher des explications de
contexte ou structurelles, remet la cause sur les individus ». La
chercheuse de TBS Caroline Diard rappelle qu’un manager se définit à la fois
par « des facteurs intrinsèques », des caractéristiques
propres, et des facteurs extrinsèques : « Le manager est un acteur
dans un système, où il est obligé de s'adapter aux luttes de pouvoir, à la
culture d'entreprise, au process, au flux d'informations. »
Loïc Le
Morlec dit en avoir fait les frais, en voulant amener un management globalement
basé sur la confiance, tout en faisant face à beaucoup de pression et des
objectifs très hauts. Vincent Coutansais de Xelya également. Il a auparavant été
directeur commercial d’un éditeur nantais, avec cinq directeurs d’agence et 70
commerciaux, dans une structure « très pyramidale », due à une
direction elle-même très hiérarchique, bien que familiale, convaincue d’une nécessaire
distance entre le management et ses équipes.
Lui est
adepte des moments informels, pour créer de la cohésion et prendre le pouls de
l’équipe. Ce que le comité de direction va lui reprocher. « J’avais
beaucoup de mal à obtenir des budgets pour cela. » Lors d’un séminaire
commercial, plusieurs commerciaux refusent de venir si le président est là, à
cause de « cette barrière managériale extrêmement présente »,
alors que lui a prévu un travail, mais informel – au grand dam du président.
Il prône
un management par la confiance, on lui demande du « micromanagement mécanique,
très axé chiffres, activité : je devais faire un point hebdomadaire sur le
nombre de rendez-vous, de propositions ». Il préfère parler des
objectifs, des affaires en cours, ne voyant pas de sens à demander des comptes
sur leurs méthodes à « des commerciaux avec 25 ans de boîte. Or c’était
ce que faisait le président, sans adaptation du management aux gens en face ».
Ainsi,
lors du licenciement d’une commerciale, faute de résultats, le dirigeant
insiste pour que la lettre de licenciement parte juste avant les vacances de la
salariée. Le directeur commercial cède, mais le vit mal. « Cela s’est
fait de façon extrêmement violente, alors qu’on aurait dû le faire d’une
manière beaucoup plus humaine. »
Éric
Delavallée pointe un autre écueil : le décalage croissant entre les discours
affichés par les entreprises et les pratiques réelles. Ainsi, une entreprise
qui prône le management par l’autonomie, mais dont le CoDir et le top
management ont peu de compétences managériales, ne sera pas crédible. Idem si
un dirigeant vante la délégation mais raye un manager, envoyant à sa place un
salarié plus compétent sur un sujet.
« Là,
vous créez ce qu'on appelle en psychologie de la dissonance cognitive,
avertit-il. Et tout le monde comprend que ce qui compte vraiment dans l'entreprise,
ce n'est pas la capacité à manager, c'est la capacité à produire des résultats ».
L’Igas
relève un paradoxe : si la France dispose d’un arsenal réglementaire
particulièrement étoffé pour encadrer l’organisation du travail, les effets
concrets sur les pratiques managériales restent limités. Alors que le dialogue
social est en France très formalisé, inscrit dans les textes, on y parle peu de
management, contrairement à d’autres pays.
D’ailleurs,
l’affaiblissement du dialogue social, qui peut entraîner un management
directif, s’est accéléré, selon Matthieu Pavageau, avec les ordonnances de 2017
qui ont réformé les instances représentatives, en fusionnant toutes celles
existantes dans le CSE, le comité social et économique, chargé de tout traiter
sans nécessairement en avoir les moyens. Alors que l’Anact met en avant
l’importance de pouvoir négocier ses conditions de travail, l’organisation
constate que depuis une trentaine d’années, c’est de moins en moins le cas.
Comment améliorer le
management français ?
L’Igas
présente plusieurs pistes d’amélioration. Notamment, instaurer plus de
participation des salariés, aussi bien au niveau de l’organisation de leurs
tâches que du fonctionnement de l’entreprise. Matthieu Pavageau explique d’ailleurs
que l’Anact s’est fondée sur cette volonté d’instaurer un « partenariat
social, c'est-à-dire passer d'un rapport de force permanent entre travailleurs
et employeurs à la recherche du compromis », sans oublier que « des
intérêts coexistent, et ne sont pas toujours exactement les mêmes »
pour toutes les parties.
D’où
l’intérêt de promouvoir « cette base culturelle : la réunion des
intérêts n'est pas immédiate, parce qu'elle passe par des phases de discussion,
de confrontation, de débat », que les organisations gagneraient à adopter.
Ce management participatif, évident au niveau de l’opérationnel, améliore
« la satisfaction au travail, la santé au travail, la performance des
équipes, la réduction de l'absentéisme, l'accueil de ceux qui reviennent d'un
arrêt de travail ». Ensuite, « à un niveau plus stratégique, c’est
plus complexe », mais possible dans une certaine mesure.
Le
rapport de l’Igas appelle aussi à s’inspirer des bonnes pratiques des voisins.
Ainsi, en Suède, les syndicats soutiennent les managers dans leur rôle ; en
Allemagne, des dispositifs comme l’initiative « für eine neue Qualität
der Arbeit » accompagnent les PME vers un management plus coopératif.
Il propose de lancer un programme public de soutien à l’innovation managériale
inspiré du modèle allemand du 'Future of Work'.
L’Igas
demande un meilleur accompagnement durant la carrière, et propose par exemple
que l’Apec accompagne les cadres aussi sur leurs missions managériales. Elle
appelle à renforcer la formation, et à la rendre plus concrète.
L’Anact a
déjà mené des programmes en partenariat avec des écoles pour apporter des bases
plus scientifiques au management, renforcer la culture managériale, « s'intéresser
à ce que c'est que l'innovation sociale dans le travail, l'influence de
l'organisation, de la gestion sur les pratiques, sur les attitudes ».
Le
rapport propose aussi d’introduire explicitement les pratiques managériales
dans le dialogue social obligatoire. Si les intervenants plaident pour la
création d’espaces de discussion sur le travail et sur le management, expérimentés
localement, Matthieu Pavageau estime que « cela ne peut pas tout de
suite être un objet de dialogue social, car les managers ont besoin d'être sécurisés
dans des phases où il s'agit d’aller regarder, améliorer, changer les
pratiques. Cela peut être un objet de travail dans les équipes managériales ».
Plusieurs
intervenants insistent sur le fait que les managers ne peuvent pas changer seuls
le management et la culture de l’entreprise. C’est à la direction de créer les
conditions propices, et de revoir l’organisation du travail pour que les
managers aient plus de liberté et puissent favoriser l’engagement et
l’autonomie de leurs équipes.
Philippe
Savajols affirme se soumettre aux mêmes règles de flex office que ses
salariés : ni bureau, ni place attribuée dans l’open space. Et via
l’intranet, chacun, parmi sa centaine de salariés, peut le contacter
anonymement. Beaucoup de dirigeants lui demandent de transformer leurs espaces
de travail pour correspondre à une organisation moins hiérarchique, plus en
phase avec les attentes. Il les prévient que cela passera nécessairement par
« de l’accompagnement au changement et de la formation. Il faut une
vraie réflexion sur le changement de management », et même un
réagencement des bureaux doit impliquer l’ensemble des équipes.
Pour
lui, passer d’un management très directif à un management plus participatif
doit se faire progressivement, et surtout en accompagnant les managers à
« accepter de ne pas tout contrôler » et en les formant
« au pilotage par la confiance ». Il assure essayer « d’incarner
et d’expliquer plus que de définir » le management de l’entreprise, et
de le coconstruire avec ses managers.
Pour
Caroline Diard, la clé du management, c’est l’adaptation : « Quand
vous arrivez dans une structure, il faut vous demander d'où viennent les gens,
quel est leur parcours, s’il y a eu des conflits, quelles sont les interactions…
». Et les experts appellent à rendre les managers capables d’adapter leur style
de management aux situations.
Pour Loïc
Le Morlec, le management par objectifs pourrait fonctionner si on ne donnait
pas d’objectifs financiers. Il recommande également, de façon très concrète, de
transférer les provisions faites en cas de sous-performance, de la direction
financière au niveau opérationnel, pour donner des marges de manœuvre aux managers.
« Mais aujourd’hui, on n'encourage pas la prise de risques et on
augmente le contrôle parce que si vous prenez un risque, et que cela marche, on
ne vous rétribue que sur l'année et on remet tout à zéro pour l'année suivante ».
Ce qui plonge les managers dans une pression constante.
Loïc Le
Morlec explique avoir toujours – sauf exception – favorisé « la
confiance, l’autonomie, la prise d’initiative ». Ne pas passer son
temps à contrôler le travail de ses équipes lui a fait gagner 50 % de temps...
Qu’il a alors pu consacrer à créer de la valeur pour son entreprise. « Ce
que je perdais d'un côté à ne pas contrôler, je le gagnais 100 fois avec ce que
j'allais transformer, innover et apporter comme valeur aux entreprises. »
Il
appelle également à « laisser l’opportunité de moments informels »,
durant lesquels les barrières hiérarchiques tombent en partie – mais initiés
par les salariés. « Si vous créez un moment informel, il devient formel ».
Montrer
plus de reconnaissance est également une piste citée par l’Igas, mais Loïc Le
Morlec nuance : « Aux Etats-Unis, ils disent ‘good job’ dix fois
par jour, mais vous pouvez être virés le soir-même. »
Si reconnaître verbalement le succès d’un
collaborateur est important, il insiste sur le fait que « la
reconnaissance devrait avoir une notion de durée », et passe, entre
autres, par le fait de « faire en sorte que chaque personne puisse
trouver elle-même du sens à son travail ». Cela signifie aussi,
notamment dans le cadre d’une transformation, « partir du terrain,
l’écouter, en tenir compte. C’est une forme de reconnaissance majeure ».
Aude David