Le
métavers est présenté comme le nouveau monde de tous les possibles. Dès lors,
il est plus que nécessaire, pour les professionnels de la culture, de maîtriser
les subtilités juridiques de cet univers dématérialisé afin d’en tirer profit
ou, a minima, d’y préserver leurs droits.
La
naissance du métavers
Le
terme métavers est apparu en 1992 dans le livre Le Samouraï virtuel de
Neal Stephenson. Il vient du grec meta, qui signifie « au-delà » et verse, qui
renvoie à un « univers ». En 1999, le
septième art s’est emparé du sujet du métavers à travers le film Matrix, où le
légendaire Keanu Reeves navigue entre la Matrice et le monde réel sous le nom
de Neo.
Véritable
univers au-delà du réel où réalité physique et réalité virtuelle ne forment
plus qu’un, le métavers regroupe une communauté d’utilisateurs interagissant
entre eux en temps réel sous la forme d’« avatars ». Bien loin de n’être qu’un
concept abstrait et futuriste, le métavers se concrétise aujourd’hui sur
Internet. Mark Zuckerberg, qui a renommé l’entité exploitant Facebook en « Meta
», a d’ailleurs expliqué que, selon lui, dans le métavers, tout sera possible :
se réunir avec ses amis et sa famille, travailler, apprendre, jouer, acheter,
créer.
En
dépit du fait que le métavers soit un monde dématérialisé, les questions
juridiques relatives à sa régulation sont bien réelles. De toute évidence, le
métavers s’incarne actuellement en un pouvoir horizontal, sans l’intervention
de l’État. Il convient donc d’examiner les interactions qui ont lieu dans ce
nouvel univers alternatif, avant que celui-ci ne se transforme en une zone de
non-droit numérique.
Protéger
sa création dans le métavers
C’est
bien connu, les simples idées ne sont pas susceptibles de protection par le
droit d’auteur, l’« œuvre de l’esprit » devant exister sous une forme
perceptible par les sens. En effet, l’œuvre doit pouvoir être vue, entendue ou
touchée.
Il
n’en demeure pas moins que le Code de la propriété intellectuelle (CPI) est
silencieux sur le type de support sur lequel l’œuvre doit être fixée. Cette
omission a toutefois été réalisée à dessein par le législateur, afin de ne pas
limiter le bénéfice de la protection par le droit d’auteur à la condition de la
fixation de l’œuvre sur une liste exhaustive de supports, pour ainsi inclure
les supports futurs n’existant pas encore.
Ainsi,
il convient de reconnaître une protection par le droit d’auteur aux œuvres de
l’esprit présentes dans le métavers, sous réserve naturellement que ces œuvres
répondent à la condition d’originalité.
L’adaptation
des contrats de cession de droits d’auteur
S’agissant
de la cession de droits d’auteur, le principe dit « d’interprétation
restrictive des cessions » s’impose : le cessionnaire ne peut se prévaloir que
des droits qui lui ont été expressément cédés. Par ailleurs, le CPI, qui
interdit « la cession globale des œuvres futures », exige que le contrat
de cession mentionne le champ d’exploitation des droits cédés quant à son
étendue et son objet, quant au lieu et quant à la durée.
En
droit d’auteur français, à défaut de l’existence d’un contrat en bonne et due
forme, l’auteur reste seul titulaire de ses droits. En clair, tout ce qui n’est
pas clairement cédé dans le contrat est conservé par lui, et violer cette règle
c’est encourir une action en contrefaçon.
Or,
le métavers pourrait s’analyser en un mode d’exploitation inédit, auquel les
usages contractuels devront se conformer en le visant expressément dans les
clauses de cession. À ce titre, rappelons que si un doute subsiste sur la
portée d’une cession de droits d’auteur, la convention sera interprétée en
faveur de l’auteur.
Si
les œuvres de l’esprit présentes dans le métavers sont bel et bien protégées
par le droit d’auteur, la mise en œuvre de la protection dans ce nouvel
environnement numérique sera précisée par la jurisprudence.
La
notion de contrefaçon dans le métavers
Les
œuvres présentes dans le métavers bénéficiant de la protection du droit
d’auteur, toute violation de ce droit est susceptible d’être qualifiée de
contrefaçon. Ainsi, des actes illicites de reproduction et de représentation de
nombreuses créations (films, arts plastiques et graphiques, musiques, textes,
etc.) peuvent être « commis » dans cet univers virtuel.
Les
juges reconnaissaient déjà en 1997 que « la numérisation d’une œuvre (…)
constitue une reproduction de l’œuvre qui requiert à ce titre, lorsqu’il s’agit
d’une œuvre originale, l’autorisation préalable de l’auteur », tandis que
le traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur
le droit d’auteur de 1996, arrangement particulier de la convention de Berne,
réitère que les droits de reproduction s’appliquent pleinement dans
l’environnement numérique. Dans le métavers, le droit de représentation est
également mis en œuvre, dans la mesure où l’œuvre y est communiquée au public.
Ainsi,
si les actes de contrefaçon commis dans le monde réel sont transposables dans
le monde virtuel, les juges devront adapter ces concepts dans le contexte
nouveau du métavers. La plus grande difficulté tient toutefois à
l’identification du contrefacteur.
Comment
identifier les contrefacteurs dans le métavers ?
Dans
le métavers, l’anonymat est facilement préservé tant il est ardu de savoir qui
se cache réellement derrière un avatar. Identifier les utilisateurs est
d’autant plus compliqué avec l’avènement des réseaux privés virtuels, plus
communément appelés VPN, systèmes permettant d’assurer la confidentialité des
échanges entre ordinateurs et l’anonymat en ligne, par la création d’un réseau
privé à partir d’une connexion Internet publique.
Cependant,
des techniques informatiques pointues existent pour identifier les
utilisateurs. La question est donc la suivante : peut-on accéder aux données
personnelles des personnes présentent dans le métavers pour enquêter ? A ce
titre, il s’agit de savoir si le règlement général sur la protection des
données (RGPD) de l’Union européenne pourrait s’appliquer au métavers…
Pour
mémoire, le RGPD s’applique en fonction du lieu où se trouve le sujet lorsque
ses données sont traitées, et non en fonction de son pays d’origine ou de sa
citoyenneté. Le métavers, véritable espace sans frontière, suscite donc de
nombreuses interrogations sur la localisation du contrefacteur, ainsi que sur
la manière dont on peut accéder à ses données personnelles.
Droit
applicable et juridictions compétentes
Sans
aucun doute, la question primordiale reste celle du droit applicable – même si
les règles nationales ont tendance à être de plus en plus proches par le biais
des adhésions aux grands traités internationaux sur la propriété littéraire et
artistique – et des juridictions compétentes.
Le
18 octobre 2017, la Cour de cassation a eu l’occasion de traiter les
contrefaçons qui naissent dans un État et sont vendues dans un autre
territoire, notamment par Internet, le tout au détriment d’une entreprise
ressortissant d’un troisième pays. Et d’estimer que les juges saisis, en
l’occurrence français et donc appartenant à un pays où un site Internet
proposait, indirectement, les contrefaçons, sont bel et bien compétents. Ils
donnent ainsi tort à la cour d’appel qui, en charge précédemment de ce
contentieux, avait jugé que l’affaire ne pouvait être tranchée que dans
d’autres pays, pour lesquels le site litigieux avait été conçu. Les juges
avaient d’ailleurs déjà statué en ce sens, le 22 janvier 2014, désavouant, là
encore, la jurisprudence dite de la « focalisation, du ciblage ou de la
destination », et rappelle celle de l’accessibilité.
S’agissant
de la contrefaçon, il suffit de pouvoir acheter un exemplaire dans une
librairie parisienne ou sur un site français pour que les juridictions de la
capitale soient compétentes pour trancher le litige. En outre, l’article 113-6 du
Code pénal dispose que « la loi pénale française est applicable à tout crime
ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement commis par un Français ou par un
étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de
nationalité française au moment de l’infraction ».
L’atteinte
portée aux droits d’un auteur ou de son éditeur est bel et bien un délit pénal.
Car selon l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle, « la
contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de
deux ans d’emprisonnement ».
Toutefois,
demeure posée la question de la réparation du préjudice total par le seul juge
français. La Cour de cassation ne s’est pas prononcée si clairement dans son
arrêt en date du 18 octobre 2017. Il faudra donc attendre que la cour d’appel
de renvoi, qui doit restatuer puisqu’il y a eu cassation de l’arrêt d’appel
précédent, se prononce sur ce point. À cet égard, la Cour de justice de l’Union
européenne, dans un arrêt du 3 octobre 2013, a en effet rappelé que les juges
ne peuvent statuer que sur le préjudice subi sur leur territoire.
Enfin,
lorsque les faits ont été commis dans plusieurs pays, reste à savoir si une
juridiction autre que celle du défendeur peut condamner à une indemnisation
globale. À ce titre, dans une affaire de diffamation, la Cour de justice des
communautés européennes a estimé, en 1995, que la réparation du préjudice est
limitée aux dommages subis dans le pays du juge. Seule la juridiction dont
dépend principalement le défendeur (celle de son lieu de résidence, du lieu de
l’édition ou de la commercialisation principale) peut indemniser l’ensemble des
torts subis dans plusieurs territoires. Le problème est bien évidemment accru
en cas de diffusion litigieuse sur Internet.
En
définitive, il est possible de saisir le juge le plus proche de chez soi, mais
mieux vaut parfois, pour l’heure, actionner dans le pays, même sous forme
d’avatars numériques, où les dégâts sont les plus nombreux.
Emmanuel Pierrat,
Avocat au barreau de Paris,
Cabinet Pierrat & Associés