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Le métavers face au droit d’auteur

Le métavers face au droit d’auteur
Publié le 18/11/2022 à 10:08


Le métavers est présenté comme le nouveau monde de tous les possibles. Dès lors, il est plus que nécessaire, pour les professionnels de la culture, de maîtriser les subtilités juridiques de cet univers dématérialisé afin d’en tirer profit ou, a minima, d’y préserver leurs droits.

 

La naissance du métavers

 

Le terme métavers est apparu en 1992 dans le livre Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson. Il vient du grec meta, qui signifie « au-delà » et verse, qui renvoie à un « univers ».  En 1999, le septième art s’est emparé du sujet du métavers à travers le film Matrix, où le légendaire Keanu Reeves navigue entre la Matrice et le monde réel sous le nom de Neo.

 

Véritable univers au-delà du réel où réalité physique et réalité virtuelle ne forment plus qu’un, le métavers regroupe une communauté d’utilisateurs interagissant entre eux en temps réel sous la forme d’« avatars ». Bien loin de n’être qu’un concept abstrait et futuriste, le métavers se concrétise aujourd’hui sur Internet. Mark Zuckerberg, qui a renommé l’entité exploitant Facebook en « Meta », a d’ailleurs expliqué que, selon lui, dans le métavers, tout sera possible : se réunir avec ses amis et sa famille, travailler, apprendre, jouer, acheter, créer.

 

En dépit du fait que le métavers soit un monde dématérialisé, les questions juridiques relatives à sa régulation sont bien réelles. De toute évidence, le métavers s’incarne actuellement en un pouvoir horizontal, sans l’intervention de l’État. Il convient donc d’examiner les interactions qui ont lieu dans ce nouvel univers alternatif, avant que celui-ci ne se transforme en une zone de non-droit numérique.

 

Protéger sa création dans le métavers

 

C’est bien connu, les simples idées ne sont pas susceptibles de protection par le droit d’auteur, l’« œuvre de l’esprit » devant exister sous une forme perceptible par les sens. En effet, l’œuvre doit pouvoir être vue, entendue ou touchée.

Il n’en demeure pas moins que le Code de la propriété intellectuelle (CPI) est silencieux sur le type de support sur lequel l’œuvre doit être fixée. Cette omission a toutefois été réalisée à dessein par le législateur, afin de ne pas limiter le bénéfice de la protection par le droit d’auteur à la condition de la fixation de l’œuvre sur une liste exhaustive de supports, pour ainsi inclure les supports futurs n’existant pas encore.

Ainsi, il convient de reconnaître une protection par le droit d’auteur aux œuvres de l’esprit présentes dans le métavers, sous réserve naturellement que ces œuvres répondent à la condition d’originalité.

 

L’adaptation des contrats de cession de droits d’auteur

 

S’agissant de la cession de droits d’auteur, le principe dit « d’interprétation restrictive des cessions » s’impose : le cessionnaire ne peut se prévaloir que des droits qui lui ont été expressément cédés. Par ailleurs, le CPI, qui interdit « la cession globale des œuvres futures », exige que le contrat de cession mentionne le champ d’exploitation des droits cédés quant à son étendue et son objet, quant au lieu et quant à la durée.

 

En droit d’auteur français, à défaut de l’existence d’un contrat en bonne et due forme, l’auteur reste seul titulaire de ses droits. En clair, tout ce qui n’est pas clairement cédé dans le contrat est conservé par lui, et violer cette règle c’est encourir une action en contrefaçon.

 

Or, le métavers pourrait s’analyser en un mode d’exploitation inédit, auquel les usages contractuels devront se conformer en le visant expressément dans les clauses de cession. À ce titre, rappelons que si un doute subsiste sur la portée d’une cession de droits d’auteur, la convention sera interprétée en faveur de l’auteur.

 

Si les œuvres de l’esprit présentes dans le métavers sont bel et bien protégées par le droit d’auteur, la mise en œuvre de la protection dans ce nouvel environnement numérique sera précisée par la jurisprudence.

 

La notion de contrefaçon dans le métavers

 

Les œuvres présentes dans le métavers bénéficiant de la protection du droit d’auteur, toute violation de ce droit est susceptible d’être qualifiée de contrefaçon. Ainsi, des actes illicites de reproduction et de représentation de nombreuses créations (films, arts plastiques et graphiques, musiques, textes, etc.) peuvent être « commis » dans cet univers virtuel.

 

Les juges reconnaissaient déjà en 1997 que « la numérisation d’une œuvre (…) constitue une reproduction de l’œuvre qui requiert à ce titre, lorsqu’il s’agit d’une œuvre originale, l’autorisation préalable de l’auteur », tandis que le traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur de 1996, arrangement particulier de la convention de Berne, réitère que les droits de reproduction s’appliquent pleinement dans l’environnement numérique. Dans le métavers, le droit de représentation est également mis en œuvre, dans la mesure où l’œuvre y est communiquée au public.

 

Ainsi, si les actes de contrefaçon commis dans le monde réel sont transposables dans le monde virtuel, les juges devront adapter ces concepts dans le contexte nouveau du métavers. La plus grande difficulté tient toutefois à l’identification du contrefacteur.

 

Comment identifier les contrefacteurs dans le métavers ?

 

Dans le métavers, l’anonymat est facilement préservé tant il est ardu de savoir qui se cache réellement derrière un avatar. Identifier les utilisateurs est d’autant plus compliqué avec l’avènement des réseaux privés virtuels, plus communément appelés VPN, systèmes permettant d’assurer la confidentialité des échanges entre ordinateurs et l’anonymat en ligne, par la création d’un réseau privé à partir d’une connexion Internet publique.

 

Cependant, des techniques informatiques pointues existent pour identifier les utilisateurs. La question est donc la suivante : peut-on accéder aux données personnelles des personnes présentent dans le métavers pour enquêter ? A ce titre, il s’agit de savoir si le règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne pourrait s’appliquer au métavers…

 

Pour mémoire, le RGPD s’applique en fonction du lieu où se trouve le sujet lorsque ses données sont traitées, et non en fonction de son pays d’origine ou de sa citoyenneté. Le métavers, véritable espace sans frontière, suscite donc de nombreuses interrogations sur la localisation du contrefacteur, ainsi que sur la manière dont on peut accéder à ses données personnelles.

 

Droit applicable et juridictions compétentes

 

Sans aucun doute, la question primordiale reste celle du droit applicable – même si les règles nationales ont tendance à être de plus en plus proches par le biais des adhésions aux grands traités internationaux sur la propriété littéraire et artistique – et des juridictions compétentes.

 

Le 18 octobre 2017, la Cour de cassation a eu l’occasion de traiter les contrefaçons qui naissent dans un État et sont vendues dans un autre territoire, notamment par Internet, le tout au détriment d’une entreprise ressortissant d’un troisième pays. Et d’estimer que les juges saisis, en l’occurrence français et donc appartenant à un pays où un site Internet proposait, indirectement, les contrefaçons, sont bel et bien compétents. Ils donnent ainsi tort à la cour d’appel qui, en charge précédemment de ce contentieux, avait jugé que l’affaire ne pouvait être tranchée que dans d’autres pays, pour lesquels le site litigieux avait été conçu. Les juges avaient d’ailleurs déjà statué en ce sens, le 22 janvier 2014, désavouant, là encore, la jurisprudence dite de la « focalisation, du ciblage ou de la destination », et rappelle celle de l’accessibilité.

 

S’agissant de la contrefaçon, il suffit de pouvoir acheter un exemplaire dans une librairie parisienne ou sur un site français pour que les juridictions de la capitale soient compétentes pour trancher le litige. En outre, l’article 113-6 du Code pénal dispose que « la loi pénale française est applicable à tout crime ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction ».

 

L’atteinte portée aux droits d’un auteur ou de son éditeur est bel et bien un délit pénal. Car selon l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle, « la contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de deux ans d’emprisonnement ».

 

Toutefois, demeure posée la question de la réparation du préjudice total par le seul juge français. La Cour de cassation ne s’est pas prononcée si clairement dans son arrêt en date du 18 octobre 2017. Il faudra donc attendre que la cour d’appel de renvoi, qui doit restatuer puisqu’il y a eu cassation de l’arrêt d’appel précédent, se prononce sur ce point. À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 3 octobre 2013, a en effet rappelé que les juges ne peuvent statuer que sur le préjudice subi sur leur territoire.

 

Enfin, lorsque les faits ont été commis dans plusieurs pays, reste à savoir si une juridiction autre que celle du défendeur peut condamner à une indemnisation globale. À ce titre, dans une affaire de diffamation, la Cour de justice des communautés européennes a estimé, en 1995, que la réparation du préjudice est limitée aux dommages subis dans le pays du juge. Seule la juridiction dont dépend principalement le défendeur (celle de son lieu de résidence, du lieu de l’édition ou de la commercialisation principale) peut indemniser l’ensemble des torts subis dans plusieurs territoires. Le problème est bien évidemment accru en cas de diffusion litigieuse sur Internet.

 

En définitive, il est possible de saisir le juge le plus proche de chez soi, mais mieux vaut parfois, pour l’heure, actionner dans le pays, même sous forme d’avatars numériques, où les dégâts sont les plus nombreux.

 

Emmanuel Pierrat,

Avocat au barreau de Paris,

Cabinet Pierrat & Associés

 

 


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