L’attractivité de la France vis-à-vis des
investisseurs étrangers s’est encore améliorée au cours de l’année 2018, et
cela malgré une croissance mondiale qui semble se tasser, des tensions
économiques et géopolitiques, et une montée en puissance de protectionnismes
nationaux marqués, en particulier aux États-Unis et en Chine. Une fois de plus
pour l’année 2018, « un
record a été établi, avec 1 323 projets d’investissements étrangers,
un chiffre qui surpasse celui de 2017, soit 1 298, qui déjà constituait un
record » (1).
Sur le plan juridique, le Code monétaire et
financier (« CMF ») et plusieurs textes réglementaires encadrent assez
strictement le régime des autorisations/notifications préalables à
obtenir/effectuer dans le cadre d’investissements étrangers. Par principe, c’est
la règle de la liberté qui prévaut : « les relations financières entre la
France et l’étranger sont libres » (2).
Si le principe de liberté est clairement inscrit dans le CMF, il n’en
demeure pas moins que les textes réglementaires successifs, le droit européen3, ainsi que les récents ajustements qui
seront implémentés dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et la
transformation des entreprises (déposé à l’Assemblée nationale le 19 juin
2018) dit « loi PACTE » (4), laissent à penser que
le renforcement des mécanismes de contrôle des investissements étrangers en
France (et à travers le monde) constitue une tendance de fond dans les
opérations de M&A.
L’article L. 151-1 précité prévoit en effet à son alinéa 2 que
cette liberté doit s’exercer « dans les
limites prévues [par le CMF], dans le respect des engagements internationaux
souscrits par la France ». Ainsi, et malgré les quelques exceptions posées
par le CMF, une grande partie des opérations impliquant un investissement
étranger en France entre effectivement dans le champ d’application de la
réglementation posée par le CMF.
Le CMF prévoit
deux types de mécanismes de régulation :
• un régime
déclaratif consistant en une déclaration administrative auprès de la Direction
du Trésor ou d’une déclaration statistique à la Banque de France, dans certains
cas (5) ;
• un régime d’autorisation, consistant en une
demande d’autorisation préalable à transmettre au ministère de l’Économie (6).
Le CMF prévoit en parallèle la possibilité d’utiliser une procédure de question
préalable permettant à un investisseur de solliciter le ministère afin de
déterminer, en amont, si l’opération projetée entre dans le champ d’application
de l’autorisation préalable.
Le CMF
différencie les investissements étrangers :
• en provenance de pays
tiers (7) ;
• en provenance des États membres de l’Union
européenne (8) ; et
• effectués
par une entreprise de droit français, contrôlée par une entité étrangère (9).
Le régime le
plus contraignant, à savoir la procédure d’autorisation concernant les
investissements étrangers en provenance de pays tiers (I), ainsi que la
procédure de questionnement préalable du ministre (II) se trouvent impactés par
les récentes évolutions législatives et réglementaires, dont fait partie la loi
PACTE.
LA PROCÉDURE D’AUTORISATION CHAMP
MATÉRIEL
L’article L. 151-3 du CMF fixe le cadre légal du régime
et laisse aux textes réglementaires le soin de préciser : la nature des
investissements étrangers règlementés (1.), le champ des activités soumises à
autorisation (2.), et les exceptions au régime d’autorisation (3.).
1. Nature de
l’opération
Selon
l’article R. 153-1 du CMF, constitue un investissement,
le fait pour un investisseur :
• 1er
critère : d’acquérir le contrôle,
au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, d’une entreprise dont le
siège social est établi en France ; ou
• 2e
critère : d’acquérir tout ou
partie d’une branche d’activité d’une entreprise dont le siège social est
établi en France ; ou
• 3e critère : de franchir le seuil de 33,33 % de détention du capital ou des
droits de vote d’une entreprise dont le siège social est établi en France.
Le premier
critère est usuel, il englobe tous les cas de changement de contrôle tels que
décrits à l’article L. 233-3 du Code de commerce, incluant
notamment les changements de contrôle directs ou indirects (y compris les
actions de concert), ou les prises de participation d’un bloc minoritaire
détenant la majorité des droits de vote en assemblée générale.
Le deuxième critère, plus protéiforme et moins précis
juridiquement, vise la « branche d’activité » d’une entreprise, notion plus
managériale que juridique ne permettant pas de déterminer systématiquement si
l’opération entre dans ce champ et laissant un large pouvoir d’appréciation aux
pouvoirs publics. La jurisprudence s’est chargée de qualifier la « branche
d’activité », affirmant que cette notion devait se définir comme « l’ensemble des éléments qui constituent une
exploitation autonome susceptible de fonctionner par ses propres moyens »
(10).
Pour ce critère, l’analyse est à effectuer au cas par cas.Le troisième critère, plus
mécanique et réservé aux investissements étrangers en provenance de pays tiers,
vise le dépassement du tiers du capital, ou des droits de vote, dans la cible
française objet de l’investissement.
2. Activités
soumises à autorisation
Les
activités soumises à autorisation visent notamment à sauvegarder les intérêts
économiques, stratégiques, énergétiques et de défense de la nation. Elles
comprennent principalement (a) les activités de nature à porter atteinte à
l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale,
et (b) les activités de recherche, de production ou de commercialisation
d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives.
Un décret du
14 mai 2014 (11) est venu ajouter six nouveaux secteurs à la liste de
l’article R. 153-2 du CMF, élargissant sensiblement son
champ d’application :
« • Intégrité, sécurité et continuité
de l’approvisionnement en [énergie] ;
•
Intégrité, sécurité et continuité de l’approvisionnement en eau […] ;
•
Intégrité, sécurité et continuité d’exploitation des réseaux et des services de
transport ;
•
Intégrité, sécurité et continuité d’exploitation des réseaux et des services de
communications électroniques ;
•
Intégrité, sécurité et continuité d’exploitation d’un établissement, d’une
installation ou d’un ouvrage d’importance vitale […] ;
•
Protection de la santé publique. »
Un second
décret du 29 novembre 2018 (12) a élargi une nouvelle fois la liste des
secteurs relevant de la procédure d’autorisation, afin de mieux protéger les
secteurs dits « d’avenir » liés notamment aux technologies nouvelles
(robotique, IA, etc.) :
« • Cybersécurité, intelligence artificielle, robotique, fabrication
additive, semi-conducteurs ;
•
Biens et technologies à double usage […] ;
•
Activités d’hébergement de données […]. »
3. Les exceptions
au régime d’autorisation
L’article R. 153-6 du CMF prévoit toutefois deux
exceptions au régime d’autorisation :
• lorsque
l’investissement est réalisé entre des entreprises appartenant toutes au même
groupe, c’est-à-dire étant détenues à plus de 50 % du capital ou des
droits de vote, directement ou indirectement par le même actionnaire (13) ; ou
• lorsque
l’investisseur qui franchit le seuil de 33,33 % de détention du capital ou
des droits de vote d’une entreprise ayant son siège social en France a déjà été
autorisé à acquérir le contrôle de celle-ci au titre du 1er critère.
SANCTIONS
APPLICABLES
Sanctions
civiles
L’article L. 151-4 du CMF dispose que l’investisseur qui
n’aurait pas suivi la procédure d’autorisation pourrait voir prononcée la
nullité absolue de tout engagement, convention ou clauses contractuelles
acceptés et réalisés dans le cadre de son investissement.
La loi PACTE
ne prévoit pas de modifications de fond à cet égard (14).
Sanctions
administratives
Selon
l’article L. 151-3 III. du CMF, le ministre de l’Économie peut enjoindre à
l’investisseur « de
ne pas donner suite à l’opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses
frais la situation antérieure ».
La loi PACTE
prévoit toutefois la suppression de cette disposition et l’ajout en lieu et
place de deux nouveaux articles : le L. 151-3-1, et le L. 151-3-2.
Le nouvel
article L.151-3-1 prévoit, à ce jour, que :
– pour un
investissement réalisé sans autorisation préalable, le ministre aurait la
possibilité :
• comme
actuellement, d’enjoindre à l’investisseur de déposer une demande
d’autorisation, de faire rétablir à ses frais la situation antérieure ou de
modifier l’investissement. La nouveauté étant qu’il peut assortir cette
sanction d’une astreinte ;
• de prononcer
la suspension des droits de vote attachés à la fraction des titres dont la
détention par l’investisseur aurait dû faire l’objet d’une autorisation ;
• d’interdire
ou limiter la distribution des dividendes ou des rémunérations attachés aux
titres dont la détention par l’investisseur aurait dû faire l’objet d’une
autorisation ;
• de
suspendre, restreindre ou interdire temporairement la libre disposition de tout
ou partie des actifs liés aux activités concernées au cas d’espèce ;
• de désigner un mandataire chargé de veiller à
la protection des intérêts nationaux (15).
– Si le ministre estime que les conditions dont est assortie son
autorisation ont été méconnues, il aurait la possibilité, éventuellement sous
astreinte :
• de retirer l’autorisation (à moins de revenir à l’état antérieur à
l’investissement, l’investisseur étranger doit solliciter de nouveau
l’autorisation d’investissement) ;
• d’enjoindre à l’investisseur de respecter les conditions figurant dans
l’autorisation ;
• d’enjoindre à l’investisseur d’exécuter des prescriptions en
substitution de l’obligation non exécutée, y compris le rétablissement de la
situation antérieure au non-respect de cette obligation ou la cession de tout
ou partie des activités concernées.
Ces injonctions ne pourraient intervenir qu’après l’envoi d’une mise en
demeure à l’investisseur de faire connaître ses observations dans un délai de
quinze jours (sauf exception). Il est également précisé que
ces décisions sont susceptibles d’un recours de plein contentieux.
Le nouvel article L. 151-3-2 prévoit, pour sa
part, un alourdissement significatif des sanctions financières prononçables en
cas :
de réalisation d’un investissement sans autorisation préalable ;
• d’obtention par fraude
d’une autorisation préalable ;
• de méconnaissance des
conditions prescrites, lorsque l’autorisation donnée est assortie de conditions
visant à assurer que l’investissement ne portera pas atteinte aux intérêts
nationaux ;
• d’inexécution totale ou
partielle des décisions ou injonctions prises sur le fondement de l’article
L.151-3-1.
Dans de tels cas, le ministre pourrait, après avoir mis l’investisseur à
même de présenter ses observations dans un délai minimum de quinze jours, lui
infliger une sanction pécuniaire dont le montant s’élèverait au
maximum à la plus élevée des sommes suivantes :
- le double du montant de l’investissement irrégulier ;
ou
- 10 % du CA annuel HT de l’entreprise qui exerce l’activité
réglementée ; ou
- 5 000 000 euros
pour les personnes morales (1 000 000 euros pour les personnes
physiques).
Sanctions
pénales
Les articles L. 165-1 du CMF et 459 du Code
des douanes prévoient les sanctions pénales applicables en cas de non-respect
des obligations ci-dessus évoquées.
La réalisation d’un investissement étranger sans autorisation préalable,
alors que cette autorisation est requise, constitue une infraction exposant son
auteur à une peine d’emprisonnement de cinq années, à la confiscation des
biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction et d’une
amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur
laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction.
Par conséquent, l’opération envisagée ne peut être conclue, même sous
conditions suspensives.
LA PROCÉDURE DE QUESTIONNEMENT PRÉALABLE
DU MINISTRE (OU RESCRIT)
L’article R. 153-7 du CMF prévoit qu’ « avant la réalisation d’un investissement, l’investisseur ou l’entreprise
exerçant les activités objet de l’investissement peut saisir le ministre […]
aux fins de savoir si cet investissement est soumis à une procédure
d’autorisation. Le ministre répond dans un délai de deux mois […] ». Cet article,
instaurant la question préalable à soumettre au ministre sur l’application
éventuelle du régime d’autorisation, n’est pas extrêmement précis et peu
commenté en doctrine.
Dans le cadre de cette procédure, l’absence de réponse du
ministre ne vaut pas autorisation16. Par ailleurs, il n’existe pas de délai
légal à partir duquel la décision est susceptible de faire grief. Ainsi, il
n’est pas certain que cette procédure de questionnement préalable ait une
réelle valeur ajoutée17, d’autant plus que le III. de l’article R. 153-6 du
CMF, qui pose les exceptions au régime d’autorisation, précise que « si une demande préalable d’autorisation [a
été présentée alors que l’opération entrait dans le champ des exceptions] (…),
l’accusé de réception qui en est délivré mentionne que la demande est sans
objet ».
Rappelons ici, au surplus, que les demandes sont examinées par le
ministère uniquement à partir du moment où le dossier complet a été
effectivement reçu, cette complétude restant à l’appréciation du ministère.
L’absence de délai contraignant prescrit par les textes dans ce cadre est ainsi
susceptible de rallonger le temps de traitement du dossier. Le ministère, de
son côté, affirme que le temps de traitement des questionnements préalables est
généralement d’un mois et ne dépasse que très rarement le délai de
deux mois prescrit en matière de demande d’autorisation. En tout état de
cause, une fois le questionnement préalable envoyé, il n’est plus conseillé
d’envoyer une demande d’autorisation pour accélérer le processus avant même
d’avoir obtenu une réponse du ministère sur le questionnement dès lors que
celui-ci, toujours en cours, serait réputé caduc par le ministère et les
travaux de vérifications repartiraient de zéro.
Par conséquent, la question préalable au ministère est à double
tranchant, et le choix de la procédure à suivre dépendra beaucoup de la
configuration du dossier. Il est à noter à cet égard que depuis le décret
précité en date du 29 novembre 2018, l’entreprise qui fait l’objet de
l’investissement a la possibilité de saisir elle-même préalablement le ministre
afin de savoir si l’investissement projeté est soumis à autorisation, alors que
seul l’investisseur pouvait utiliser cette procédure de questionnement
préalable auparavant18.
Les évolutions législatives et réglementaires récentes, en
France, en Europe et dans le monde, vont notamment dans le sens d’une extension
des activités soumises à régulation, d’un renforcement des pouvoirs
d’injonction et de sanction des organes de contrôle, et d’une amélioration du
suivi des engagements pris par les différents acteurs (investisseurs, société
cible, etc.) (19).
La loi PACTE s’inscrit dans ce mouvement protectionniste
global qui répond à une volonté des États de contrôler et mieux protéger les
secteurs nationaux sensibles, et notamment, s’agissant d’opérateurs
technologiques étrangers, de veiller au respect des intérêts nationaux dans des
secteurs technologiques particulièrement surveillés (robotique, IA, etc.).
NOTES :
1)
Bilan 2018 des investissements internationaux en France – BUSINESS France –
4 avril 2019.
2)
Article L. 151-1 du CMF. C’est le cas des investissements réalisés dans
les secteurs non-sensibles qui ne nécessitent qu’une simple déclaration
statistique.
3)
La Commission européenne a rendu public en 2017 un projet de règlement visant à
mettre en place un cadre juridique commun et un mécanisme de coopération entre
les États membres et la Commission européenne pour le « filtrage »
des investissements étrangers au sein de l’Union européenne. Ce projet, arrêté
le 19 mars 2019, est entré en vigueur à compter du 10 avril 2019 (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32019R0452&from=EN).
4)
NOR ECOT1810669L - En son article 55 (et sous réserve du contrôle de
constitutionnalité, le cas échéant).
5)
Non évoqué dans cette note.
6)
Le refus d’autorisation devant être motivé (R. 153-10 du CMF). À cet
égard, il est à noter que le décret en date du 29 novembre 2018 cité
ci-dessous a élargi les motifs de refus des investissements étrangers, incluant
notamment les menaces sur la « protection des données ».
7)
R. 153-1 et R. 153-2 du CMF.
8)
R. 153-3 à R. 153-5 du CMF.
9)
R. 153-5-1 et R. 153-5-2 du CMF.
10)
Cass. com., 06/02/1990, Bull. Joly Sociétés 1990, p. 377, note Derouin ;
« Investissement étrangers. Procédure d’autorisation. Défense des
intérêts nationaux » – C. Champaud – D. Danet – RTD com. 2006. 409.
11)
Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014.
12)
Décret n° 2018-1057, entré en vigueur le 1er janvier 2019, qui avait
été annoncé dans l’exposé des motifs du projet de la loi PACTE. Près de
750 nouvelles entreprises françaises seraient ainsi rentrées dans le champ
du contrôle préalable selon un rapport législatif du Sénat (n° 254).
13)
L’alinéa 2 du I de cet article admet une exception à l’exception :
« L’autorisation n’est toutefois pas réputée acquise lorsque
l’investissement a pour objet de transférer à l’étranger tout ou partie d’une
branche d’une des activités énumérées respectivement aux articles R. 153-2
et R. 153-4 ».
14)
Seule une mise en cohérence des renvois par rapport aux autres modifications
est prévue.
15)
Ce mandataire peut faire obstacle à toute décision des organes sociaux de
nature à porter atteinte à ces intérêts. Sa rémunération est fixée par le
ministre et est prise en charge par l’entreprise qui l’a désigné.
16)
Alors que dans le cadre de la procédure d’autorisation, le silence de
l’administration vaut autorisation.
17)
D. Filippova - 2011 « Le contrôle des investissements étrangers par les
États membres face à l’Union européenne : 4e pilier ou 5e
colonne ? ».
18)
Il n’est toutefois pas certain que cette timide évolution ait un impact très
significatif en pratique sur cette procédure.
19)
P. Bine, Investissements étrangers. « Les
tendances de fond en matière de contrôle des investissements étrangers »,
JCP 2018. 405.
Alexandre
Brugière,
Avocat
associé,
Coblence
& associés
Alexandre Robert,
Avocat,
Coblence
& associés