POLITIQUE

Les ZFE, entre enjeux sanitaires, réglementaires et sociétaux

Les ZFE, entre enjeux sanitaires, réglementaires et sociétaux
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Publié le 03/05/2025 à 12:00
Malgré des informations parfois contradictoires, les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) entrent progressivement dans le paysage urbain français. Rendues obligatoires par la loi « Climat et résilience » de 2021 pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants, elles visent à restreindre l’accès à certaines zones – souvent les centres-villes – pour les véhicules les plus polluants. L’objectif ? Améliorer la qualité de l’air. Mais derrière l’outil juridique, la mise en œuvre des ZFE se heurte à des réalités contrastées sur le terrain, entre reculs, dérogations et inégalités sociales. Un dispositif à la croisée des chemins entre droit, écologie et acceptabilité sur fond d’enjeux sanitaires.

Selon la dernière étude sur la qualité de l’air ambiant de Santé publique France, la pollution de l’air aux particules fines est responsable de quelque 40 000 décès prématurés chaque année en France. Une exposition à long terme à la pollution de l’air peut en effet provoquer ou aggraver de nombreuses maladies respiratoires (asthme, bronchopneumopathies chroniques obstructives, cancer du poumon…), cardiovasculaires, neurologiques ou métaboliques (diabète de type 2). Les émissions de dioxyde d’azote seraient quant à elles responsables de 7 000 décès par an. Or, le trafic routier est responsable de 57% des émissions d’oxydes d’azote et d’une part significative (10 %) des émissions de particules fines.

Les ZFE : pourquoi, comment ?

Déjà condamné par l’Europe (1) et par le Conseil d’État (2) pour insuffisance d’actions pour améliorer la qualité de l’air, l’État français se devait d’agir. Et parmi la panoplie d’outils conçus par le législateur pour réduire la pollution locale de l’air, figurent les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), créées par la loi d’orientation et de mobilités (LOM) de 2019 puis rendues obligatoires pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants par la loi « Climat et résilience » de 2021.

Concrètement, « une ZFE-m est un périmètre dans lequel certains types de véhicules, considérés comme trop polluants, n’ont pas le droit de rouler et de stationner. Ces restrictions reposent sur le système de la vignette Certificat Qualité de l’Air, communément appelée ‘Crit’Air’ », définit le rapport « Les zones à faibles émissions – 25 propositions pour allier transition écologique et justice sociale » (janvier 2023).

« Globalement, les ZFE ont été mises en place dans une démarche d’amélioration de la qualité de l’air, en particulier dans les centres urbains où elle est dégradée et où se concentre une part importante de population, entre les habitants et les usagers », explique Charlotte Liotta, chercheuse à l’université autonome de Barcelone spécialisée sur les politiques climatiques.

Si la première ZFE française a été mise en place dès 2015 à Paris, leur généralisation n’intervient dans les villes de plus de 150 000 habitants qu’en 2021 « sous conditions de critères de qualité de l’air, précise Charlotte Liotta. En effet, il n’y a pas seulement un critère de taille mais également un niveau de pollution de l’air. »

Des agglomérations entre obligations et libre-arbitre

En effet, avec la loi « Climat et Résilience », 43 territoires étaient concernés au 31 décembre 2024 avec « toutefois des nuances selon les niveaux de pollution de l’air de ces agglomérations, complètent Nadine Dueso et Chantal Derkenne, expertes au sein du service qualité de l’air de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Seules les métropoles qui dépassent régulièrement les seuils réglementaires (à ce jour, Paris et Lyon) sont tenues de respecter le calendrier de restriction inscrit dans la loi, la dernière étape franchie au 1er janvier 2025 étant la restriction de la circulation des véhicules CRIT’AIR Non Classés à 3 inclus. »

Les autres agglomérations de plus de 150 000 habitants peuvent établir le calendrier de restriction de leur choix, voire ne pas mettre en place de ZFE si les moyennes annuelles en dioxyde d’azote sont conformes sur les cinq dernières années (trois années sur cinq au-dessous des valeurs guides préconisées par l’Organisation mondiale de la santé) ou si elles mettent en place des dispositifs alternatifs aussi efficaces du point de vue de la qualité de l’air.

Reports, expérimentations et dérogations

Mais, en pratique, la latitude laissée aux agglomérations entraîne, par endroit, un recul de la mise en place de ZFE : « de fait, certaines agglomérations qui avaient prévu, dans un premier temps, de prendre de l’avance sur le calendrier national reviennent sur leur décision, pointe Charlotte Liotta. C’est le cas, par exemple, à Grenoble où l’interdiction des voitures Crit’Air 2 a été repoussée à 2028 alors qu’elle était initialement prévue pour 2025. » D’autres villes demandent des exemptions ou des délais supplémentaires : « On constate donc des reports ou des allongements des périodes d’expérimentation durant lesquelles les ZFE sont effectivement mises en place mais il n’y a pas de pénalisation comme à Perpignan et à Dijon par exemple », poursuit la chercheuse.

À noter que seules les agglomérations du Mans, de Saint-Nazaire et d’Amiens ont obtenu, à ce jour, une dérogation officielle à l'obligation de mettre en place une ZFE. Mais pour l’Ademe, d’autres villes font au contraire figure de bonnes élèves et « quelques communes de taille inférieure à 150 000 habitants s’interrogent sur la mise en place d’une ZFE à titre volontaire ».

315 ZFE réparties dans 14 pays européens

Les ZFE ne sont pas une exclusivité française. Loin de là. Elles sont nées en Suède en 1996 : « Göteborg, Malmö et Stockholm ont introduit des “zones environnementales” dans leur centres-villes qui ciblaient les camions diesel et les cars de plus de 3,5 tonnes, relate l’Ademe. En 2005, les régions de l'Italie du Nord se sont réunies pour trouver des accords sur les mesures relatives à la qualité de l'air à mettre en œuvre. Cela a abouti à la mise en place de ZFE fonctionnant en hiver dans ces régions. En juillet 2007, les Pays-Bas ont commencé à mettre en œuvre des ZFE. Les ZFE de Berlin et Londres ont démarré respectivement en janvier et février 2008. »

Depuis, le nombre de projets européens planifiés n'a cessé d'augmenter. Fin 2022, on comptait ainsi 315 ZFE à travers 14 pays européens : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Écosse, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque et la Suède. À noter que ces zones couvrent généralement les centres-villes et restreignent l'accès en fonction des normes d'émission.

Fin 2024, cependant, l'Allemagne a supprimé plusieurs ZFE dans plus d’une dizaine de villes, dont Hanovre et Mannheim. Pour Charlotte Liotta, c’est une décision qui a du sens « dans la mesure où les ZFE sont mises en place pour améliorer la qualité de l’air. Or, la qualité de l’air de ces zones étant revenue à un niveau respectant le seuil européen, il n’est pas incongru de supprimer le dispositif. »

Des premiers résultats positifs sur le plan sanitaire

En France, deux évaluations des ZFE ont été réalisées, l’une à Strasbourg, l’autre à Grenoble. « Les principales conclusions de cette dernière montrent notamment une accélération du renouvellement des véhicules utilitaires légers et des poids lourds les plus polluants ciblés par la ZFE, détaillent Nadine Dueso et Chantal Derkenne. On relève également un taux maîtrisé de véhicules non conformes malgré l’absence de contrôle sanction automatisé et, surtout, une atteinte des objectifs fixés en matière de qualité de l’air : une réduction d’émissions de 25% pour les oxydes d’azote, entre 28% et 38% des particules fines et de 2% des gaz à effet de serre. »

« En termes de santé publique, il est un peu tôt pour dresser un bilan à l’échelle nationale mais, au niveau européen, les ZFE ont permis de réduire la pollution de l’air et quelques études montrent que ce système permet de réduire les maladies respiratoires et cardiovasculaires », constate Charlotte Liotta qui nuance cependant : « Dans certaines villes, les effets sont très importants, dans d’autres, ils sont un peu moins flagrants. Et les effets sont inégalitaires : ainsi, les ZFE permettent de réduire la pollution et donc d’améliorer la qualité de vie et la santé… mais seulement dans certaines zones et pour les populations qui y vivent. En revanche, les ZFE impactent négativement les populations qui n’y vivent pas mais ont besoin de s’y rendre. »

Les ZFE, facteur d’injustice sociale ?

Et c’est bien là ce que certains reprochent au dispositif qu’ils accusent d’accentuer les inégalités sociales. « Le débat se retrouve aujourd’hui piégé entre deux alternatives aussi inacceptables l’une que l’autre : d’un côté abandonner la lutte contre la pollution de l’air et l’émission de dioxyde d’azote et de particules fines et leurs impacts sur la santé, et de l’autre côté négliger la justice sociale », rappellent Nadine Dueso et Chantal Derkenne. En effet, les détenteurs des véhicules les plus anciens sont aussi le plus souvent ceux qui sont les plus défavorisés.

« Cependant, le débat ne devrait pas opposer ces enjeux mais chercher à les concilier, insistent les deux expertes de l’Ademe. Car si les effets injustes des ZFE sont souvent mis en avant, il est possible de concilier le déploiement des ZFE tout en préservant la justice sociale. » Ainsi, les collectivités peuvent décider de dérogations aux restrictions de circulation pour certains types de véhicules ou certaines catégories d'usagers. Elles peuvent aussi décider de n’appliquer ces restrictions que certains jours ou sur certains créneaux horaires.

Penser à plus long terme

De fait, « si c’est une mesure à court terme, qui peut être facilement et rapidement mise en place pour tel ou tel type de véhicule, le pendant négatif est que cela dispense de penser des solutions à plus long terme. Or, les villes ont surtout besoin d’infrastructures, notamment pour les transports en commun et les mobilités douces », pointe Charlotte Liotta. En effet, les ZFE n’ont d’utilité mais surtout de raison d’être que si les habitants peuvent se loger assez près ou s’y rendre facilement pour en bénéficier. D’ailleurs, « certaines collectivités proposent des services de diagnostic et de conseil en mobilité et accélèrent le déploiement de mobilités alternatives comme les cars express, le transport à la demande, l'auto-partage, le covoiturage ou encore les voies express vélos », citent Nadine Dueso et Chantal Derkenne.

Pour Charlotte Liotta, « les ZFE sont une réponse au problème de la pollution de l’air mais elles ne sauraient en effet être la solution à tous les problèmes. La question des voitures en ville pose de nombreuses questions : accidents, partage de l’espace en ville, qualité de vie générale… Il faut prendre la question de manière plus globale sur la qualité de vie en général et comment on imagine la ville du futur. »

Camille Grelle
Pi+

1/ Arrêt du 24 octobre 2019 de la CJUE ;
2/ « 
Qualité de l’air : le Conseil d’État constate que les mesures prises pour respecter les seuils de pollution ont porté leurs fruits », Conseil d’État, 25 avril 2025.


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