JUSTICE

Les mineures détenues mises au ban ?

Les mineures détenues mises au ban ?
Publié le 14/11/2024 à 16:36

De l’interpellation à l’incarcération, le parcours des jeunes détenues est semé d’embûches liées aux stéréotypes de genre. Invitée par l'Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ), jeudi 7 novembre, la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy dénonce une stigmatisation des jeunes femmes, considérées comme « un problème ingérable »

À quels enjeux les adolescentes sont-elles confrontées dans le domaine pénal ? Une question à laquelle s’est attachée à répondre Yaëlle Amsellem-Mainguy lors du colloque Femmes justiciables et professionnelles de justice : regards croisés sur le genre, organisé jeudi 7 novembre par l’IERDJ.

Lorsqu’elle a entrepris une enquête sur la jeunesse incarcérée et son encadrement avec Benoît Coquard et Arthur Vuattoux, en 2015, cette chercheuse associée au Centre de la recherche sur les liens sociaux (CERLIS) s’est retrouvée confrontée à des problématiques de genre dès ses premiers échanges avec les professionnels. « Au cours de nos démarches pour nous rendre en milieu pénitentiaire, on nous a expliqué que mes confrères ne pouvaient pas entrer dans les quartiers femmes », relate Yaëlle Amsellem-Mainguy. Raison invoquée : les détenues seraient « des manipulatrices » – et les mineures parmi elles, davantage encore.

Selon les propos rapportés, il serait même « dangereux » pour les hommes de mener des entretiens confidentiels dans des espaces fermés, sans surveillants ni éducateurs. Ils risqueraient notamment d’avoir à gérer des plaintes des jeunes filles pour des tentatives d'agression sexuelle. « Ces questions ne se sont jamais posées pour moi du côté de la détention des garçons, ni plus tard, lors de l'enquête que j’ai faite avec Isabelle Lacroix » (Les mineurs en prison – 2023 - ndlr), affirme pourtant Yaëlle Amsellem-Mainguy.

La « minorité du pire »

Autre double standard dénoncé par la sociologue : la disparité très marquée des espaces de détention prévus pour accueillir des adolescentes. La carte publiée en 2017 par la sociologue et ses confrères Benoît Coquard et Arthur Vuattoux montre ainsi que l’Hexagone ne compte que trois établissements pénitentiaires (EPM) pour mineurs filles et garçons et quatre structures intégrant une « unité filles ». « Et je ne vous parle même pas des Outre-mer », déplore l’invitée de l’IERDJ. Là-bas, aucune place n’est prévue pour les mineures.

Résultat : les adolescentes se retrouvent parfois extrêmement loin de leur territoire, « réparties dans plusieurs prisons, [parfois] éloignées de leur famille, de leur réseau et des professionnels qui les accompagnaient », expose Yaëlle Amsellem-Mainguy. En-dehors d’une rupture de l'accompagnement socio-judiciaire ou pénal des adolescentes, cette disparité limite aussi la possibilité pour ces jeunes femmes de changer de vêtements, fournis par les familles.

« Le tout a une incidence sur la place des filles en tant que justiciables, sur leur considération par l'institution, leur famille et les services sociaux… Qui vont reprocher aux adolescentes de ne pas recevoir de visite, et ainsi de suite, développe celle qui est aussi chargée de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Les mineures ont un sentiment extrêmement fort et puissant de mise à l'écart. » En somme, la sensation de faire partie de la « minorité du pire », selon Yaëlle Amsellem-Mainguy. 

Des espaces de détention pensés pour les hommes

Car, si l’on conçoit collectivement – et notamment le personnel pénitentiaire – que « faire des bêtises » et se heurter à la police s’inscrit dans la construction de la masculinité, il n’est pas du tout intégré que les jeunes femmes puissent se retrouver en prison. « Elles sont d'abord orientées vers les chemins psychiatriques : on va creuser les enjeux autour de leur sexualité, les interroger sur d’éventuelles violences sexuelles subies, poursuit la sociologue, citant l’ouvrage d’Arthur Vuattoux, Adolescences sous contrôle (2021). On ne pose jamais ces questions frontalement aux garçons. »

Par ailleurs, les adolescentes représentent moins de 1 % des mineurs détenus, qui représentent eux-mêmes environ 1 % de la population détenue globale. « Soit une vingtaine de filles incarcérées à un moment M en France », souligne Yaëlle Amsellem-Mainguy. Conséquence, les espaces de détention sont d'abord pensés pour les jeunes hommes. Les adolescentes doivent par exemple acheter leurs produits alimentaires avec des bons de cantine mentionnant « pour garçons ».

« Il y a quatre places pour filles contre 56 pour garçons. Cela pose question » pointe par ailleurs la chercheuse, qui expose un autre obstacle, en écho aux travaux de de Véronique Blanchard, David Niget et Mathias Gardet : de nombreux établissements pénitentiaires contournent le problème de la mixité en refusant d'accueillir des adolescentes. « Elles sont considérées comme un problème ingérable du point de vue des professionnels : ce sont des fauteuses de troubles, parce qu'elles sont des filles ».

Mises en démonstration

Selon l’intervenante, les adolescentes perturberaient l'ordre carcéral car c’est l’une des seules façons d'exister dans un monde qui n'est pas fait pour elles. « Dans certains établissements pénitentiaires pour mineurs, elles utilisent toute la rhétorique de la sexualité et provoquent les garçons en simulant des orgasmes de 3 à 5h du matin », illustre-t-elle. Autre exemple : certaines jeunes femmes se dénudent face aux fenêtres pour que les adolescents et le personnel les regardent.

N’y seraient-elles pas poussées ? « Dans les EPM dans lesquels nous nous sommes rendus, les cellules des filles étaient systématiquement en face des espaces où avaient lieu les activités socio-éducatives, précise Yaëlle Amsellem-Mainguy. C’est comme si elles étaient mises en démonstration : elles provoquent, elles revendiquent une sexualité parce qu’elles y sont renvoyées en permanence. »

La chercheuse évoque notamment l’état des chambres des détenus. Si les stéréotypes de genre font qu’il est socialement accepté que les garçons ne rangent pas leur chambre, les adolescentes qui adoptent le même comportement sont davantage stigmatisées. « Quand elles ne rangent pas leur chambre en prison, on remet tout de suite en question leur moralité sexuelle. A cela, on associe l’idée que, ‘derrière, on sait bien ce qu'elles font dehors’ ».

La prison, le premier espace de protection après l'interpellation

Et pourtant, les adolescentes interrogées par Yaëlle Amsellem-Mainguy et Isabelle Lacroix lors de leur enquête publiée en 2023 décrivent la prison comme le premier espace de protection après l'interpellation. « Une fois l’enchaînement entre la garde à vue et la détention terminé, les filles se retrouvent finalement dans un lieu où elles peuvent, pour la première fois, prendre une douche et accéder au kit d'hygiène, voire éventuellement changer leur protection hygiénique », relate Yaëlle Amsellem-Mainguy. 

Et pour cause, les jeunes femmes sont nombreuses à avoir décrit les mêmes faits aux deux chercheuses : un déclenchement des règles lié au stress de l’interpellation. « Elles commencent à saigner, à se tacher en garde à vue, puis sont appelées ‘crasseuses’ - entre autres qualificatifs - par les services de police et les autres prévenus », détaille l’invitée de l’IERDJ. Résultat : il arrive que les adolescentes soient présentées aux juges complètement ensanglantées. « Parfois, des magistrates refusent d'instruire le dossier et demandent que les filles prennent une douche et soient changées pour pouvoir se présenter correctement devant la justice », poursuit Yaëlle Amsellem-Mainguy, insistant sur le caractère extrêmement rare de l’initiative.

« Au sein de l’institution en elle-même, il y a très peu de place pour travailler les enjeux de genre auxquels sont confrontés les adolescentes, conclut Yaëlle Amsellem-Mainguy. Comme elles n'existent pas statistiquement, il reste compliqué de faire comprendre la légitimité à œuvrer sur le sujet. »

Floriane Valdayron

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