DROIT

Les risques psychosociaux, ce mal inévitable qui touche tous les avocats

Les risques psychosociaux, ce mal inévitable qui touche tous les avocats
Publié le 24/01/2025 à 10:09

28 facteurs sont identifiés dans l’étude de l’avocat rouennais Karim Berbra. Fait préoccupant, 27 % des interrogés se disent à bout de force.

Stress, violences internes ou externes, « les risques psychosociaux auxquels sont exposés les avocats sont divers ». En début d’année, l’avocat au barreau de Rouen Karim Berbra a rendu publique son étude quantitative intitulée « L’exposition des avocats du Barreau de Rouen aux risques psychosociaux », laquelle recense ces risques passés sous silence « en raison du tabou qu’ils génèrent », est-il signifié en introduction.

Selon le « rapport Gollac », issu d’une mission confiée à l’INSEE en 2011, ces risques, qui concernent «la santé mentale, physique et sociale, [sont] engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ».

Sur les 534 avocats inscrits au barreau de Rouen, pas moins de 237 ont pris part à l’étude et ont répondu à un questionnaire inspiré du Copenhagen Psychosocial Questionnaire, « remanié et complété pour englober au mieux les risques psychosociaux identifiés dans le rapport Gollac ». Pas moins de 28 facteurs sont recensés, répartis dans sept familles de facteurs.

D’après Karim Berbra, tous les avocats de son barreau, toutes tranches d’âge confondues, salariés comme associés, sont touchés par au moins un de ces facteurs.

Intensité et horaires parmi les facteurs de risques

Fait marquant, en matière d’intensité et de complexité du travail, la quasi intégralité (97 %) des avocats répondants s’accordent à dire que leur métier exige de solliciter fortement leur mémoire, entraînant une charge mentale constante. Une majorité (64 %) indiquent par ailleurs prendre du retard dans leur travail et ne pas disposer d’assez de temps pour accomplir leurs tâches professionnelles, notamment pour une majorité d’avocats salariés. Près de 70 % disent « toujours » ou « souvent » travailler dans l’urgence, et presque autant ressentent une surcharge de travail, notamment les avocats âgés entre 35 et 44 ans.

Les horaires de travail jugés « difficiles » ne sont pas non plus étrangers au développement de risques psychosociaux chez les avocats. Près de 74 % d’entre eux (en particulier des avocats associés et les hommes) indiquent travailler plus de 45 heures par semaine. Plus de 52 % estiment en outre qu’ils rencontrent des difficultés à prendre des congés. Une tendance qui s’observe principalement chez les avocats qui exercent à titre individuel, pointe l’étude. Pour 76 % des interrogés, concilier vie personnelle et vie professionnelle s’avère compliqué.

En outre, la multiplication des réformes en lien avec leur activité est également source de difficulté pour les avocats. 45,5 % disent avoir du mal à les appréhender « dans une très grande mesure ».

Une exposition aux violences

« S’il est permis de se rassurer sur le fait qu’une majorité d’avocats n’a jamais été victime de violence physique de la part d’une personne extérieure au cabinet », 25 % des répondants en moyenne indiquent toutefois avoir été victimes d’agissements sexistes, observe l’étude.

La proportion d’avocats victimes de violences verbales est quant à elle « plus importante », souligne-t-elle. 51 % ont déjà été raillés, insultés ou menacés par l’un de leurs clients, et près de 52 % de la part du justiciable adverse. Près de la moitié des répondants indiquent également avoir été l’objet de ces violences de la part d’un autre avocat ou avocate. Pour ces deux types de violences, les femmes apparaissent sensiblement plus exposées que les hommes.

76 % des avocats « très souvent » stressés

Côté santé, 76 % des avocats s’estiment « tout le temps » ou « très souvent » stressés, en particulier les femmes. Une étude de 2010 relevait déjà que « les arrêts maladie sont en augmentation [chez les avocats] et que la majorité des indemnités journalières versées est liée au stress (problème de dos, maladie cardio-vasculaire et dépression) ».

Et si 64 % des répondants se disent peu inquiets à l’idée de perdre un client ou leur poste, 70,5 % ressentent « toujours » ou « souvent » une pression du fait de la facturation, et 61 % sont régulièrement - ou pire, constamment - inquiets à l’idée de ne pas pouvoir faire face à leurs charges financières.

Parmi les 31 % d’avocats « émotionnellement épuisés », les hommes sont davantage représentés, selon l’étude. 27 % des avocats interrogés se disent même à bout de force. La profession semble d’autre part avoir un impact moins positif sur la santé des avocats âgés de moins de 55 ans, puisque ceux entre 45 et 54 ans jugent, à 19 %, leur santé comme « assez mauvaise ». La tranche au-dessus estime à 60 % leur santé comme « bonne ».

Sensibiliser les ordres professionnels

Ces différents facteurs ne sont pas à prendre à la légère, puisqu’ils peuvent conduire au développement de troubles psychosociaux : troubles du sommeil et digestifs, épuisement, dépression, addictions, voire suicide.

C’est pourquoi le rapport préconise une sensibilisation des ordres professionnels et des avocats dès la formation initiale et continue de ces derniers. L’amélioration pourrait également passer par « plus de solidarité et de confraternité », selon l’étude. « L’objectif important est de casser le tabou de l’atteinte à la santé mentale dans une profession où faire preuve de faiblesse peut être stigmatisant », mais également de prévenir les risques psychosociaux qui peuvent conduire les avocats à quitter la profession.

Comme le rappelait en 2023 l’ancien président du Conseil national des barreaux Jérôme Gavaudan, 22 % des jeunes avocats quittent la robe avant d’atteindre les dix ans de carrière. Une étude du CNB pointait la même année que le nombre d’avocats sortants ayant cumulé pour leur part plus de dix ans d’exercice avait triplé.

Allison Vaslin 

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