28 facteurs sont identifiés
dans l’étude de l’avocat rouennais Karim Berbra. Fait préoccupant, 27 % des interrogés
se disent à bout de force.
Stress, violences internes ou
externes, « les risques psychosociaux auxquels sont exposés les avocats
sont divers ». En début d’année, l’avocat au barreau de Rouen Karim
Berbra a rendu publique son étude quantitative intitulée « L’exposition des
avocats du Barreau de Rouen aux risques psychosociaux »,
laquelle recense ces risques passés sous silence « en
raison du tabou qu’ils génèrent », est-il signifié en introduction.
Selon le « rapport
Gollac », issu d’une mission confiée à l’INSEE en 2011, ces risques, qui
concernent «la santé mentale, physique et sociale, [sont] engendrés par les
conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels
susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ».
Sur les 534 avocats inscrits
au barreau de Rouen, pas moins de 237 ont pris part à l’étude et ont répondu à
un questionnaire inspiré du Copenhagen Psychosocial Questionnaire, « remanié
et complété pour englober au mieux les risques psychosociaux identifiés dans le
rapport Gollac ». Pas moins de 28 facteurs sont recensés, répartis
dans sept familles de facteurs.
D’après Karim Berbra, tous
les avocats de son barreau, toutes tranches d’âge confondues, salariés comme
associés, sont touchés par au moins un de ces facteurs.
Intensité et horaires parmi
les facteurs de risques
Fait marquant, en matière d’intensité
et de complexité du travail, la quasi intégralité (97 %) des avocats
répondants s’accordent à dire que leur métier exige de solliciter fortement leur
mémoire, entraînant une charge mentale constante. Une majorité (64 %) indiquent
par ailleurs prendre du retard dans leur travail et ne pas disposer d’assez de
temps pour accomplir leurs tâches professionnelles, notamment pour une majorité
d’avocats salariés. Près de 70 % disent « toujours » ou
« souvent » travailler dans l’urgence, et presque autant
ressentent une surcharge de travail, notamment les avocats âgés entre 35 et 44
ans.
Les horaires de travail jugés
« difficiles » ne sont pas non plus étrangers au développement
de risques psychosociaux chez les avocats. Près de 74 % d’entre eux (en
particulier des avocats associés et les hommes) indiquent travailler plus de 45
heures par semaine. Plus de 52 % estiment en outre qu’ils rencontrent des
difficultés à prendre des congés. Une tendance qui s’observe principalement
chez les avocats qui exercent à titre individuel, pointe l’étude. Pour
76 % des interrogés, concilier vie personnelle et vie professionnelle
s’avère compliqué.
En outre, la multiplication des
réformes en
lien avec leur activité est également source de difficulté pour les avocats.
45,5 % disent avoir du mal à les appréhender « dans une très
grande mesure ».
Une
exposition aux violences
« S’il est permis de
se rassurer sur le fait qu’une majorité d’avocats n’a jamais été victime de
violence physique de la part d’une personne extérieure au cabinet »,
25 % des répondants en moyenne indiquent toutefois avoir été victimes d’agissements
sexistes, observe l’étude.
La proportion d’avocats
victimes de violences verbales est quant à elle « plus importante »,
souligne-t-elle. 51 % ont déjà été raillés, insultés ou menacés par l’un
de leurs clients, et près de 52 % de la part du justiciable adverse. Près
de la moitié des répondants indiquent également avoir été l’objet de ces
violences de la part d’un autre avocat ou avocate. Pour ces deux types de
violences, les femmes apparaissent sensiblement plus exposées que les hommes.
76 % des avocats « très
souvent » stressés
Côté santé, 76 % des
avocats s’estiment « tout le temps » ou « très souvent »
stressés, en particulier les femmes. Une étude de 2010 relevait déjà que « les
arrêts maladie sont en augmentation [chez les avocats] et que la majorité des
indemnités journalières versées est liée au stress (problème de dos, maladie
cardio-vasculaire et dépression) ».
Et si 64 % des répondants
se disent peu inquiets à l’idée de perdre un client ou leur poste, 70,5 %
ressentent « toujours » ou « souvent » une
pression du fait de la facturation, et 61 % sont régulièrement - ou pire,
constamment - inquiets à l’idée de ne pas pouvoir faire face à leurs charges
financières.
Parmi les 31 % d’avocats
« émotionnellement épuisés », les hommes sont davantage
représentés, selon l’étude. 27 % des avocats
interrogés se disent même à bout de force. La profession semble d’autre
part avoir un impact moins positif sur la santé des avocats âgés de moins de 55
ans, puisque ceux entre 45 et 54 ans jugent, à 19 %, leur santé comme « assez
mauvaise ». La tranche au-dessus estime à 60 % leur santé comme
« bonne ».
Sensibiliser les ordres professionnels
Ces différents facteurs ne
sont pas à prendre à la légère, puisqu’ils peuvent conduire au développement de
troubles psychosociaux : troubles du sommeil et digestifs, épuisement,
dépression, addictions, voire suicide.
C’est pourquoi le rapport
préconise une sensibilisation des ordres professionnels et des avocats dès la
formation initiale et continue de ces derniers. L’amélioration pourrait également
passer par « plus de solidarité et de confraternité », selon l’étude.
« L’objectif important est de casser le tabou de l’atteinte à la santé
mentale dans une profession où faire preuve de faiblesse peut être stigmatisant »,
mais également de prévenir les risques psychosociaux qui peuvent conduire les
avocats à quitter la profession.
Comme le rappelait en 2023 l’ancien
président du Conseil national des barreaux Jérôme Gavaudan, 22 % des
jeunes avocats quittent la robe avant d’atteindre les dix ans de carrière. Une
étude du CNB pointait la même année que le nombre d’avocats sortants ayant
cumulé pour leur part plus de dix ans d’exercice avait triplé.
Allison
Vaslin