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Les robots vont-ils remplacer les juristes ?

Les robots vont-ils remplacer les juristes ?
Publié le 24/10/2020 à 09:30

Au-delà de la crise de la Covid qui a changé les habitudes de travail, la montée en puissance de l’intelligence artificielle est susceptible de créer des tensions et des inquiétudes pour certaines fonctions tertiaires, notamment au sein des directions juridiques. La peur de voir son emploi disparaître au profit des nouvelles technologies est-elle légitime ? Dans ce contexte, on entend souvent cette question : demain, les robots remplaceront-ils les juristes ? Face à cette possibilité, la peur du déclassement est forte. Si le juriste perd ses prérogatives au profit des algorithmes, quelles fonctions lui restera-t-il ? Quelle sera sa plus-value, sa raison d’être ?

 


Les juristes face à une augmentation de leurs activités quotidiennes


Aujourd’hui, la fonction de juriste est de plus en plus sollicitée en entreprise. La législation est de plus en plus complexe et le législateur a été particulièrement actif ces dernières années. Ainsi, un certain nombre de matières ont étoffé le périmètre de responsabilités des directions juridiques (données personnelles, éthique et compliance, RSE…). Elles ont par ailleurs été en première ligne durant le confinement pour renégocier les contrats et assurer la continuité économique de l’entreprise malgré un contexte difficile.


Dans le même temps, on ne constate pas un recrutement massif de juristes qui compenserait cette augmentation de la charge de travail. Il existe donc une disparité importante entre le volume de travail devant être géré par les directions juridiques et les moyens humains et financiers en place, inadéquats aux enjeux rencontrés. Face à ce constat le recours aux solutions technologiques peut sembler intéressant afin de décharger les directions juridiques d’une partie de leur charge de travail, en l’occurrence celle à faible valeur ajoutée et chronophage au quotidien.


Qu’en est-il des autres fonctions ? Prenons l’exemple des chargés de paies au sein des ressources humaines. Établir un bulletin de paie est une tâche répétitive à faible valeur ajoutée et chronophage. Elle nécessite beaucoup de personnel qui coûte cher à l’entreprise. Dans les années 2000, certains groupes ont choisi de délocaliser leurs services de paie dans des centres de service partagés (CSP) à l’étranger afin de réduire les coûts. Cette délocalisation a entraîné la suppression de nombreux postes de gestionnaires de paie dont la valeur ajoutée était assez faible en termes de stratégie. Cette délocalisation dans les pays émergents n’a pas toujours été très heureuse, et les erreurs dans les bulletins de paie sont souvent nombreuses avec des conséquences financières assez fortes. De même, les salariés n’ayant plus accès directement aux personnes qui géraient leur paie pouvaient avoir un sentiment de frustration. Avec l’apparition de logiciels qui automatisent la gestion de la paie, ces mêmes sociétés se voient réinternaliser la paie en France. Pour gérer ces problématiques, les entreprises ont recruté des responsables paies dont les missions sont plus techniques et plus variées.


 


Les chatbots en renfort et non pas en remplacement des juristes


En quoi cela nous éclaire-t-il sur la mutation actuelle du métier de juriste ? L’analyse des données dans une data room, la rédaction ou relecture d’un non-disclosure agreement (NDA) de même que la convocation à une assemblée générale sont des tâches particulièrement répétitives. Ces mêmes tâches sont également source de frustration pour un certain nombre de juristes qui n’y trouvent pas l’épanouissement intellectuel qui les avait guidés vers la profession en premier lieu. Dès lors, une automatisation de tout ou partie de ces tâches pourrait entraîner plusieurs bénéfices conjoints. Tout d’abord, les juristes se verraient enfin dispensés des tâches les plus administratives et les moins stimulantes intellectuellement. Le temps gagné pourrait, lui, être affecté à des tâches plus stratégiques et à fort e valeur ajoutée, mais aussi à des projets dits « de fond » auquel on n’a habituellement jamais le temps de se consacrer. Enfin, une automatisation de ces tâches sur lesquelles la direction juridique garde la main permet une plus grande sécurité juridique au sein de l’entreprise. In fine, la force d’un juriste demain ne sera donc pas dans l’analyse de données mais dans sa capacité de raisonnement et de structuration de solutions aux enjeux du business.


En matière de recrutement, lorsqu’un client recherche un juriste, la compétence première évaluée sera sa compétence technique (dite « hard skills »). On attend d’un juriste qu’il ait un excellent raisonnement juridique. Une fois cette compétence validée, on apprécie les profils des candidats de manière globale en évaluant leurs compétences comportement ales (dites « soft skills »). C’est pourquoi on dit souvent que la différence entre deux bons candidats se fait sur ces dernières.


La notion de soft skills est large, elle comprend autant la capacité d’adaptation, la flexibilité, la gestion de crise que le sens de l’initiative. Ces compétences sont autant d’aspects cruciaux du métier de juriste qui, à ce jour, sont difficilement remplaçables par des machines. Pour Christophe Roquilly, doyen de la faculté de droit de l’EDHEC, directeur de l’EDHEC Augmented Law Institute et spécialiste des soft skills, l’objectif est de « positionner les savoirs, les compétences et la fonction du juriste au centre des transformations de l’entreprise et de la société pour avancer vers une direction juridique plus transversale, aux fonctions plus globales et à plus forte valeur ajoutée ». Le juriste de demain ne sera donc pas remplacé par un robot mais sera au contraire un juriste « augmenté », qui a capitalisé sur ses compétences et a profité de la transition numérique pour en acquérir de nouvelles !