L’introduction en octobre prochain du Livret défense,
avec un taux de rendement alléchant estimé à 5%, suscite des interrogations.
Pourra-t-il financer efficacement le secteur de la défense, prioritaire ces
derniers mois en France ? Pour l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, privilégier
la création d’un produit d’épargne n’est pas le plus pertinent.
« On entend plus
parler du vert kaki que du vert tout court ». Ces propos de l’économiste
Jézabel Couppey-Soubeyran soulignent l’importance prise en Europe, et tout
particulièrement en France, par le secteur de la défense ces derniers mois, au
détriment d’autres priorités comme l’écologie.
Cet été, dans un
contexte de purge budgétaire, Emmanuel Macron a annoncé un budget de plus de 6
milliards d’euros supplémentaires sur les deux prochaines années pour l’armée.
L’Allemagne, elle, est prête à porter ses dépenses militaires à 5% de son PIB. Le
tout, dans un contexte marqué par la guerre russo-ukrainienne et la politique
commerciale offensive des États-Unis.
Pour financer ces
dépenses militaires, mobiliser l’épargne des Français est une piste privilégiée.
Le directeur de la Banque publique d’investissement, Nicolas Dufourcq, a
annoncé, courant juillet, que le Livret défense serait lancé en octobre, sans
toutefois préciser le taux de rendement de départ, renvoyant à l’avis que rendra
l’Autorité des marchés financiers. Cependant, des experts estiment que son taux
devrait être aux alentours de 5%. Quasiment le triple du taux de rendement du
Livret A, passé à 1,7% depuis le 1er août.
Le
Livret défense ne bénéficiera pas forcément aux entreprises françaises
De quoi séduire de
potentiels épargnants soucieux du rendement de leur placement, selon Jézabel Couppey-Soubeyran.
« Si cela s’adresse, en partie, à des petits épargnants, qui vont comparer
ce rendement à celui du Livret A, cela peut se révéler assez attractif. On
pourrait observer un report des encours du Livret A vers ce nouveau Livret
défense », ajoute la maîtresse de conférences à l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, rappelant toutefois le principe de non-affectation des
ressources.
Les banques, en tant
qu’intermédiaire financier, peuvent répartir cette épargne où elles veulent. L’épargne
issue du futur Livret défense ne sera pas forcément fléchée en totalité vers
des entreprises françaises du secteur de la défense car « les épargnants
n’ont jamais véritablement la main sur leur épargne ».
Un
modèle de financement peu efficace ?
Reste la question éthique,
celle du financement de la défense. « Les épargnants potentiellement
attirés par le Livret défense doivent être convaincus par cette idée »,
relève Jézabel Couppey-Soubeyran. Mais aussi la problématique de la liquidité
du produit d’épargne proposé. Le Livret défense est ouvert à partir d’une mise
de départ de 500 euros, mais surtout, ce compte reste bloqué pendant cinq ans.
« Il faut renoncer à la liquidité. Toute la question est de savoir si les 5%
potentiellement promis récompensent suffisamment ce renoncement », soulève-t-elle.
D’autant plus que le Livret A, en parallèle, est un produit d’épargne liquide, qui
permet aux Français de retirer de l’argent à tout moment.
Par ailleurs, pour
l’économiste, mobiliser l’épargne des Français vers la défense via la création
d’un produit d’épargne n’est pas forcément pertinent. « Si on veut que les
banques financent la défense, la transition écologique ou certains secteurs
essentiels à l’autonomie stratégique, il faut que par la régulation, on arrive
à orienter leurs crédits vers ces investissements jugés prioritaires. Il me
semble que ce serait une meilleure façon - plus efficace, plus directe - de
procéder », plaide-t-elle.
Pour une
réorientation structurelle de la politique monétaire
Pour elle, la
politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) devrait être
davantage structurelle et s’inspirer de ce que fait la Chine en matière
d’orientation, de volume et de coût du crédit. Ou encore de ce que fut le
système d’encadrement du crédit appliqué en France jusque dans les années 1980.
L’économiste note
une évolution en ce sens de la part de la BCE. En juin dernier, l’institution
européenne a déclaré une mise en place de portefeuilles structurels de titres,
qui se veulent être « des opérations de refinancement, d’apport de liquidité aux
banques » dans une perspective de long terme.
Le récent accord commercial entre l’Union européenne et
les États-Unis, en vigueur depuis le 1er août, qui inclut des achats d’armement
made in USA, jette cependant une ombre sur cette stratégie de financement européen.
Car, tout en prônant l'autonomie stratégique en matière
de défense et en augmentant les crédits qui lui sont alloués, les nations
européennes continuent bel et bien de remplir les carnets de commande du
complexe militaro-industriel étasunien.
Jonathan Baudoin