Le
14 novembre 2022 se tenait au centre Panthéon une conférence sur le droit
d’asile appliqué aux mineurs. Cet événement intervenait deux semaines après la
célébration au palais du Luxembourg du 70e anniversaire de la Cour nationale du
droit d’asile (CNDA). Nous nous arrêtons dans cette édition sur la première
partie de cette matinée d’échanges, consacrée aux questions de procédure. La
seconde partie sera traitée prochainement sur notre site, et dans un futur numéro du JSS au format papier.
En
ouverture, Mathieu Hérondart, président de la CNDA depuis le 1er juillet 2022,
indique que le sujet prégnant des mineurs, quoique complexe, ne représente pas
un volume conséquent dans la jurisprudence du droit d’asile, car la Cour est
surtout confrontée à des demandes familiales. Celles-ci englobent à la fois les
parents et les mineurs. Dans la plupart des cas, les craintes invoquées sont en
fait celles des adultes.
Le
Conseil d’État a consacré (02/12/1994) la jurisprudence ancienne de la
commission de recours des réfugiés et a reconnu le principe d’unité de la
famille qui étend la protection de la convention de Genève aux enfants mineurs
lorsque la qualité de réfugié est reconnue à l’un des parents. Cette
jurisprudence d’unité de la famille a été élargie d’une certaine manière par le
législateur par l’application de l’article L. 521-3 du Code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans l’hypothèse de la
protection subsidiaire. Et dans ce cas-là, la demande d’asile déposée par un
demandeur accompagné d’enfants mineurs est regardée comme présentée en son nom
et en celui de ses enfants. La plupart des demandes sont familiales, celles qui
concernent exclusivement des mineurs sont peu nombreuses (environ 5 % des
recours enregistrés en 2021). La majorité des demandes parentales introduit un
recours devant l’office sans réelle crainte propre importante. Lorsque la Cour
statue, sa décision, qui accorde ou rejette la protection aux parents, inclut
les enfants, sauf si une demande distincte pour mineur a été déposée.
Les
cas de mineurs non accompagnés (MNA) sont rares. Ils doivent être accompagné,
par un mandataire ad hoc. Il arrive que le mineur devienne majeur en cours de
procédure, ce qui en complique le traitement.
Delphine Burriez, Mathieu Hérondart et Jean-Louis Iten (©JSS)
Quelle
procédure pour le mineur ?
Delphine
Burriez, maître de conférences en droit public à l’université Paris
Panthéon-Assas, a animé ce premier thème sur lequel se sont exprimés Léa
Jardin, chercheuse en droit public à l’École nationale de la protection
judiciaire de la jeunesse, Catherine Delanoë Daoud, avocate au barreau de
Paris, Johan Ankri, chef de la division des affaires juridiques, européennes et
internationales à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides
(OFPRA), et Fleur Michel, présidente de chambre à la Cour nationale du droit
d’asile (CNDA).
Le
mineur non accompagné et l’accès à la procédure
Selon
le régime d’asile européen commun (règlement Dublin 3), le mineur non
accompagné est un mineur qui entre sur le territoire des États membres sans
être accompagné d’un adulte qui, de par le droit ou par la pratique de l’État
membre concerné, en a la responsabilité, tant qu’il n’est pas effectivement
pris en charge par un tel adulte. La définition couvre également le mineur qui
a cessé d’être accompagné après être entré sur le territoire de l’un des États
membres. Ainsi, résume Léa Jardin, chercheuse en droit public à l’École nationale
de la protection judiciaire de la jeunesse, la définition s’appuie sur trois
éléments : la minorité, le fait d’être étranger et celui d’être sans
représentant légal capable d’assurer la représentation du mineur dans tous les
actes de la vie civile.
La
demande d’asile pour les enfants est ouverte de façon générale. Le droit de
demander l’asile pour les enfants est notamment protégé par l’article 22 de la
Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Néanmoins, en
France, le premier moyen de protection des MNA est l’aide sociale à l’enfance
(ASE). En tant qu’enfants en danger, ils peuvent être pris en charge par ses
services. La demande d’asile, dans le système français, n’intervient qu’en
second lieu. En 2021, un peu plus de 11 300 mineurs sont entrés dans les
dispositifs de protection de l’enfance, tandis que pour la même année, 867 demandes
d’asile ont été déposées pour des mineurs non accompagnés. Face à ces chiffres,
la question se pose de savoir si un certain nombre de mineurs ne devraient pas
recevoir un soutien par le biais du statut de réfugié ou par celui de la
protection subsidiaire. Une explication de cette différence statistique est
fournie par la complexité de la procédure de demande d’asile.
C’est
quasiment la même que pour un majeur. Elle se déroule en deux étapes : accueil
et préenregistrement sur la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA),
puis entretien au guichet unique pour demandeur d’asile (GUDA) avec les agents
de la préfecture et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration
(OFII). Longue, en partie dématérialisée, la démarche impose au candidat de la
pugnacité. D’autres difficultés existent telles que la question du droit à
l’information. Un mineur pris en charge par l’aide sociale n’est pas renseigné
sur la procédure de demande, ni sur la protection, etc. Il faut préciser que
les professionnels de l’aide sociale à l’enfance connaissent peu ou mal cette
procédure. Ils lui préfèrent la demande de titre de séjour, précise Léa Jardin.
De plus, les jeunes sont suivis par des éducateurs qui ne sont pas formés au
droit et ne s’intéressent pas forcément à la demande d’asile. L’Office français
de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a commencé à combler ce vide au
moyen de formations. Un autre problème spécifique tient à l’absence d’accès aux
conditions matérielles d’accueil attribuables aux demandeurs pendant toute la
durée de la procédure. L’idée étant que s’ils peuvent être pris en charge par
l’aide sociale à l’enfance, ils ne doivent pas bénéficier de ces conditions
matérielles d’accueil.
Léa Jardin, Delphine
Burriez et Catherine Delanoë Daoud (©JSS)
Il
arrive que leur soit opposé un refus d’enregistrement de la demande d’asile
parce qu’ils n’ont pas été préalablement évalués par le département
(vérification de la minorité et de l’isolement). Pourtant, aucun texte
juridique n’impose ce contrôle du département avant d’enregistrer une demande
d’asile en tant que MNA.
La
désignation d’un administrateur ad hoc pour le MNA demandeur d’asile a été
introduite par la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale. Il est
prévu par l’article L. 521-9 du CESEDA que lorsque le demandeur d’asile est
présenté par un mineur non accompagné, le procureur de la République est
immédiatement avisé par l’autorité administrative. Ce dernier désigne sans
délai un administrateur ad hoc. Le texte laisse imaginer une certaine rapidité
dans la procédure, et pourtant, le plus souvent, la désignation intervient
après le rendez-vous PADA, voire après le rendez-vous GUDA. Cela signifie que
le mineur aura enregistré sa demande sans représentant légal.
Par
ailleurs, le texte dispose que la mission de l’administrateur prend fin
lorsqu’une mesure de tutelle est prononcée, par exemple celle de l’aide
sociale, dont le personnel n’est pas vraiment formé à la demande d’asile.
Raison pour laquelle ce sont couramment des associations ou des avocats qui
assistent les MNA dans leur démarche. D’autant que les mineurs non accompagnés
sont peu confiés à l’ASE par le biais d’une tutelle, mais plutôt par celui
d’une mesure d’assistance éducative. Or, dans ce cadre, le service de l’aide
sociale à l’enfance ne peut pas effectuer certains actes qui relèvent de
l’autorité parentale. Toutefois, le juge des enfants peut lever cet obstacle.
Les
mineurs non accompagnés ne sont pas soumis aux règles habituelles du règlement
Dublin 3. Concrètement, ils ne peuvent pas être transférés vers leur premier
pays d’entrée dans l’UE, même si leurs empreintes y ont été enregistrées. Le
règlement Dublin 3 prévoit qu’ils puissent être transférés vers l’État membre
où se trouvent soit leurs parents, soit leurs frères et sœurs, soit
éventuellement un proche, à condition que cela soit dans leur intérêt
supérieur. Si le mineur n’a pas de proche au sein de l’Union européenne, sa
demande d’asile doit être examinée par l’État où il se trouve, mais à l’avenir,
deux propositions de la Commission européenne semblent retenir le critère du
premier pays d’entrée comme lieu de traitement.
Quelques
points de blocage de l’accès à la demande d’asile
Trop
souvent, témoigne Catherine Delanoë Daoud, avocate au barreau de Paris, les
éducateurs croient qu’il faut être majeur pour demander l’asile, ou bien que le
MNA a intérêt à attendre d’être majeur pour le faire. Quelques-uns confondent
même aide sociale à l’enfance et asile. Autre souci pratique, l’accès à la
préfecture manque de constance. Les agents de police et de sécurité sur place
ne connaissent pas tous le droit des mineurs non accompagnés à se présenter aux
guichets de la préfecture sans convocation. Toutefois, la dématérialisation a
entraîné la mise en fonction d’un formulaire de pré enregistrement qui permet
de contourner ce point en évitant un déplacement physique. Normalement, suite
au dépôt de la demande d’asile d’un MNA, le parquet devrait désigner sans délai
un administrateur ad hoc. Mais en réalité, cela demeure très aléatoire. La
durée moyenne atteint plutôt deux à trois mois après plusieurs relances.
L’article
R. 521-18 du CESEDA dispose que lorsqu’un mineur se présente sans représentant
légal pour l’enregistrement d’une demande d’asile, le préfet enregistre la
demande sur la base des éléments dont il dispose, puis il convoque l’intéressé
à une date ultérieure pour compléter l’enregistrement de sa demande d’asile, en
présence de son représentant légal. Ça ne se passe jamais comme ça à Paris,
assure Catherine Delanoë Daoud. Il est impossible d’y enregistrer une demande
d’asile sans administrateur ad hoc. Les conséquences sont importantes, puisque
dans la jurisprudence, c’est l’âge du mineur au moment de l’introduction de sa
demande d’asile qui est retenue.
Par
ailleurs, le droit d’asile est parfois dévoyé. Il arrive que des mineurs soient
fortement incités à formuler une demande alors même que ce n’est pas dans leur
intérêt ou que leur situation ne correspond pas aux critères requis. Ainsi,
lors du démantèlement de campement de rues à Paris de mineurs – par ailleurs en
instance de recours pour une demande de protection devant le juge des enfants
–, des jeunes ont été orientés vers des centres d’hébergement. Là, certains ont
été contraints par les intervenants sociaux à enregistrer des demandes d’asile
en tant que majeur, faute de quoi l’accès au centre d’hébergement leur était
fermé. Cette situation a été relevée à plusieurs reprises. Ceux qui ont été
enregistrés et hébergés sous une date de naissance modifiée n’ont pas pu la
faire rectifier par la suite.
En
Île-de-France, les MNA pris en charge par l’aide sociale à l’enfance sont
quelquefois fortement incités à déposer une demande d’asile pour basculer à la
majorité dans le dispositif de prise en charge par l’OFII dès leurs 18 ans. À 18
ans, ils sortent du dispositif de l’ASE et n’ont pas droit au contrat jeune
majeur, valable jusqu’à 21 ans.
Delanoë
Daoud observe de plus en plus de réticences de la part des départements ou des
juges pour enfants à accepter les décisions prises par l’OFPRA ou par la CNDA
sur l’identité des jeunes. Par exemple, l’OFPRA a reconstitué l’état civil et
établi un acte de naissance pour des MNA placés sous sa protection. Ils ont
néanmoins été soumis à une procédure d’évaluation de leur minorité par le
département en charge les d’accueillir. Ou encore, un juge des enfants de Paris
à qui l’avocate avait demandé la réouverture d’un dossier de demande de prise
en charge par l’ASE d’un enfant de 17 ans, après la reconnaissance par l’OFPRA
de sa qualité de réfugié statutaire, a décidé d’un non-lieu d’assistance
éducative au motif « qu’il convient de relever que l’acte de naissance
établi par l’OFPRA n’a été réalisé uniquement que sur les déclarations du jeune
». Dans ces conditions, le document édité par l’OFPRA ne saurait revêtir
une quelconque valeur probante et établir une quelconque minorité. Autrement
dit, le juge des enfants remet en cause la décision de l’OFPRA !
Johan Ankri, Delphine Burriez
et Fleur Michel (©JSS)
Le
mineur accompagné et la qualification de la procédure
Le
rapport d’activité 2021 de l’OFPRA relève que près de 25 % des demandeurs
d’asile enregistrés cette année-là sont des mineurs accompagnés, soit environ
25 000 personnes. 35 % des personnes qui ont été protégées en première instance
en 2021 sont des mineurs accompagnés, soit 13 000 enfants.
Johan
Ankri, chef de la division des affaires juridiques, européennes et
internationales de l’OFPRA, prend pour point de départ la loi dite immigration,
asile et intégration du 10 septembre 2018. À l’époque, le législateur a
transposé à l’article L. 741-1 du CEDESA – scindé aujourd’hui en deux articles,
l’article L. 521-3 et l’article L. 531-23 – d’une disposition de la directive
européenne dite procédure du 26 juin 2013. Cette loi de 2018 entrée en vigueur
le 1er janvier 2019 prévoit deux points :
•
lorsque la demande d’asile est présentée par un étranger qui se trouve en
France accompagné de ses enfants mineurs, la demande est regardée comme
présentée en son nom et en celui de ses enfants ;
•
lorsqu’il est statué sur la demande de chacun des parents, la décision
accordant la protection la plus étendue est réputée prise également au bénéfice
des enfants.
Attardons-nous
sur le premier point qui vise deux objectifs principaux. L’un cherche à éviter
le dépôt des demandes successives et, par conséquent, à décourager
l’enchainement de demandes dilatoires formées au nom d’une personne puis de
chacun de ses enfants en vue de prolonger artificiellement le séjour. L’autre
souhaite simplifier l’exercice de la protection juridique et administrative des
enfants bénéficiaires d’une protection internationale.
En
effet, jusqu’alors, ces enfants, pour lesquels une demande d’asile formelle
n’avait pas été présentée, se voyaient délivrer des actes ou des documents
d’état civil par l’OFPRA. Cependant, ils devaient, entre 16 et 18 ans, s’ils
souhaitaient régulariser leur droit au séjour en tant que réfugié ou en tant
que bénéficiaire de la protection subsidiaire, présenter une demande d’asile en
bonne et due forme. Ils pouvaient alors obtenir une décision individuelle qui
établissait, notamment aux yeux de la préfecture et des administrations,
l’existence d’une protection internationale pourtant préexistante, et qui, par
surcroît, ne cessait pas de plein droit à la majorité. Cette difficulté est
aujourd’hui révolue. Chaque mineur fait maintenant l’objet d’un enregistrement
préalable en préfecture pour être pris en compte par l’OFPRA. La démarche
confirmative de l’existence d’une protection internationale entre 16 et 18 ans
n’est plus nécessaire.
Le
dispositif de la demande d’asile familiale tel qu’il était appréhendé par
l’administration était articulé autour de la date de son enregistrement en
préfecture. Trois situations ressortaient et donnaient lieu à des solutions
assez cohérentes. La première est celle du parent demandeur d’asile accompagné
à la date d’enregistrement en préfecture d’un enfant présent sur le territoire
français. Là, la demande était regardée comme présentée au nom du parent et
automatiquement à celui de l’enfant. La deuxième concerne l’enfant d’un
demandeur qui naît ou rejoint son parent en France, postérieurement à la date
d’enregistrement de la demande d’asile en préfecture, y compris pendant
l’examen de la demande d’asile. Dans ce cas-là, une demande d’asile
individuelle devait être présentée au nom de l’enfant. Elle était introduite en
tant que première demande par l’OFPRA et instruite comme telle. La troisième
situation est celle la demande d’asile faite au nom d’un enfant présent sur le
territoire français présentée après la décision définitive rendue par l’OFPRA
ou par la CNDA sur la demande d’asile du parent. La décision prise sur la
demande du parent était réputée valoir également pour le compte de l’enfant.
Cette
situation, déjà complexe, prévalait jusqu’en 2021. Le Conseil d’État l’a
modifiée au terme de deux décisions.
La
première décision, du 6 novembre 2019, a posé le considérant du principe
suivant : lorsque l’office est saisi d’une demande émanant d’un mineur (donc,
par hypothèse, déjà présent sur le territoire français), après que l’un de ses
parents a déjà présenté une demande d’asile, et que ce parent a été entendu
dans ce cadre, la demande émanant du mineur doit être regardée comme un
réexamen. Il s’agit d’une interprétation des dispositions de la loi de 2018. Le
principal apport de cette décision réside dans la rétroactivité des
dispositions de la loi du 10 septembre 2018 sur la procédure d’avis des mineurs
accompagnés. Le Conseil d’État, s’appuyant notamment sur le principe de l’unité
familiale, est venu contredire une décision du juge de référé. Le rapporteur
public a conclu que ces dispositions apparaissaient plus comme une
explicitation de ce qui était auparavant implicite que comme un réel avis. En
somme, ces dispositions devaient être lues comme impliquant que la demande
d’asile présentée au nom des parents vaut également examen des motifs propres
qui pourraient justifier que l’asile soit octroyé à leurs enfants.
Juridiquement correcte, cette position ne correspondait à aucune réalité
pratique pour les autorités de l’asile qui, lorsqu’elles étaient saisies pour
la première fois de la demande d’asile d’un mineur accompagnée, ne tiraient
aucune conséquence, notamment en matière de qualification de la demande, de
l’antériorité de la naissance ou de l’arrivée en France par rapport à la
demande d’asile du parent. Dès lors que l’enfant naissait ou arrivait sur le
territoire postérieurement à l’enregistrement de la demande d’asile du parent
en préfecture, la demande d’asile de l’enfant était une première demande.
La
deuxième décision date du 27 janvier 2021. Elle implique que la date clé de la
demande d’asile familiale ne s’appuie plus sur celle de l’enregistrement en
préfecture, mais sur celle de la décision définitive rendue par l’OFPRA ou par
la CNDA. Les implications sont particulièrement lourdes et nombreuses. Il a
fallu à l’OFPRA plus d’un an pour mesurer tous les effets de cette
jurisprudence. Au moins deux difficultés se posent suite à cette décision,
détaille Johan Ankri. D’abord, le Conseil d’État a jugé qu’en cas de naissance
ou d’entrée en France d’un enfant mineur entre l’enregistrement de la demande
du parent et la décision définitive, le parent a obligation d’en informer
l’OFPRA et la CNDA. Il est fait ici abstraction des dispositions de l’article L.
531-2 du CESEDA au terme duquel toute demande d’asile doit faire l’objet d’un
enregistrement préalable par la préfecture. Cela méconnaît le fait que seul
l’OFPRA peut créer une fiche de demandeur d’asile et a fortiori de bénéficiaire
d’une protection dans le système informatisé. Ensuite, la deuxième difficulté
touche les mineurs nés ou arrivés en France pendant l’examen du recours de
leurs parents, voire même parfois pendant l’examen de la demande d’asile qui
allègue pour la première fois des craintes propres devant la CNDA. La solution
du Conseil d’État conduit à priver d’un examen en demande initiale le mineur.
La
prochaine réforme de l’immigration et de l’asile est programmée pour le début
de l’année 2023. Elle offre l’opportunité de repenser les divers aspects de la
demande d’asile familiale.
La
mécanique contentieuse
Eu
égard aux dispositions du CESEDA en vigueur et à la jurisprudence, selon Fleur
Michel, présidente de chambre à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), deux
points essentiels sont à retenir sur les mineurs accompagnants. Premièrement,
leurs demandes d’asile sont agrégées à celles des parents. Cela signifie
concrètement un seul dossier devant la Cour. Deuxièmement, si les parents se
voient accorder une protection, il y a extension de la plus importante aux
mineurs. La demande d’un mineur accompagné est envisagée identique à celle de
ses parents, avec les mêmes craintes : mariage forcé, conflit d’héritage,
problèmes familiaux, etc. Cependant, elle peut présenter ses propres craintes :
excision, naissance hors mariage, « enfant sorcier », « enfant serpent »… Dans
ces cas-là, l’office va se prononcer sur la demande du mineur par une décision
distincte de celle rendue le cas échéant pour les parents. Logiquement, à leur
entrée à la Cour, les dossiers de cette famille se référencent sous deux
numéros distincts. Toutefois, certaines affaires se situent dans une « zone
grise » et il revient à la CNDA de trouver une solution juridique.
La
CNDA a récemment clarifié un point de droit
Au
printemps dernier, la Cour a été soumise à la question suivante : que faire
dans les cas où l’enfant né postérieurement à la demande des parents, soulève
des craintes qui lui sont propres, alors qu’il surgit en cours de procédures
contentieuses à la Cour ? Est-ce un réexamen à l’intérieur même du recours du
parent ? L’enfant survenant en cours de procédure soulève des craintes propres.
Or, il n’a pas été entendu pour cela devant l’office. C’est une privation de
ses droits, de la garantie d’un entretien individuel et personnel. Comment se
positionner ? Ces questions étaient soumises à la Cour dans une affaire qui a
fait l’objet d’un arrêt du 16 mai 2022, enregistré sous le n° 21023491.
Un
mémoire complémentaire avait été déposé une dizaine de jours avant l’audience,
donc parfaitement recevable. Il présentait des conclusions nouvelles concernant
la fille de Mme B. Cette dernière faisait initialement un recours pour une
question de mariage forcé mais elle avait accouché d’une petite fille après son
entretien à l’OFPRA, et après la décision de l’Office. Elle avait des craintes
en raison de l’excision. Comment prendre en compte les craintes de la petite
fille sans entretien particulier à l’OFPRA ? Dans ce cadre particulier, la CNDA
a procédé par étapes dans son raisonnement. La première idée est l’affirmation
du caractère personnel des craintes de l’enfant, lesquelles sont indépendantes
du récit de la mère, qui se bornait à évoquer un mariage forcé. Par conséquent,
les craintes propres de l’enfant ne sauraient être assimilées à un élément
nouveau du dossier de la mère – c’est une autre personne –, ou à une demande de
réexamen de celui-ci. Ces craintes ne peuvent être ajoutées à une procédure
déjà engagée sur un autre fondement de risque de persécution, pour un autre
demandeur d’asile, sans examen individuel et personnel desdites craintes. La
décision a été construite dans une zone grise sans réel repère. Le premier
réflexe, explique Fleur Michel, a justement été de rechercher des repères pour
écrire la décision. Ils sont venus du droit administratif classique, des règles
de liaison du contentieux.
Le
droit d’asile est du droit public. Donc le premier constat qui fonde cette
construction jurisprudentielle est qu’il n’y a pas de décision prise sur la
situation de l’enfant, du fait même du parcours et aussi du fait d’un refus
d’enregistrement de la préfecture d’un dossier au nom de l’enfant. Le dossier
produit par l’avocat montrait effectivement ce refus via un courriel de la
préfecture du département de résidence de la personne. Il n’y avait pas de
décision prise sur la situation de l’enfant. De plus, l’OFPRA n’a formulé
aucune réponse à la communication du mémoire complémentaire qui avait été fait
par les soins de la Cour lorsqu’il a été reçu. Là encore, règle classique de
liaison du contentieux, si on répond au mémoire complémentaire qui contient les
conclusions pour l’enfant, c’est qu’il est lu. Or, là, il n’y avait pas de
réponse.
La
Cour, dans son raisonnement, a également pris en compte l’article L. 531-22 du
Code de l’entrée et du séjour des étrangers. Ce dernier prévoit qu’aucune
décision ne peut naître du silence gardé par l’office. Derrière toute cette
logique contentieuse mise en œuvre, la réponse de la Cour a été un constat
d’irrecevabilité de la demande formulée au titre de l’enfant. Elle a rappelé
également, sur le fondement de l’arrêt n° 415335 du 18 juin 2018, que la
compétence des juridictions administratives de droit commun s’appuie sur les
refus d’enregistrement des demandes d’asile. C’est une volonté de la Cour de
rendre une décision équilibrée, de dire aussi aux préfectures qu’elles ont une
obligation d’enregistrement. L’originalité de cette décision est de venir
clarifier un point de droit en l’absence de disposition spéciale organisant le
traitement des demandes dans ce contexte, et d’opter pour une réponse claire
sur le fondement du droit administratif classique.
C2M
Trois
arrêts fondamentaux du Conseil d’État
Arrêt du conseil d’État
439248, du 21 janvier 2021
En application de l’article
L. 521 3 du Code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile, il prévoit que la
demande d’asile présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de
ses enfants mineurs est regardé comme présenter en son nom et en celui de ses
enfants. C’est le fondement de la demande familiale. Il prévoit également
l’extension aux enfants de la protection donnée.
Arrêt du conseil d’État
422017, du 6 novembre 2019
Cet arrêt prévoit que
lorsque l’office est saisi d’une demande émanant d’un mineur après que l’un des
parents l’ait fait et que celui-ci a été entendu dans ce cadre, la demande
émanant du mineur doit être regardée comme une demande de réexamen, pour
laquelle – conséquence administrative très importante – l’office n’a pas
l’obligation de réentendre le mineur. Tout l’enjeu de déclarer une demande en
réexamen ou en demande initiale, tient à la possibilité, sur le fondement de
l’article L. 531 42 du CESEDA, de ne pas entendre au niveau de l’office la
personne qui représente légalement le mineur.
Arrêt du conseil d’État
445958, du 27 janvier 2021
Si l’enfant est né ou entré
en France après l’enregistrement de la demande ou du recours des parents, la
décision de l’OFPRA ou de la CNDA est réputée prise à l’égard du demandeur et
de ses enfants mineurs à la date de la visite.