Un nombre croissant d’Etats
étrangers souhaitent rapatrier sur leurs terres les restes humains de leurs ancêtres
détenus dans le patrimoine français. Face à cette attente légitime, il devenait
essentiel de définir une loi pour autoriser la sortie de ces éléments du
domaine public, sous certaines conditions strictement établies, avec une
procédure juridique claire. A l'Institut Art et Droit, la sénatrice Catherine Morin-Desailly est revenue, début février, sur les apports de cette loi qu'elle a portée, promulguée
le 26 décembre 2023.
L'État ou
les collectivités territoriales peuvent désormais restituer à un état
étranger, des restes humains appartenant aux collections publiques. La loi du
26 décembre 2023 les y autorise. On entend par « restes humains » des morceaux
de peau qui relient les livres, des reliques, des squelettes, des fragments de
crânes ou d'os, des têtes, des cheveux, des corps...
La sénatrice de la Seine-Maritime
Catherine Morin-Desailly, à l’initiative de ce texte, rappelle lors de sa
conférence du 7 février, à l’Institut Art et Droit, le long chemin qui a
conduit cette promulgation.
Restitution des têtes maories
à la Nouvelle-Zélande
La sénatrice revient sur le
feuilleton de la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. En 2006,
le Muséum d’Histoire Naturelle de Rouen prépare sa réouverture au public après
dix ans de fermeture pour réaménagement. Il détient, dans sa collection, une
tête trophée maori (toi moko) donnée en 1875 par un monsieur Drouet. Rappelons
que le visage des chefs et guerriers maoris était couvert de tatouages, en lien
avec leur histoire et leur statut social. À leur mort, leur tête était
préservée, momifiée. Elle était soit conservée à la maison par des membres de
la famille et honorée du culte des ancêtres, soit, pour celle d’un ennemi,
exposée à l’extérieur, comme trophée de guerre d’avertissement.
Friands de ce genre de
curiosités, les européens en avaient conçu le lucratif commerce dès la fin du
18e siècle. Ce marché prospère a d’ailleurs poussé quelques astucieux à
profiter du filon en tatouant, post-mortem, des têtes d’esclaves. C’est
pourquoi, des têtes maories momifiées se retrouvent aujourd’hui dispersées un
peu partout dans le monde, aux mains de collectionneurs.
Depuis 1992, la
Nouvelle-Zélande avait engagé une grande campagne de rapatriement et de
restitution de ces têtes. En 2006, le Muséum de Rouen informe sa mairie que les
Maoris demandent le rapatriement du toi moko. En octobre 2007, le conseil
municipal vote à l’unanimité sa restitution. Dans ce but, une rencontre est
organisée en présence de représentants de la Nouvelle-Zélande et du musée
national Te Papa Tangarewa de Wellington.
Opposé à cette remise, le
ministère de la Culture français saisit le tribunal administratif de Rouen qui
annule la décision du conseil municipal, arguant que la ville a bafoué la
valeur d’inaliénabilité des collections. D’un côté, le Code du patrimoine français
stipule que les biens culturels des musées de France ne peuvent faire l’objet
ni d’une transaction commerciale, ni d’un transfert de propriété. De l’autre,
le muséum de Rouen considère, lui, la tête maorie comme un reste humain et non,
comme un objet patrimonial. La restitution peut donc s’effectuer en vertu de la
loi de bioéthique de 1994 relative au respect du corps humain.
Cette affaire met en lumière
le vide juridique qui entoure la question des restes humains conservés dans les
musées en France. Elle témoigne d’une apparente contradiction entre deux
principes, du Code du Patrimoine et du Code Civil.
La loi du 18 mai 2010
Seule une loi d’exception
pouvait alors permettre le retour du toi moko en Nouvelle-Zélande et
contourner son inaliénabilité en toute légalité. La sénatrice et adjointe à la
mairie de Rouen Catherine Morin-Desailly la propose le 8 février 2008. Elle est
votée à l’unanimité par le Sénat en juin 2009 et par l’Assemblée nationale en
mai 2010. Le 9 mai 2011, après 5 ans de batailles juridiques, la tête maorie de
Rouen est restituée à la Nouvelle-Zélande.
La loi du 18 mai 2010 dépasse
le cadre local du Muséum de Rouen. Elle s’impose à toutes les collections
françaises. Les musées nationaux, du quai Branly-Jacques Chirac, d’Histoire
naturelle, de la Marine, de Nantes, des Confluences de Lyon suivent ce mouvement.
Finalement, vingt têtes sont restituées à la Nouvelle-Zélande, le 23 janvier 2012 au musée du Quai Branly-Jacques
Chirac. Les Maoris procèdent à une cérémonie de deuil auprès des toi moko,
qui retrouvent un statut d’ancêtres après avoir été objets de musée.
« À l’époque, la
restitution de la tête maorie à la nouvelle Zélande avait entraîné une levée de
bouclier extrêmement forte de ce secteur, au prétexte qu’on allait ouvrir la
boite de pandore, se souvient la sénatrice. Parce qu’il y avait le principe
d’inaliénabilité des collections ! La ministre d’alors (2008), Christine
Albanel, avait eu l’intelligence de provoquer un événement, qui a fait date
dans l’histoire de la réflexion sur les restitutions : un symposium
international au musée du Quai Branly ! Il a permis de réfléchir aux
questions de restitution et notamment de restes humains. C’est ce qui a
enclenché le travail au long cours des années qui ont suivi », se
souvient Catherine Morin-Desailly.
Selon quels facteurs autoriser une restitution ?
Depuis l’affaire des têtes
maories, la sénatrice n’a cessé d’œuvrer en faveur des restitutions : « L’idée
est de répondre à la demande d’états étrangers qui, ayant pris conscience de
leur histoire, souhaitent rapatrier sur leurs territoires les restes humains de
leurs ancêtres et les enterrer dignement. »
Pour le texte voté en
décembre, le projet était d’établir, cette fois-ci, une loi cadre, et non plus
de circonstance, qui autorise la sortie de restes humains du domaine public,
selon des critères définis.
« Quand nous avons voté
le texte de loi des restitutions des têtes maories, nous étions loin d’ouvrir
la boite de Pandore. Les critères de restitution étaient très précis. La
Commission scientifique nationale des collections (CSNC) avait fait un important
travail de fond et de réflexion pour produire au Parlement, des propositions
solides et précises, sur les critères de restitution. Il s’agissait d’abord que
la demande émane d’un pays étranger de gouvernement reconnu. Qu’elle soit faite
sur la base d’une identification, d’une appartenance avérée à un peuple
autochtone toujours vivant, que ces restes humains ne fassent plus l’objet de
recherches particulières dans nos propres musées, qu’ils aient une destination
funéraire et ne se retrouvent pas sur une étagère de musée. Le texte de loi de
restitution des têtes maories comportait déjà tous les critères. Nous les avons
repris, affinés et complétés dans la loi cadre relative à la restitution de
restes humains », explique Catherine Morin-Desailly.
La loi de décembre 2023
stipule que les restes humains restituables doivent concerner des personnes
décédées après 1500, dont les conditions de collecte ou d’entrée dans les
collections publiques portent atteinte au principe de la dignité de la personne
humaine ou dont la conservation dans les collections contrevient au respect
de la culture et des traditions du groupe humain dont ils sont
originaires, dont la demande de restitution a été formulée par un État,
qui peut agir au nom d’un groupe humain présent sur son territoire et
dont la culture et les traditions restent actives. Enfin, la restitution
n'est possible qu'à des fins funéraires, et non d'exposition.
Cette loi concerne les États
étrangers. Mais la question de la restitution de restes humains aux territoires
ultra-marins, comme la Guyane, le Surinam, se pose aussi.
Un choix autrefois politique
aujourd’hui majoritairement partagé
Des centaines
d'établissements publics en France, universités, services d'archéologie,
monuments, musées (les réserves du musée de l’Homme particulièrement),
détiennent des restes humains provenant d’états étrangers, qui pourraient faire
l’objet d’une restitution. Ce mouvement bénéficie d’une adhésion populaire. « Depuis
20 ans, la prise de conscience des conservateurs, des directeurs, directrices
de musées a beaucoup changé », précise la sénatrice.
Néanmoins, certains
professionnels du secteur de l’art demeurent réticents face à ces demandes
croissantes de restitutions d’œuvres venant de pays anciennement colonisés.
Attachés à l’idée d’inaliénabilité des collections, ils résistent à
laisser sortir un objet pour le rendre à un État étranger.
Catherine Morin-Desailly
souligne le manque de formation de quelques professionnels du secteur, quant à
la traçabilité des objets, à l’histoire des collections, et à la circulation
des œuvres. « Les musées manquent de moyens pour travailler aux
inventaires, objet par objet, reste humain par reste humain. Ils manquent de
moyens pour établir tout ce qui est nécessaire à la bonne compréhension, et à
la justification, ou non, d’une restitution. » La priorité est donc
maintenant d’obtenir des moyens pour que les musées mettent en place un travail
scientifique rigoureux.
Cette loi permet aussi
d’éviter le fait du prince ! « L’histoire des restitutions dans
les années écoulées nous a démontré que souvent, elles émanent de la volonté
d’un président, qui annonce au pays dans lequel il se déplace, parce que la
pression diplomatique est forte, qu’il va restituer un manuscrit, un sabre sans
démarche auprès du parlement. Or, sans vote, ces œuvres ne peuvent pas sortir
des collections. Elles sont inaliénables. Un texte de loi est nécessaire pour
qu’elles n’appartiennent plus au patrimoine français et puissent être rendues. Tout
cela vient de loin : l’inaliénabilité évitait que le roi ne disperse les
biens de la couronne. »
Le périmètre des restitutions
s’étend étape après étape
La sénatrice insiste sur la
transparence de la procédure de restitution et sa nécessaire co-construction
avec les états étrangers : « Il a été établi, qu’à partir du
moment où un état étranger fait une demande, un comité composé de scientifiques
français et de scientifiques du pays concerné, travaillent ensemble à
l’identification. Il faut que l’on puisse restituer des restes humains qui
s’avèrent être les bons et qu’on ne s’aventure pas dans des approximations,
comme ça a été le cas des crânes algériens rendus à l’Algérie, mais qui restent
propriété de la France ».
Catherine Morin-Desailly
souligne que cette loi se veut « une porte qui s’ouvre vers une
nouvelle coopération culturelle entre un Etat étranger et la France, un départ
vers de nouvelles relations harmonieuses qui rassemblent les pays et les
institutions. Cette loi est une façon de raconter l’Histoire à nos peuples, de
la rendre transparente, de révéler comment et pourquoi certains restes humains
ont atterri dans les collections dans des conditions parfois peu
glorieuses ». L’essentiel des pièces provient de fouilles
archéologiques, mais certaines ont été collectées dans des conditions
jugées désormais inacceptables : trophées de guerre, vols, pillages,
profanations de sépultures…
Cette loi sur la restitution
de restes humains s’inscrit dans une vaste réflexion éthique sur le contenu des
collections publiques. Elle est la seconde d’un triptyque qui a débuté avec la
loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait
l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées
entre 1933 et 1945. Un troisième texte à venir, concernera la restitution des
objets, en général.
Maricygne
Di Matteo