DROIT

SÉRIE « LE CAPITAL SOCIAL » (2). Le capital social « entamé »

SÉRIE « LE CAPITAL SOCIAL » (2). Le capital social « entamé »
Publié le 22/03/2024 à 11:40

 

La faculté de droit et science politique de l’université Toulouse Capitole a proposé mi-mars le colloque intitulé « Le capital social », organisé par le centre de droit des affaires et l’institut national universitaire Champollion. Nous nous faisons ici l’écho, sous forme de série, des idées échangées au cours de cette journée sous la houlette des modérateurs, Arnaud de Bissy, Hélène Durand, Nadège Jullian, et Emmanuel Cordelier. La série « Le capital social » regroupe les articles suivants :


• Le coup d’accordéon ;

• Le capital social entamé ;

• Le salarié actionnaire : quelles réalités ? ;

• Le désengagement capitalistique de l’État actionnaire ;

• La société non capitaliste ;

• Risques et intéressement des managers au capital ;

• Les conséquences de la non-libération des apports ;

• Le capital social imaginaire : le cas de l'entreprise individuelle assimilée à une EURL (ou à une EARL) ;

• La variabilité du capital social ;

• Le cash out, une opération risquée.

 


A priori, le capital social d’une société en donne une idée. Sauf que le montant affiché ne correspond pas nécessairement à la réalité.

Avant de s’interroger sur ce que pourrait être un capital « entamé », encore faudrait-il s’entendre sur l’assiette de cette amputation, en l’occurrence le capital social, dans le cadre plus général de son éventuelle fictivité.

Le capital, reflet d’une société

Le capital social est un montant, exprimé en euros, que déterminent initialement les fondateurs de la société et qui traduit la valeur des apports en liquidités et en nature fournis par les futurs associés.

Ce montant pourrait, dès le départ ou par la suite, être discuté, car il ne correspondrait pas à la réalité financière, notamment dans l’hypothèse d’une surévaluation des apports en nature (volontaire ou accidentelle), dans celle d’une auto-souscription (théoriquement prohibée), ou d’une auto-détention (prohibée ou encadrée en fonction des différentes formes sociétaires), cas de figure où la fictivité n’est pas loin.

Le capital pourrait aussi être incomplet, s’il n’a pas été entièrement libéré (v. infra, Les conséquences de la non-libération des apports), ce qui laisse à nouveau planer la possibilité d’une fraude en l’absence de libération intégrale du capital.

Le montant du capital doit être porté dans les statuts de la société. Il constitue aussi un poste essentiel du bilan de la société, en haut à droite de celui-ci, au passif, car il traduit le premier, et parfois le principal, « passif interne » en ce qu’il constitue une dette de la société envers les associés.

La détermination du montant du capital est à l’entière discrétion des associés (et éventuellement de leurs délégataires), après constitution de la société, tant pour les sociétés à capital fixe que pour celles à capital variable : tout mouvement du capital social à la hausse ou à la baisse, y compris dans les sociétés à capital variable, suppose une décision des associés, spécialement une décision personnelle des entrants et des sortants dans les sociétés à capital variable.

Le montant du capital social est donc « figé » à l’issue de chaque exercice, dans le bilan soumis à l’approbation de l’assemblée générale, par les décisions des associés au cours de l’exercice concerné, y compris dans les sociétés à capital variable (v. infra, La variabilité du capital social).

L’écart entre le capital et le montant prévu

Les variations éventuelles du montant du capital social supposent ainsi que les associés décident d’en modifier le montant, à la hausse ou à la baisse, par augmentation ou réduction du capital, y compris par réduction à zéro de celui-ci sous réserve d’un relèvement immédiat (v. infra, La variabilité du capital social).

Ce sont plutôt les questions nées d’un décalage entre le capital, tel qu’il a été « figé » par les associés au bilan de la société en fin d’exercice, et la richesse (ou la « fortune ») réelle de la société qui nous intéressent sous l’intitulé « le capital social entamé ».

Plusieurs cas de figure sont concevables quant à l’écart qui pourrait être observé entre la réalité financière et le montant du capital :

- le capital pourrait être inexistant ou fictif, en tout ou en partie, notamment par surévaluation d’apports en nature, par auto-souscription ou par auto-détention de parts ou actions, comme souligné précédemment ;
- le capital pourrait être incomplet, dans l’hypothèse déjà signalée (v. infra, Les conséquences de la non-libération des apports) d’une libération incomplète de ce qui a été souscrit ;
- le capital pourrait avoir été entièrement « dépensé », le plus souvent lors de la constitution de la société afin d’assumer les divers frais de la création de celle-ci ;
- le capital pourrait avoir été « perdu » en tout ou partie en raison de l’accumulation de pertes nées d’une activité sociale déficitaire.

En ce dernier cas de figure apparaît enfin l’hypothèse d’un capital social « entamé », distincte de celle où le capital a été volontairement réduit par décision des associés, sans pertes vraiment constatées (v. infra, Le cash out : une opération à risque).

Le capital social « entamé »

L’image d’un capital « entamé » est virtuelle et simplement évocatrice d’une perte de substance ou de valeur qui aurait affecté la richesse sociale. Cette image, pourtant parlante d’un appauvrissement, n’apparaît nulle part dans les traités, ouvrages de droit des sociétés ou monographies spécialisées.

Cette image n’a de réalité juridique qu’en cas de réduction du capital, si besoin à zéro, lorsqu’elle illustre le décalage négatif apparu entre le capital social, en haut à droite du bilan, et les « capitaux propres » de la société.

Le sens de « l’entame » ou de « l’amputation » du capital social renvoie, en effet, à une autre notion, celle de « capitaux propres » que définissent quelques dispositions décrétales (C. com., art. R. 123-191 ; C. rural, art. R. 523-9, 2°) et un article du Plan comptable général (PCG, art. 434-1) ; cette notion de « capitaux propres » a pris le relais de celle « d’actif net », pourtant plus explicite.

Il faut rappeler ici, pour simplifier, qu’au passif du bilan (colonne de droite) il convient de distinguer le « passif interne », déjà cité, qui est composé, avec le capital social, de l’ensemble des dettes de la société envers ses associés, du « passif externe », qui exprime la totalité des dettes que la société a contractées avec les tiers. L’actif net (ou capitaux propres) ressort de la différence entre l’actif brut de la société (le total de la colonne gauche du bilan) et le passif « externe », c’est-à-dire la somme des dettes sociales envers les tiers.

Le capital social est donc « entamé », voire réduit à néant, lorsque l’actif net (ou les « capitaux propres ») devient inférieur au montant « figé » du capital qui figure au bilan en fin d’exercice, en haut à droite de celui-ci. A l’inverse, le capital social n’est pas « entamé » (ou demeure intact) aussi longtemps que les capitaux propres (l’actif net) demeurent supérieurs au montant du capital figurant en haut, à droite, du bilan

D’où pourrait résulter l’obligation de reconstituer les capitaux propres, éventuellement par une opération licite de réduction à zéro du capital social, dite « coup d’accordéon » (v. infra, Le coup d’accordéon).

Le capital social, « cœur battant » de la société

Il en ressort que le capital social, dont les fonctions théoriques sont bien connues (sécuriser les créanciers sociaux, financer la société, tout au moins en pratique à l’occasion d’augmentations du capital, répartir les droits sociaux entre les associés), apparaît ici plutôt comme un repère d’alerte, « figé » au bilan, aussi longtemps qu’il n’est pas modifié, à la hausse ou à la baisse. 

En revanche, les capitaux propres fluctuent au gré de l’activité sociétaire et des résultats obtenus : si les capitaux propres franchissent, à la baisse, le repère d’alerte qu’est le montant du capital au bilan, apparaît la figure du « capital social entamé ».

Dès lors, il ne semble pas que le capital social mérite vraiment le qualificatif de « cœur battant » de la société (selon l’expression de R. Mortier, Opérations sur capital social, LexisNexis, 3e éd., 2023) car ce sont à l’évidence les variations des capitaux propres qui forment ces battements de cœur corrélés à l’activité sociétaire. En revanche, lors d’un électrocardiogramme financier de la société, le capital social est le repère d’alerte au-dessous duquel son « cœur battant » ne saurait descendre sans danger pour la personne sociétaire, menacée d’une dissolution mortelle.

Jean-François Barbièri
Professeur des Universités
CDA (Toulouse – I) et CREOP (Limoges)
Avocat à la cour de Toulouse

 

 


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