Avant
de s’interroger sur ce que pourrait être un capital « entamé »,
encore faudrait-il s’entendre sur l’assiette de cette amputation, en
l’occurrence le capital social, dans le cadre plus général de son éventuelle
fictivité.
Le
capital, reflet d’une société
Le
capital social est un montant, exprimé en euros, que déterminent initialement
les fondateurs de la société et qui traduit la valeur des apports en liquidités
et en nature fournis par les futurs associés.
Ce
montant pourrait, dès le départ ou par la suite, être discuté, car il ne
correspondrait pas à la réalité financière, notamment dans l’hypothèse d’une
surévaluation des apports en nature (volontaire ou accidentelle), dans celle
d’une auto-souscription (théoriquement prohibée), ou d’une auto-détention
(prohibée ou encadrée en fonction des différentes formes sociétaires), cas de
figure où la fictivité n’est pas loin.
Le
capital pourrait aussi être incomplet, s’il n’a pas été entièrement libéré (v. infra, Les conséquences de la non-libération des apports), ce qui laisse à nouveau planer la possibilité
d’une fraude en l’absence de libération intégrale du capital.
Le
montant du capital doit être porté dans les statuts de la société. Il constitue
aussi un poste essentiel du bilan de la société, en haut à droite de celui-ci,
au passif, car il traduit le premier, et parfois le principal, « passif
interne » en ce qu’il constitue une dette de la société envers les
associés.
La
détermination du montant du capital est à l’entière discrétion des associés (et
éventuellement de leurs délégataires), après constitution de la société, tant
pour les sociétés à capital fixe que pour celles à capital variable : tout
mouvement du capital social à la hausse ou à la baisse, y compris dans les
sociétés à capital variable, suppose une décision des associés, spécialement
une décision personnelle des entrants et des sortants dans les sociétés à
capital variable.
Le
montant du capital social est donc « figé » à l’issue de chaque
exercice, dans le bilan soumis à l’approbation de l’assemblée générale, par les
décisions des associés au cours de l’exercice concerné, y compris dans les
sociétés à capital variable (v. infra, La variabilité du capital social).
L’écart
entre le capital et le montant prévu
Les
variations éventuelles du montant du capital social supposent ainsi que les
associés décident d’en modifier le montant, à la hausse ou à la baisse, par
augmentation ou réduction du capital, y compris par réduction à zéro de
celui-ci sous réserve d’un relèvement immédiat (v. infra, La variabilité du capital social).
Ce
sont plutôt les questions nées d’un décalage entre le capital, tel qu’il a été
« figé » par les associés au bilan de la société en fin d’exercice,
et la richesse (ou la « fortune ») réelle de la société qui nous
intéressent sous l’intitulé « le capital social entamé ».
Plusieurs
cas de figure sont concevables quant à l’écart qui pourrait être observé entre
la réalité financière et le montant du capital :
- le
capital pourrait être inexistant ou fictif, en tout ou en partie, notamment par
surévaluation d’apports en nature, par auto-souscription ou par auto-détention
de parts ou actions, comme souligné précédemment ;
- le
capital pourrait être incomplet, dans l’hypothèse déjà signalée (v. infra, Les conséquences de la non-libération des apports) d’une libération incomplète de ce qui a été souscrit ;
- le
capital pourrait avoir été entièrement « dépensé », le plus souvent
lors de la constitution de la société afin d’assumer les divers frais de la
création de celle-ci ;
- le
capital pourrait avoir été « perdu » en tout ou partie en raison de
l’accumulation de pertes nées d’une activité sociale déficitaire.
En ce
dernier cas de figure apparaît enfin l’hypothèse d’un capital social
« entamé », distincte de celle où le capital a été volontairement
réduit par décision des associés, sans pertes vraiment constatées (v. infra, Le cash out : une opération à risque).
Le
capital social « entamé »
L’image
d’un capital « entamé » est virtuelle et simplement évocatrice d’une
perte de substance ou de valeur qui aurait affecté la richesse sociale. Cette
image, pourtant parlante d’un appauvrissement, n’apparaît nulle part dans
les traités, ouvrages de droit des sociétés ou monographies spécialisées.
Cette
image n’a de réalité juridique qu’en cas de réduction du capital, si besoin à
zéro, lorsqu’elle illustre le décalage négatif apparu entre le capital social,
en haut à droite du bilan, et les « capitaux propres » de la société.
Le
sens de « l’entame » ou de « l’amputation » du capital
social renvoie, en effet, à une autre notion, celle de « capitaux
propres » que définissent quelques dispositions décrétales (C. com., art.
R. 123-191 ; C. rural, art. R. 523-9, 2°) et un article du Plan comptable
général (PCG, art. 434-1) ; cette notion de « capitaux propres »
a pris le relais de celle « d’actif net », pourtant plus explicite.
Il
faut rappeler ici, pour simplifier, qu’au passif du bilan (colonne de droite)
il convient de distinguer le « passif interne », déjà cité, qui est
composé, avec le capital social, de l’ensemble des dettes de la société envers
ses associés, du « passif externe », qui exprime la totalité des
dettes que la société a contractées avec les tiers. L’actif net (ou capitaux
propres) ressort de la différence entre l’actif brut de la société (le total de
la colonne gauche du bilan) et le passif « externe », c’est-à-dire la
somme des dettes sociales envers les tiers.
Le
capital social est donc « entamé », voire réduit à néant, lorsque
l’actif net (ou les « capitaux propres ») devient inférieur au
montant « figé » du capital qui figure au bilan en fin d’exercice, en
haut à droite de celui-ci. A l’inverse, le capital social n’est pas
« entamé » (ou demeure intact) aussi longtemps que les capitaux
propres (l’actif net) demeurent supérieurs au montant du capital figurant en
haut, à droite, du bilan
D’où pourrait résulter l’obligation de reconstituer les
capitaux propres, éventuellement par une
opération licite de réduction à zéro du capital social, dite « coup
d’accordéon » (v. infra, Le coup d’accordéon).
Le
capital social, « cœur battant » de la société
Il en
ressort que le capital social, dont les fonctions théoriques sont bien connues
(sécuriser les créanciers sociaux, financer la société, tout au moins en
pratique à l’occasion d’augmentations du capital, répartir les droits sociaux
entre les associés), apparaît ici plutôt comme un repère d’alerte,
« figé » au bilan, aussi longtemps qu’il n’est pas modifié, à la
hausse ou à la baisse.
En
revanche, les capitaux propres fluctuent au gré de l’activité sociétaire et des
résultats obtenus : si les capitaux propres franchissent, à la baisse, le
repère d’alerte qu’est le montant du capital au bilan, apparaît la figure du
« capital social entamé ».
Dès
lors, il ne semble pas que le capital social mérite vraiment le qualificatif de
« cœur battant » de la société (selon l’expression de R. Mortier, Opérations
sur capital social, LexisNexis, 3e éd., 2023) car ce sont à
l’évidence les variations des capitaux propres qui forment ces battements de
cœur corrélés à l’activité sociétaire. En revanche, lors d’un
électrocardiogramme financier de la société, le capital social est le repère
d’alerte au-dessous duquel son « cœur battant » ne saurait descendre
sans danger pour la personne sociétaire, menacée d’une dissolution mortelle.
Jean-François Barbièri
Professeur des Universités
CDA (Toulouse – I) et CREOP (Limoges)
Avocat à la cour de Toulouse