INTERVIEW. La trajectoire des
comptes de la Sécurité sociale serait « hors de contrôle », selon le
rapport de la Cour des comptes publié le 26 mai, qui évalue le déficit à 15,3
milliards d’euros en 2024. Cette sonnette d’alarme est tirée pour appeler à une
réduction des dépenses, notamment sur le cumul emploi-retraite ou le recours à
l’intérim dans l’hôpital public. Néanmoins, pour Nathalie Coutinet, maître de
conférences et membre du collectif les Économistes Atterrés, la tendance des
dépenses est à la hausse. L’économiste appelle à un relèvement des cotisations
sociales pour financer la Sécu de manière égalitaire.
JSS : Comment
analysez-vous l’évolution budgétaire de la Sécurité sociale ?
N.C. : Je
ne suis pas sûre qu’elle soit « hors de contrôle ».
Le problème, c’est que les
dépenses de santé tendent à augmenter, pour différentes raisons. Le
vieillissement de la population joue, de manière marginale, sur cette
augmentation des dépenses. Mais aussi l’augmentation du coût des soins, en
raison d’améliorations technologiques de plus en plus coûteuses. Les
médicaments sont plus chers, les examens, de type IRM, sont plus chers, etc.
On a aussi une augmentation
des consultations médicales qui pèsent sur les dépenses de santé. On a un
ensemble de facteurs qui permettent d’expliquer cette augmentation des dépenses
de santé.
JSS : Est-ce davantage
dû à une recrudescence des dépenses de santé ou bien à un manque de recettes,
notamment via des exonérations de cotisations sociales auprès des entreprises ?
N.C. : C’est
sûr que si les dépenses augmentent et que les recettes n’augmentent pas, voire
diminuent, cela creuse bien évidemment le déficit. Il est évident que, compte
tenu de l’évolution prévisible de la population et des technologies médicales,
les dépenses de santé vont continuer à augmenter.
Il faut adapter les recettes,
sinon le déficit ne fera que s’accroître. Il y a besoin d’accroître les
recettes de la protection sociale, en particulier en santé. C’est là tout le
débat, toute la question politique qui est présente.
JSS : Il y a quelque
temps, la Drees soulignait un déficit record du côté de l’hôpital public en
2023, avec 2,4 milliards d’euros, estimant d’ailleurs que ce déficit serait
amené à s’aggraver. Comment l’expliquer ?
N.C. : Le
déficit des hôpitaux s’explique notamment par les mesures prises par le Ségur
de la santé. Il a été décidé une augmentation des personnels médicaux, par
exemple, qui était nécessaire d’ailleurs. Et c’est toujours le même principe.
Les dépenses augmentent. Les recettes n’augmentent pas, voire diminuent. Le
déficit s’accroît.
Il y a aussi le fait que,
pour pallier le manque de médecins ou de kinés, les hôpitaux recrutent des
intérimaires, qui coûtent bien plus cher que s’ils avaient des personnes en
poste. La crise de l’hôpital génère des dépenses supplémentaires par rapport à
une situation normale. Comme le reste, les recettes étant limitées depuis
plusieurs années, le déficit s’accroît.
JSS : Quelles mesures
seraient les plus adéquates pour résorber le déficit de la Sécurité sociale
tout en assurant un service public de la santé efficient ?
N.C. : C’est
vraiment une question politique. De mon point de vue, il faut accroître les
recettes, donc accroître les cotisations sociales. Pour d’autres, notamment le
Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie (HCAAM), il est préconisé
d’accroître le rôle des complémentaires santé. Ce qui, à mon sens, n’est pas la
bonne solution parce que les complémentaires santé sont inégalitaires.
Vous n’êtes pas aussi bien
couvert si vous êtes dans une grande entreprise ou dans une petite entreprise,
si vous êtes salarié du privé ou du public, si vous êtes précaire, étudiant.
Bref, il y a tout un ensemble d’inégalités qui émanent des complémentaires
santé car elles n’ont pas le rôle d’être solidaires.
Puis, cela fait aussi des
primes qui augmentent. On le voit récemment avec des primes d’assurance
complémentaire qui augmentent. Pour les ménages, vaut-il mieux avoir des
cotisations sociales qui sont faibles, qui n’augmentent pas, mais des primes
d’assurance complémentaires qui augmentent ? Ou est-ce qu’il vaut mieux avoir
des cotisations sociales qui augmentent, parce que c’est plus juste ?
Avec l’idée qu’en étant mieux
soignés ces dernières années, en espérant que ces progrès médicaux augmentent,
les dépenses de santé augmentent. Il est nécessaire d’avoir une vraie réflexion
sur la manière dont on finance cette augmentation des dépenses de santé, au
lieu de dire, comme le font les politiques depuis plusieurs années : « On va
les réduire », alors qu’on sait très bien que ce n’est pas possible.
Faire croire qu’on va réduire
les dépenses de santé est complètement illusoire. On peut, évidemment, mieux
les contrôler, éviter les abus. Il n’y a pas de souci avec ça. Mais
tendanciellement, elles ne peuvent pas diminuer. Par conséquent, il faut savoir
comment on les finance.
Propos
recueillis par Jonathan Baudoin