ÉCONOMIE

« Croire qu’on va réduire les dépenses de santé est complètement illusoire »

« Croire qu’on va réduire les dépenses de santé est complètement illusoire »
Publié le 02/06/2025 à 08:49

INTERVIEW. La trajectoire des comptes de la Sécurité sociale serait « hors de contrôle », selon le rapport de la Cour des comptes publié le 26 mai, qui évalue le déficit à 15,3 milliards d’euros en 2024. Cette sonnette d’alarme est tirée pour appeler à une réduction des dépenses, notamment sur le cumul emploi-retraite ou le recours à l’intérim dans l’hôpital public. Néanmoins, pour Nathalie Coutinet, maître de conférences et membre du collectif les Économistes Atterrés, la tendance des dépenses est à la hausse. L’économiste appelle à un relèvement des cotisations sociales pour financer la Sécu de manière égalitaire.

JSS : Comment analysez-vous l’évolution budgétaire de la Sécurité sociale ?

N.C. : Je ne suis pas sûre qu’elle soit « hors de contrôle ».

Le problème, c’est que les dépenses de santé tendent à augmenter, pour différentes raisons. Le vieillissement de la population joue, de manière marginale, sur cette augmentation des dépenses. Mais aussi l’augmentation du coût des soins, en raison d’améliorations technologiques de plus en plus coûteuses. Les médicaments sont plus chers, les examens, de type IRM, sont plus chers, etc.

On a aussi une augmentation des consultations médicales qui pèsent sur les dépenses de santé. On a un ensemble de facteurs qui permettent d’expliquer cette augmentation des dépenses de santé.

JSS : Est-ce davantage dû à une recrudescence des dépenses de santé ou bien à un manque de recettes, notamment via des exonérations de cotisations sociales auprès des entreprises ?

N.C. : C’est sûr que si les dépenses augmentent et que les recettes n’augmentent pas, voire diminuent, cela creuse bien évidemment le déficit. Il est évident que, compte tenu de l’évolution prévisible de la population et des technologies médicales, les dépenses de santé vont continuer à augmenter.

Il faut adapter les recettes, sinon le déficit ne fera que s’accroître. Il y a besoin d’accroître les recettes de la protection sociale, en particulier en santé. C’est là tout le débat, toute la question politique qui est présente.

JSS : Il y a quelque temps, la Drees soulignait un déficit record du côté de l’hôpital public en 2023, avec 2,4 milliards d’euros, estimant d’ailleurs que ce déficit serait amené à s’aggraver. Comment l’expliquer ?

N.C. : Le déficit des hôpitaux s’explique notamment par les mesures prises par le Ségur de la santé. Il a été décidé une augmentation des personnels médicaux, par exemple, qui était nécessaire d’ailleurs. Et c’est toujours le même principe. Les dépenses augmentent. Les recettes n’augmentent pas, voire diminuent. Le déficit s’accroît.

Il y a aussi le fait que, pour pallier le manque de médecins ou de kinés, les hôpitaux recrutent des intérimaires, qui coûtent bien plus cher que s’ils avaient des personnes en poste. La crise de l’hôpital génère des dépenses supplémentaires par rapport à une situation normale. Comme le reste, les recettes étant limitées depuis plusieurs années, le déficit s’accroît.

JSS : Quelles mesures seraient les plus adéquates pour résorber le déficit de la Sécurité sociale tout en assurant un service public de la santé efficient ?

N.C. : C’est vraiment une question politique. De mon point de vue, il faut accroître les recettes, donc accroître les cotisations sociales. Pour d’autres, notamment le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie (HCAAM), il est préconisé d’accroître le rôle des complémentaires santé. Ce qui, à mon sens, n’est pas la bonne solution parce que les complémentaires santé sont inégalitaires.

Vous n’êtes pas aussi bien couvert si vous êtes dans une grande entreprise ou dans une petite entreprise, si vous êtes salarié du privé ou du public, si vous êtes précaire, étudiant. Bref, il y a tout un ensemble d’inégalités qui émanent des complémentaires santé car elles n’ont pas le rôle d’être solidaires.

Puis, cela fait aussi des primes qui augmentent. On le voit récemment avec des primes d’assurance complémentaire qui augmentent. Pour les ménages, vaut-il mieux avoir des cotisations sociales qui sont faibles, qui n’augmentent pas, mais des primes d’assurance complémentaires qui augmentent ? Ou est-ce qu’il vaut mieux avoir des cotisations sociales qui augmentent, parce que c’est plus juste ?

Avec l’idée qu’en étant mieux soignés ces dernières années, en espérant que ces progrès médicaux augmentent, les dépenses de santé augmentent. Il est nécessaire d’avoir une vraie réflexion sur la manière dont on finance cette augmentation des dépenses de santé, au lieu de dire, comme le font les politiques depuis plusieurs années : « On va les réduire », alors qu’on sait très bien que ce n’est pas possible.

Faire croire qu’on va réduire les dépenses de santé est complètement illusoire. On peut, évidemment, mieux les contrôler, éviter les abus. Il n’y a pas de souci avec ça. Mais tendanciellement, elles ne peuvent pas diminuer. Par conséquent, il faut savoir comment on les finance.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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