CHRONIQUE. Le 13 janvier 2025 s’ouvrait,
à Paris, le procès en appel de neuf membres du groupuscule d’extrême droite des
« Barjols ». Le principal accusé, Jean-Pierre B., avait été condamné
en 2023 à quatre ans de prison, dont un an avec sursis, soupçonné d'avoir projeté d'assassiner le président de la République. Récit.
Novembre 2018,
Moselle. Trois membres d’un collectif aux orientations proches de l’extrême
droite, les Barjols, sont arrêtés. Dans la voiture du principal suspect,
Jean-Pierre B., les policiers avaient trouvé un couteau, et saisi, lors d’une perquisition,
d’autres armes à feu.
Avec un camarade, le prévenu venait de réaliser un long trajet,
laissant craindre à la DGSI, qui surveillait le groupuscule, une tentative
d'assassinat d'Emmanuel Macron - alors en déplacement dans l’Est de la France.
L’enquête avait ensuite abouti à l’identification d’un réseau, soupçonné de
préparer des projets d’actions violentes, notamment à l’encontre « de députés, de migrants, d’individus de
confession musulmane ou d’individus aisés », comme le précise le jugement rendu par le tribunal judiciaire
de Paris, le 17 février 2023. L’affaire avait été portée devant sa 16e
chambre correctionnelle.
Après plusieurs semaines d’audience, le procès des Barjols
connaissait une première conclusion : sur les treize prévenus, neuf étaient relaxés,
et quatre autres étaient condamnés à des peines assorties de sursis, à chaque
fois en dessous des réquisitions de la procureure. Pour des faits d’association
de malfaiteurs terroriste, trois d’entre eux avaient aussi été inscrits au
Fijait (Fichier des auteurs d’infractions terroristes). Un autre prévenu avait
été condamné à six mois de prison avec sursis pour détention, acquisition et
cession d’armes.
Le procès en appel
C’est la troisième journée de ce procès en appel, qui s’étale sur
deux semaines et demi. David G. est le seul des trois condamnés à s’être
présenté, Mickaël I. et Jean-Pierre B. sont absents. Condamné à trois ans de
prison dont deux avec sursis, David G. a – comme les autres condamnés - déjà
purgé sa peine en détention provisoire. Derrière les bancs remplis par les
avocats, plus nombreux que leurs clients, la salle d’audience est presque vide.
On note quand même la présence des députés LFI Raphaël Arnault et Thomas
Portes.
Les Barjols, c’est d’abord un groupe Facebook - qui a compté
jusqu’à près de 5 000 membres - aux publications d’extrême droite. Sept cadres
et élus du RN en ont été membres, comme l’a révélé le site Les
Jours. Le groupe est aussi
une association déclarée, avec des statuts déposés en préfecture. Plusieurs
réunions se sont tenues au long de l’année 2018. Le collectif est, semble-t-il,
bien organisé, si l’on en croit la juge qui évoque l’existence d’un
questionnaire : conçu pour les nouveaux adhérents, le document recueillait
des informations sur leurs capacités d’hébergement et leurs capacités de
déplacement. Mais aussi sur « leurs
compétences particulières, militaires, syndicalistes, en génie civil »… Et en
« jouets », un « mot
codé pour parler des armes », précise la magistrate.
« Le gouvernement enlève
les enfants »
Parmi les nombreux échanges électroniques recueillis, une
conversation retient l’attention de la juge. La discussion parle d’« aller jouer avec Macron », explique-t-elle,
faisant face à David G. qui se tient à la barre. En garde à vue, ce dernier a rapporté
les propos tenus lors des réunions des Barjols, poursuit la magistrate. Il y
était dit que « les immigrés
allaient attaquer la France, qu'on ne pourrait plus ouvrir les portes sans être
attaqués à la machette ». Mais aussi que « le gouvernement enlève les enfants ».
David G. a expliqué avoir pris peur à cause de ces « propos véhéments », qualifiant au passage Jean-Pierre B.
et Denis C. d’« illuminés ». Il
a aussi précisé aux policiers que Denis C., le fondateur du groupe, « fomentait le projet de s'en prendre à une
mosquée ou d’attaquer des raffineries ». Enfin, en ce qui
concerne les Barjols, David G. a raconté que lors de leurs réunions, les
membres « parlaient de tout ce
qu'ils pouvaient faire contre Emmanuel Macron et ses futures réformes »,
mais « sans jamais aborder la
question d'une action violente ».
Des échanges fourre-tout, parfois un peu contradictoires. Il a
aussi été question, poursuit la juge en lisant les pièces du dossier, de « faire des trucs de survie, ou d’aller dans
un centre de tir pour faire de l’airsoft ». Cela « n’intéresse pas » David C., qui
indique que Denis C., lui, avait le projet « de partir dans toute la France, de rencontrer des chefs et des généraux »,
tout en affirmant qu’« un quart
de l’armée était avec lui ».
Le projet rappelle celui de Delphine T., l’une des prévenues de la première
instance, dont la relaxe n’avait pas fait l’objet d’appel. Celle-ci s’était
vantée auprès de ses camarades de préparer un putsch avec l’aide de soldats
russes.
La procureure questionne David sur son éventuelle connaissance de
différents projets d’actions violentes :
« Vous avez dit que vous étiez au courant des projets contre
le président de la République, et également des projets de séquestration ou
d’enlèvement, pour extorquer des personnalités riches et leurs cartes
bancaires. Vous avez désigné Michaël I. comme celui qui connaît deux personnes
riches, à qui l’on pourrait prendre des cartes noires, des cartes à débit
illimité. Vous voyez, ce n’est pas des généralités, vous donnez des détails.
Vous avez indiqué que vous n’étiez pas d’accord avec ça, mais vous avez dit que
Jean-Pierre B. a indiqué que, pour être spectaculaire, il suffisait de se
débarrasser d’une seule personne, et faire peur à tous les politiciens. Vous
avez dit que vous n’avez pas entendu le mot « tuer », mais « s’en
prendre à la personne d’Emmanuel Macron ». Et ça aujourd’hui, vous ne le
soutenez plus ?
-
J’ai dit que le mot « débarrasser »
voulait dire démission. Je ne pensais pas que ça allait au-delà. Si j’avais su
ça, je les aurais mis dehors ! Et comme je l’ai toujours dit à la DGSI ou au
juge d’instruction : si j’avais vraiment su ça, j’aurais appelé la police
directement ! »
Barbecues, air soft et
imitation de groupes terroristes
Dans le programme de l’une des réunions, il était question
d’ateliers autour du secourisme, mais aussi de sessions de tir avec des
répliques airsoft. De quoi se demander si les « glock, uuzi et kalash »
évoqués dans certains messages découverts par les enquêteurs, se référaient
à des armes réelles, ou seulement à des répliques de celles-ci. Les membres du
groupe ont réalisé une vidéo dans laquelle ils apparaissent « cagoulés, en tenue militaire, avec des
répliques d’armes », mais aussi « des armes réelles, dont une grenade »,
précise la procureure. Le tout est accompagné d’un discours « des plus virulents », qui mentionne l’objectif de « stopper l’invasion migratoire ». Les magistrates décrivent
également cette image : devant la caméra, un drapeau européen se fait brûler.
Denis C. s’est justifié, expliquant que cela ne devait pas être publié, et
qu’il s’agissait seulement de « s’amuser ».
Survivalisme et recettes
d’explosifs
Denis C. a à nouveau l’occasion de s’expliquer. Quelques jours après
ces premiers échanges, c’est à son tour de passer à la barre. Le fondateur des
Barjols est accompagné de Nathalie C., membre active du groupe. Tous deux ont
été relaxés en première instance du chef d’accusation de participation à une
association de malfaiteurs terroriste, en élaborant des projets d’actions
violentes. Le tribunal les interroge sur les recettes d’explosifs qui ont été
trouvées au domicile de Denis C. :
« Monsieur C., quel était l’intérêt d’avoir des recettes
d’explosifs ?
- Ça me rassurait.
- En quoi ?
- Vous n’imaginez pas ce qui peut arriver, moi j’imagine.
- Qu’est-ce qui peut arriver ?
- Avec tout ce qui se passe, moi je pense qu’un jour ou l’autre, il
y aura des groupes armés.
- Madame C. disait que vous en avez essayé. N’est-ce pas madame ?
- Oui, je me rappelle qu’il avait essayé et que ça n’avait pas
marché, il nous a montré un bac noir qui ressemblait à un truc de vidange. »
Pour ce prévenu, c’est clair, « le dire et le faire, c’est autre chose ». On apprend au
passage que l’association, dont l’objet social vise « le bien-être » de ses membres, existe toujours d’un
point de vue administratif. Une des juges assesseures s’étonne :
« Monsieur, pourquoi est-ce que l’association n’est pas
radiée ?
- Il faut que j’aille à la préfecture, c’est une histoire de
négligence.
- Symboliquement, moi ça m’interpelle. Vous êtes toujours le
président des Barjols, groupe que vous avez fondé, et qui fait que plusieurs
personnes comparaissent pour association de malfaiteurs terroriste. Votre nom
est toujours associé à ça.
- Oui, je sais. »
Parmi les thèmes discutés avec les deux prévenus, l’usage
d’adresses sur le serveur mail Proton, connu pour sa confidentialité, le vol de
badges « police » ou encore la nature exacte de leurs entraînements « survivalistes ».
Il y a aussi des éléments concernant une balade près d’un bunker. L’explication ?
« Un exposé » sur la Seconde guerre mondiale réalisé par la
fille d’un des membres du groupe. Les projets sont peu avancés, mais le
contexte de leur préparation est fortement marqué par des propos et des idées
radicales.
Dans leurs questions aux prévenus auditionnés, les avocats dévoilent
une partie de leur stratégie de défense. Ils mettent notamment en avant la
dimension sociale des Barjols, dont les membres se retrouvaient autour de
moments récréatifs et alcoolisés, comme des barbecues.
Des arguments qui seront sans doute développés pendant les
plaidoiries. Elles auront lieu lors des derniers jours du procès jusqu'au 29
janvier.
Etienne Antelme