CHRONIQUE. En
décembre, Moustapha a été filmé par les caméras de vidéosurveillance du métro
en train de voler un téléphone dans la poche d’un voyageur. Devant l’évidence,
le prévenu ne nie pas les faits. Il supplie pour qu’on ne l’incarcère pas et
qu’on le laisse rentrer en Algérie.
Le président,
ravi, glousse : « Ce n’est pas souvent qu’on a ça, les captures d’écran sont
très claires ! » Elles montrent Moustapha, un Algérien de 37 ans,
mettre la main dans la poche extérieure d’une veste portée par Arnaud, au pied
d’un escalator de la station de métro La Motte Piquet Grenelle. C’est un IPhone
15 de couleur bleue, rempli de numéros de personnalités, ce qui rend Arnaud
inquiet. Il active sa montre connectée et localise son téléphone à Bobigny. Il
prévient la police.
La vidéo
surveillance (dernier cri, donc) de la RATP est exploitée par les enquêteurs,
qui suivent le parcours de Moustapha dans les méandres du métro parisien.
Rambuteau, Les Halles, Montparnasse, La motte piquet : il a repéré Arnaud,
qu’il suit à la trace. « On a une autre vidéo, l’abondance ne nuit pas
! » se réjouit le président. Cela permet d’observer l’acte de
soustraction du bien de la victime sous un autre angle.
Moustapha est
interpellé très vite à une station de métro, nie en garde à vue, puis comparaît
devant cette chambre, la 23-2 (23e chambre, section 2), qui le juge
en comparution immédiate ce mercredi. Il est connu des services sous plusieurs
Alias - pour des vols dans les transports en commun, justement. « Alors,
Monsieur, on ne va pas y passer la nuit : vous l’avez volé, ce téléphone ?
-
Oui,
c’est la vérité.
-
Si je
pose la question, c’est qu’au commissariat c’était ‘non, circulez y’a rien à
voir’.
-
J’étais
stressé, c’est pour ça que j’ai menti.
-
Quand
même, entre trois vidéos et la téléphonie… Monsieur, pourquoi vous volez ?
-
Je
voulais l’emmener avec moi au pays.
-
Mais il
est où, le téléphone ?
-
Je l’ai
donné à quelqu’un pour qu’il le vende en pièces détachées.
-
C’est
donc pour ça qu’on ne l’a pas trouvé.
-
J’avais
besoin d’argent, et je ne sais pas ce qui m’a pris, le diable m’a traversé.
- On voit que vous arpentez régulièrement le
métro parisien ; il va falloir qu’on vous exorcise. »
« Je
vais aller directement au bled ! »
Le président
agite une liasse : « Le casier de Monsieur O. : deux condamnations…
sous votre vrai nom. Monsieur, on pourrait comprendre que vous ne faisiez
que ça.
- Je peux comprendre que vous le compreniez.
Moi, j’ai décidé de rentrer chez moi. » Moustapha se met à sangloter.
« Bah écoutez, rentrez chez vous, qu’est-ce que vous voulez que je
vous dise ? Mais quand vous êtes là, ne volez pas.
- J’ai demandé à rentrer mais je n’ai pas eu de
réponse de l’administration »,
se plaint-il.
En France depuis 2013, Moustapha prend du Diazépam (un anxiolytique puissant
et hautement addictif de la famille des benzodiazépines), qu’il achète au
marché noir. Il fume du cannabis quotidiennement. Le prévenu insiste : « Je
veux juste que, du tribunal vous m’emmeniez à l’aéroport, j’ai mon billet. Je
vais aller directement au bled !
- Bon écoutez, stop ! » s’agace le président.
La tâche du procureur
est aisée : « Les faits sont reconnus, son palmarès ne laissait planer
aucun doute sur sa responsabilité. » Il veut 10 mois d’emprisonnement.
« Il souhaite absolument rentrer en Algérie ? Qu’il le fasse. Est-ce
que vous placez Monsieur sous mandat de dépôt ? Il le mérite. » Il a
une autre idée : « Ou alors, vous le laissez libre pour qu’il rentre
demain, et vous faites économiser 130 euros par jour au contribuable français ! »
- 130 euros est le coût journalier estimé pour un détenu.
En peine
complémentaire, il demande une interdiction définitive du territoire : « Il
n’a rien à faire ici et, de toute façon, il veut rentrer. » La défense
est sur la même ligne : « Il a son billet pour demain, 20h30. »
A l’argument économique, il ajoute l’argument humaniste : son client a commis
une atteinte aux biens, et est dans un état de grande précarité. A quel
argument le tribunal a-t-il été sensible ? Moustapha a écopé de 8 mois de
prison sans mandat de dépôt, et devrait pouvoir attraper son avion.
Julien Mucchielli