A
Magnanville, la construction d’une maison d’arrêt de 700 places d’ici 2028
suscite toujours l’ire des habitants et des élus de la commune. Quelques jours
après une manifestation organisée contre le projet qui a rassemblé près de 300
habitants, le JSS a rencontré son
maire, Michel Lebouc (DVG). Un grand débat public se tiendra le 31 mai
prochain.
Depuis le lancement du
projet, Michel Lebouc est dans l’incompréhension totale : « Pourquoi Magnanville ? Je me pose
encore la question. C’est un mystère. La commune est très loin de rentrer dans
le cahier des charges de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice [Apij] ». Le maire
de la petite commune des Yvelines s’oppose farouchement à l’installation sur
son territoire d’ici quatre ans d’une maison d’arrêt de 700 places. Enclenché en
2021, le projet est de plus en plus contesté depuis que la Chancellerie a
décidé, en février dernier, de sa construction à proximité d’habitations.
Le conseil communautaire de
la communauté urbaine Grand Paris Seine-et-Oise s’est opposé, le 8 février, à
une large majorité au projet, de même qu’une partie des riverains regroupés
dans l’association Tous mobilisés contre la prison à Magnanville. Le 15 mars,
ils étaient près de 300 à défiler dans les rues de la ville selon Le Parisien, avec le soutien d’élus de
la région tels que le maire Renaissance de la commune voisine de Mantes-le-Ville,
Sami Damergy, ou bien la sénatrice EELV, Ghislaine Senée.
Prochaine étape de cette
opposition : l’organisation d’un grand débat public au sein de la ville,
le 31 mai au soir. L’événement
réunira des élus, des parlementaires - pour ou contre la construction de la
prison - des partis politiques, des associations, des directions du ministère
de l’Education nationale et des journalistes. En attendant cette prochaine
étape du bras de fer avec l’Etat, Michel Lebouc ne décolère pas.
Un
territoire déjà en difficulté
Pour l’élu local, rien ne va
dans ce projet de construction. Le responsable explique d’abord qu’il aurait
fallu, en premier lieu, tenir compte de la proximité du tribunal qui se situe à
Versailles. Or, Magnanville est à environ 40 à 50 minutes en voiture de
celui-ci. Le maire regrette ensuite que la construction de la prison ait été
prévue sur environ 15 hectares de terres agricoles cultivées.
Il égraine ainsi
des problématiques liées à la mobilité, aux nuisances sonores et visuelles, au ruissellement
et à l’assainissement des eaux, etc. « Le
ministre de la Justice assure que les prisons modernes ne font pas de bruit et n’ont
pas d’impact visuel. Il faudra qu’il m’explique ceci », ironise le
maire avant d’annoncer que le bâtiment fera environ 20 mètres de haut et que
tous les jours, une cinquantaine de véhicules emmèneront les
prisonniers au tribunal. Du côté du ministère de la Justice, on estime qu’il
est « compliqué aujourd’hui de faire une
estimation des extractions qui auront lieu de cet établissement étant donné
qu’il existe des possibilités de visio-conférence et que ces extractions ne se
feront pas aux heures de bureau. »
Michel Lebouc est aussi extrêmement inquiet quant à l’impact de ce
projet sur la sécurité de ses administrés. « La
prison sera construite à 150 mètres d’un des plus gros lycées du Mantois et d’habitations,
et à 300 mètres d’un autre lycée agricole privé. Si le projet se concrétise, beaucoup
de parents vont cesser de scolariser leurs enfants dans ces deux lycées. La
maison d’arrêt va forcément faire venir les familles ou amis des détenus, ce
qui va engendrer des problèmes de drogues et le passage de matériels illicites »,
prédit Michel Lebouc. Et le maire de rappeler que sa commune porte encore les
stigmates de la tuerie djihadiste de juin 2016 qui a coûté la vie à deux
policiers. « Le territoire du
Mantois est donc déjà très fragilisé », estime l’élu.
Le ministère de la Justice affirme au contraire qu’avec
une prison à proximité, les problématiques de délinquance seront bien moindres : « Le fait qu’un nouvel établissement
s’implante, cela entraine une présence accrue des forces de l’ordre, puisque
nous allons avoir à proximité de l’établissement des rondes de police ou de
gendarmerie. Rappelons également que l’administration pénitentiaire a elle
aussi ses propres brigades, les équipes locales de sécurité pénitentiaire qui
ont la possibilité d’intervenir aux abords de l’établissement. Elles peuvent
faire de la sécurité périmétrique. »
Quant aux éventuels risques
d’insécurité liés aux allées et venues des familles et amis des détenus, le
ministère répond : « C’est une
maison d’arrêt. Les personnes qui s’y rendent sont celles qui y travaillent,
les surveillants, les gradés, les avocats et aussi les familles. Mais celles-ci
ne se présentent pas à l’improviste. Elles doivent obtenir un permis de visite
étudié par l’administration pénitentiaire. Les gens ne peuvent se présenter à
un établissement qu’après y avoir été dûment autorisés. »
Quoi qu’il en soit, pour Michel Lebouc, le fort taux de chômage (13,4% à
Magnanville en 2020 selon l’Insee, contre 8% sur le territoire national), la proximité
de la cité du Val Fourré, l’un des épicentres de l’embrasement social après la
mort du jeune Nahel en juillet dernier, ainsi que la désindustrialisation du
territoire n’arrangent rien. Le maire craint en plus qu’à cause des Jeux
olympiques, Paris déplace les migrants de la capitale vers son
territoire : « Deux de mes
hôtels en accueillent déjà. Je ne suis pas contre cette gestion sociale, mais
nous n’avons pas les moyens. Or, c’est toujours celui qui décide qui ne paie
pas. Je ne souhaite pas que nous soyons la poubelle de Paris ! »,
s’emporte-t-il.
Un contexte de surpopulation
carcérale
Mais pourquoi tant de bruit maintenant pour un projet mis sur les rails il
y a trois ans ? Lors de l’annonce de la construction en 2021, le garde des
Sceaux a affirmé dans un communiqué que l’enjeu du « renforcement
de l’offre pénitentiaire [visant] à répondre au besoin accru de places
nettes dans une région particulièrement touchée par la surpopulation carcérale […] a été compris par le maire et les élus de la commune de
Magnanville ». Or, il n’en est rien pour
l’édile. Si le maire n’est pas « contre la construction de places de prison
supplémentaires », il indique avoir proposé quatre sites alternatifs qui correspondent au
cahier des charges de l’Apij, sur des friches industrielles isolées, proches de
l’autoroute et du commissariat de Mantes-la-Jolie.
Cependant, ces propositions ont été « balayées d’un revers de main » par l’Etat, qui trouverait un
problème à ce que ces sites soient en surplomb. « Je vois mal des
personnes s’arrêter sur l’autoroute de l’Ouest pour prendre des photos de la
prison », soupire l’élu. Le dernier document d’étude du ministère mentionnerait
pourtant « plus de 50 sites étudiés ».
La preuve que l’Etat ne navigue pas à l’aveugle ? Michel Lebouc est
dubitatif : « Je ne sais pas quand
ils l’ont fait, car j’ai moi-même participé à tous les comités de pilotage
réunissant les parlementaires, les élus, l’Etat et l’Apij. »
Pour le maire de Magnanville, Michel Lebouc, le choix de sa commune pour construire une maison d'arrêt de 700 places est un « mystère »
Le ministère de la Justice justifie
lui une nouvelle fois un choix d’emplacement basé « sur des critères
objectifs qui relèvent de la logique et du bon sens ». « Il y a d’abord le critère de la superficie,
explique le représentant du ministère. Pour
un établissement de plus de 700 places, le terrain doit faire entre 15 et 20
hectares. Ce terrain doit aussi répondre à des critères en termes de forme. Il
ne doit pas être biscornu. Il faut une certaine largeur minimale pour les
côtés. Le terrain doit être plat sans dénivelé et il ne faut pas non plus qu’il
y ait d’aplomb. Si vous avez de l’aplomb, il y a un risque de sécurité, une vue
directe sur l’établissement, un risque de projections. L’emplacement doit aussi
répondre à des critères en termes de dessertes. Il doit être accessible en
transports en commun, à proximité des établissements publics comme un tribunal,
des commissariats, des gendarmeries. Il faut aussi que l’emplacement permette
un raccordement au réseau d’eau et d’électricité et d’assainissement. Enfin, il
doit respecter le Schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF). »
En outre, la Chancellerie affirme
que l’Apij a étudié une trentaine de sites alternatifs – et non pas 50 –, dont
une dizaine proposée par les associations et les élus : « Toutes les propositions ont été
étudiées par l’Apij en considération des critères précédemment cités. Nous
sommes arrivés à deux sites sur Magnanville qui ont été étudiés en particulier.
Un premier site était éloigné du secteur urbanisé, mais il se trouvait au
milieu d’une zone agricole et, surtout, n’était pas compatible avec le SDRIF. Le
site qui a été retenu l’est. Il est en continuité avec l’espace urbanisé de la
commune et il évite de morceler les terres agricoles. »
« Ils
n’en ont rien à faire de l’avis des populations »
Quid du mécontentement de la
population locale ? « Le président
de la République ne cesse de marteler qu’il faut travailler avec les élus de
proximité. Or, travailler veut dire aussi les écouter, estime Michel Lebouc, pour qui la
question démocratique est centrale dans ce dossier. La construction d’une prison ne peut donc se décider sans leur
aval et celui de la population ». La loi oblige l’Etat à organiser une concertation
publique portant sur ce projet de prison, mais le maire précise que celle-ci
aura lieu « au moment où tout le
monde est en congés, entre mi-juin et fin juillet, ce qui signifie qu’ils n’en
ont rien à faire de l’avis des populations ».
Le ministère de la Justice confirme
au JSS que sa décision est
d’ores-et-déjà prise et que la concertation publique portera sur la mise en
œuvre du projet : « En termes
de concertation des riverains et des élus, maintenant que le site a été choisi,
à chaque étape, nous allons réfléchir à l’intégration de ce projet à
l’environnement direct. Puisque ce site est dans la continuité de l’espace
urbanisé, nous allons travailler sur la zone qui
sépare les murs d’enceintes des bâtiments où les détenus sont hébergés. Nous
allons pouvoir jouer sur cette distance, sur la localisation et l’implantation
des bâtiments administratifs et du parking, par exemple. Il va y avoir du
traitement paysager. L’objectif est de faire en sorte que cet établissement
soit intégré le mieux possible à son environnement. Tout cela sera fait en lien
avec les élus et les riverains et les associations. »
Malgré l’inflexibilité apparente du ministère de la Justice, Michel
Lebouc garde l’espoir d’être entendu. « Mon action porte sur deux axes, le recours démocratique et le recours
juridique. » Pour le premier point, il s’agit pour l’élu de démontrer
les conséquences néfastes du projet sur le territoire et ainsi de rassembler le
plus de personnes possibles, au-delà des Magnanvillois. D’où l’organisation du
grand débat fin mai pour alerter l’opinion. Côté juridique, le maire envisage
de travailler en collaboration avec un ou deux cabinets d’avocats afin de
« faire revenir l’Etat à la raison ».
L’édile n’entend donc pas baisser les bras : « J’ai été élu pour défendre les intérêts individuels et collectifs
de mes administrés », martèle-t-il. Le maire a ainsi récemment refusé
d’afficher des arrêtés officiels, ce qui est contraire à la loi : « Je n’ai pas à les afficher étant donné que
ce n’est pas un projet porté par la municipalité », assume-t-il. La
bataille ne fait que commencer.
Maria-Angélica Bailly