CHRONIQUE. Au
tribunal de proximité de Juvisy, un homme occupe illégalement une propriété. Il
plaide la bonne foi, tandis que le propriétaire demande son expulsion des
lieux. Décision le 7 août.
Le tribunal
est au premier étage d’un immeuble de quatre étages, au-dessus d’un Auchan au
rideau métallique tiré. Un papier collé sur la vitre d’une porte indique « accès
par l’escalier », un escalier situé sur le côté, qui amène sur un pallier
où patiente un agent de sécurité en noir et blanc. Il porte un chapeau de
paille et mange une glace dans le seul petit carré d’ombre épargné par
l’écrasant soleil de juin. On entre, une salle - qui ressemble à une salle de
classe - toutes fenêtres ouvertes, accueille l’unique audience du contentieux
et de la protection qui aura lieu cette semaine. Une affaire est en cours.
Penché en
avant, l’homme en short serré et hoodie rose pâle feuillette
nerveusement un paquet de feuilles sur le bureau du tribunal. Il en sort une
photo qu’il met sous le nez de son adversaire : « Vous voulez que je
vous montre les défauts de la piscine ?
- Vous voulez que je vous montre le liner ? » répond une femme énervée.
La juge tempère : l’audience est renvoyée au 12 janvier, le temps que Madame
produise les pièces étayant ce qu’elle avance - des malfaçons qu’elle impute à
l’homme (dont la nuque très rouge démontre qu’il passe trop de temps au
soleil), qui part en premier en soufflant par le nez. La femme note la date et
proclame qu’elle va de ce pas contacter un huissier.
13h49,
l’audience du matin est terminée. 13h51, l’audience de l’après-midi débute. Un
jeune homme en t-shirt blanc prénommé Malek demande le renvoi, sur conseil de
son avocat occupé dans un tribunal de Normandie. « Je m’y oppose
formellement ! » dit en riant l’avocat de l’autre partie (absente).
« Je viens de Paris, c’est-à-dire de loin, je n’avais pas que ça à
faire.
-
Sinon je
laisse tomber, propose Malek.
-
Vous
renoncez à votre demande de renvoi ? lui demande la présidente.
- Je renonce. »
La juge donne la parole à l’avocat : ses clients, les consorts M., ont
acheté la maison le 27 mars, ils ne peuvent en jouir à cause de la présence de
Monsieur. Ils ont un enfant de deux ans et demi et sont obligés de vivre chez
des amis, à droite et à gauche, la situation est très difficile. C’est le
projet d’une vie pour eux !
Un homme s’est fait passer pour le propriétaire
L’occupation de la maison par Malek et sa famille a été constatée par
commissaire de justice. Il a aussi noté qu’un garage automobile avait été
installé dans le jardin.
La juge donne
la parole à Malek : « Alors Monsieur, expliquez-moi. »
« J’ai
été victime d’une escroquerie », dit-il d’une voix plaintive. Auto-entrepreneur
en rénovation et nettoyage, il a été mandaté par un homme s’étant fait passer
pour le propriétaire. Il a passé deux mois à faire nettoyer et refaire la
maison, a même procédé à des visites avec de potentiels acquéreurs. En fait, le
véritable propriétaire est décédé trois ans auparavant, la maison a été léguée
aux Apprentis d’Auteuil, et elle a été vendue.
Aujourd’hui,
Malek a beaucoup investi mais n’a perçu aucune rémunération. Il squatte parce
qu’il n’a pas le choix : il a une femme sans emploi et, lui aussi, un enfant en
bas âge. Son statut d’auto-entrepreneur l’empêche de trouver un logement en
location, sa demande de logement social n’a pas obtenu de réponse. Le garage
dans le jardin ? Il répare et revend des voitures. C’est son travail
(officiel).
La juge lui
demande ce qu’il veut : « Je sais que j’occupe la maison illégalement
dans cette maison, mais j’ai tout refait dedans.
-
Mais
Monsieur M. n’y est pour rien, il n’a rien demandé.
-
Je sais.
J’ai porté plainte au commissariat de Juvisy, mais ça n’a rien donné.
-
Quelles
sont vos demandes ?
- Du temps. Pour quitter les lieux. »
Outre un
enfant de 16 mois, il entretien la femme et l’enfant de son frère, qui est
« parti » - on devine une situation de violences conjugales.
« Combien
de temps ?
- Vous savez, c’est dur de trouver une maison.
Deux mois ? Trois mois ? Si je trouve la semaine prochaine, je bouge la semaine
prochaine. »
L’avocat des
consorts M. s’approche : « Je comprends la situation de Monsieur, mais
c’est pas à mon client de vous payer le loyer.
? Moi, je suis pas contre payer un loyer. Y’a
pas de souci. »
La question
cruciale arrive : quand la décision sera-t-elle rendue ? « Avant
les vacances », supplie l’avocat. « C’est un peu difficile. Ce
sera le 7 août. » L’avocat grimace et d’adresse à Malek : « Vous
avez compris la situation, si d’ici là vous trouvez une solution … Vous avez
l’air de bonne foi. » Puis il quitte les lieux en saluant la juge.
Julien Mucchielli