Le désormais ex-tribunal de
commerce de Nanterre expérimente depuis le 1er janvier 2025 le tribunal des
activités économiques et voit sa compétence élargie. Une « mue » au
cœur de l’audience solennelle de rentrée du tribunal qui s’est tenue vendredi
24 janvier.
« Cette démarche
d'expérimenter avant de généraliser l'application d'un texte n'est pas
habituelle, et constitue une perspective enthousiasmante ! »
Le sujet était tout trouvé, lors de l’audience solennelle de rentrée du
tribunal de commerce de Nanterre, le 24 janvier. Celui, bien sûr, de l’expérimentation,
par la juridiction, et depuis le 1er janvier, du tribunal des
activités économiques. Instaurés par la loi d'orientation et de programmation
du ministère de la Justice 2023-2027, des « TAE » compétents pour
connaître de toutes les procédures amiables et collectives, à l'exception de
celles concernant les professions libérales réglementées en droit, viennent en
effet remplacer plusieurs tribunaux de commerce - 12 au total.
« Il ne s'agit pas
seulement d'une nouvelle appellation, des changements en découlent, a
immédiatement indiqué la présidente du tribunal, Catherine Drévillon, face
aux professionnels de la justice altoséquanaise. Mais une chose ne
changera pas. Nous allons poursuivre notre activité juridictionnelle en nous
appuyant sur deux piliers essentiels : la déontologie et la formation ».
À ce titre, la présidente a assuré que le tribunal poursuivrait ses efforts de
formation « pour bien rendre la justice, avec des décisions motivées et
compréhensibles », grâce à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM),
mais aussi en interne et en collaboration avec le TAE de Versailles.
De la « pédagogie »
pour l’entrée en vigueur de la CJE
Autre volet majeur de la
réforme TAE présent dans les esprits à cette audience de rentrée : la création
d'une contribution pour la justice économique (CJE) dont les modalités ont été
précisées par un décret publié le 31 décembre 2024, veille de son entrée en
vigueur. « Nous ne contestons pas le principe même de cette
contribution » a insisté Catherine Drévillon, avant de se faire l’écho
des vives critiques qu’elle suscite.
« Nous pensions que
la justice commerciale bénéficierait d'au moins quelques miettes. Cette
contribution POUR la justice commerciale est en réalité une contribution DE la
justice commerciale au budget de l'État. Nous sommes convaincus que la CJE
aurait été mieux admise par tous, à commencer par les justiciables concernés,
si elle avait été affectée au budget de la justice, misérable comparé à nos
voisins européens ».
Dans l'immédiat, le tribunal
fera « des efforts de pédagogie pour expliquer cette contribution qui
ne concerne que les 12 TAE et les entreprises de plus de 250 salariés »,
a assuré la présidente. Avant d’envoyer un message rassurant aux avocats : « Dans
les prochains mois, les juges seront preuves de flexibilité, et
l'irrecevabilité ne sera pas prononcée à la première audience si la
contribution n'est pas encore réglée. »
2025 : Open-data et IA
En 2025, le TAE connaîtra
aussi la mise en œuvre de l'open data, c'est-à-dire la mise à disposition
publique de toutes les décisions rendues par l'ensemble des juridictions. Avec
un sujet : celui d'anonymisation des décisions. « Un texte fixe déjà
les règles, avec un niveau standard d'occultation des informations, et des
options supplémentaires ouvertes aux juges sous certaines conditions. Un groupe
de trois juges s'est emparé du sujet pour réfléchir à une ligne de conduite au
tribunal », a détaillé Catherine Drévillon. A ce stade, la présidence
regrette que l'occultation du nom des juges et greffiers ne soit pas
prévue.
« Nous savons
que cet open data va permettre, via l'intelligence artificielle, de traiter et
d'analyser les masses de données ainsi accessibles. Il n'y a qu'un pas pour
voir apparaître un outil de prédiction des décisions », a par ailleurs
alerté la présidente. « Pour nous les juges, l'intelligence
artificielle pourrait aussi être une aide précieuse de synthèse, de recherche,
d'assistance dans le traitement de masse de certains contentieux. Le sujet est
passionnant et sensible. Il nous faut y réfléchir sans délai, collectivement et
bien au-delà des seules juridictions commerciales ».
Le tribunal face aux tensions
de trésorerie des entreprises
L’audience de rentrée a aussi
été l’occasion de revenir sur l’activité soutenue du tribunal en 2024, déjà
observée l’année dernière. Le nombre d'affaires nouvelles a progressé de 8 % à
2 670 en 2024. Avec une durée moyenne de traitement des affaires de 10,1 mois, « délai
qui est même en légère amélioration », a affirmé la présidente.
Les injonctions de payer, qui
avaient connu une hausse inédite depuis 2022, pour atteindre 10 000 ordonnances
rendues en 2023, en raison d'un contentieux très spécifique entre des
garagistes, poseurs de pare-brise, et des assureurs se sont taries en 2024. « Pour
autant, le nombre de requêtes en injonctions de payer représente encore 9 610
ordonnances rendues l'année passée. C'est aussi un signe de tension de
trésorerie des entreprises », a prévenu Catherine Dévrillon.
Les procédures collectives
ont doublé en deux ans
Pour sa part, le ministère
public a relevé la très forte hausse du nombre d'ouverture de procédures
collectives pour la quatrième année consécutive : + 31 % par rapport à l’année
2023, soit 1 404 procédures, ce qui représente un quasi-doublement depuis
2022.
Si le nombre des procédures
collectives ouvertes en France a atteint un triste record en 2024 à plus de 67
000, le tribunal de commerce de Nanterre n’a « pas eu à déplorer une
tendance aussi forte », a tempéré la présidente. Le nombre de
procédures de sauvegarde est passé de 20 à 28 entre 2023 et 2024 et les
redressements judiciaires de 188 à 200, “chiffre à peine plus élevé qu'en
2019, année de référence avant la crise”.
Quant à la hausse de plus de
30% des liquidations judiciaires (915 en 2023 contre 1206 en 2024), « elles
ne concernent que de toutes petites entreprises. Certaines de ces sociétés
n'ont même plus d'existence effective », explique encore Catherine
Dévrillon. Dans ce contexte, le ministère public assure cependant qu’il
demeurera vigilant face à l’accroissement des compétences du tribunal et à « l'augmentation
de la charge juridictionnelle immanquablement induite ». Selon les
estimations, la juridiction devrait traiter 60 à 80 dossiers de plus par an du
fait de ses nouvelles compétences.
Atos, Medicham, Clinadan :
les dossiers marquants de 2024
Parmi les affaires traitées
en procédure collective en 2024, « pas de dossiers significatifs »
mais des affaires « qui gagnent en complexité et en technicité
juridique », a estimé la présidente. Le ministère public retient quand
même le médiatique dossier du groupe informatique Atos, « hors normes
au regard des enjeux sociaux et de souveraineté nationale attachés à une
activité stratégique ». Ainsi que l’affaire Medicham, réseau
d’établissements médicalisés et d’Ehpad, à cause « des cessions
particulièrement complexes de ces activités sensibles ».
La présidente retient quant à
elle l’affaire des centres dentaires Clinadan, iconique des nouvelles
prérogatives du tribunal des affaires économiques. Selon un schéma qui se
retrouve maintenant très souvent dans le domaine médical et paramédical, ces
centres sont exploités sous forme associative et sont liés à des sociétés commerciales.
Dans ce dossier, les sociétés ont demandé l'ouverture d'une procédure
collective devant le tribunal de commerce de Nanterre, alors que les
associations ont saisi le tribunal judiciaire.
« Cette situation ne
se produirait pas en 2025, car en devenant TAE, notre tribunal devient
compétent pour le traitement des difficultés des entreprises quelles que soient
leurs formes ; et les associations auraient pu directement nous saisir des
demandes d'ouverture de procédure ».
Delphine
Schiltz