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(92) 2025, « année charnière » pour le tout nouveau TAE de Nanterre

(92) 2025, « année charnière » pour le tout nouveau TAE de Nanterre
Publié le 24/01/2025 à 20:47

Le désormais ex-tribunal de commerce de Nanterre expérimente depuis le 1er janvier 2025 le tribunal des activités économiques et voit sa compétence élargie. Une « mue » au cœur de l’audience solennelle de rentrée du tribunal qui s’est tenue vendredi 24 janvier.  

« Cette démarche d'expérimenter avant de généraliser l'application d'un texte n'est pas habituelle, et constitue une perspective enthousiasmante ! » Le sujet était tout trouvé, lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de commerce de Nanterre, le 24 janvier. Celui, bien sûr, de l’expérimentation, par la juridiction, et depuis le 1er janvier, du tribunal des activités économiques. Instaurés par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, des « TAE » compétents pour connaître de toutes les procédures amiables et collectives, à l'exception de celles concernant les professions libérales réglementées en droit, viennent en effet remplacer plusieurs tribunaux de commerce - 12 au total.

« Il ne s'agit pas seulement d'une nouvelle appellation, des changements en découlent, a immédiatement indiqué la présidente du tribunal, Catherine Drévillon, face aux professionnels de la justice altoséquanaise. Mais une chose ne changera pas. Nous allons poursuivre notre activité juridictionnelle en nous appuyant sur deux piliers essentiels : la déontologie et la formation ». À ce titre, la présidente a assuré que le tribunal poursuivrait ses efforts de formation « pour bien rendre la justice, avec des décisions motivées et compréhensibles », grâce à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), mais aussi en interne et en collaboration avec le TAE de Versailles.  

De la « pédagogie » pour l’entrée en vigueur de la CJE 

Autre volet majeur de la réforme TAE présent dans les esprits à cette audience de rentrée : la création d'une contribution pour la justice économique (CJE) dont les modalités ont été précisées par un décret publié le 31 décembre 2024, veille de son entrée en vigueur. « Nous ne contestons pas le principe même de cette contribution » a insisté Catherine Drévillon, avant de se faire l’écho des vives critiques qu’elle suscite.  

« Nous pensions que la justice commerciale bénéficierait d'au moins quelques miettes. Cette contribution POUR la justice commerciale est en réalité une contribution DE la justice commerciale au budget de l'État. Nous sommes convaincus que la CJE aurait été mieux admise par tous, à commencer par les justiciables concernés, si elle avait été affectée au budget de la justice, misérable comparé à nos voisins européens ».  

Dans l'immédiat, le tribunal fera « des efforts de pédagogie pour expliquer cette contribution qui ne concerne que les 12 TAE et les entreprises de plus de 250 salariés », a assuré la présidente. Avant d’envoyer un message rassurant aux avocats : « Dans les prochains mois, les juges seront preuves de flexibilité, et l'irrecevabilité ne sera pas prononcée à la première audience si la contribution n'est pas encore réglée. »

2025 : Open-data et IA 

En 2025, le TAE connaîtra aussi la mise en œuvre de l'open data, c'est-à-dire la mise à disposition publique de toutes les décisions rendues par l'ensemble des juridictions. Avec un sujet : celui d'anonymisation des décisions. « Un texte fixe déjà les règles, avec un niveau standard d'occultation des informations, et des options supplémentaires ouvertes aux juges sous certaines conditions. Un groupe de trois juges s'est emparé du sujet pour réfléchir à une ligne de conduite au tribunal », a détaillé Catherine Drévillon. A ce stade, la présidence regrette que l'occultation du nom des juges et greffiers ne soit pas prévue.  

 « Nous savons que cet open data va permettre, via l'intelligence artificielle, de traiter et d'analyser les masses de données ainsi accessibles. Il n'y a qu'un pas pour voir apparaître un outil de prédiction des décisions », a par ailleurs alerté la présidente. « Pour nous les juges, l'intelligence artificielle pourrait aussi être une aide précieuse de synthèse, de recherche, d'assistance dans le traitement de masse de certains contentieux. Le sujet est passionnant et sensible. Il nous faut y réfléchir sans délai, collectivement et bien au-delà des seules juridictions commerciales ». 

Le tribunal face aux tensions de trésorerie des entreprises 

L’audience de rentrée a aussi été l’occasion de revenir sur l’activité soutenue du tribunal en 2024, déjà observée l’année dernière. Le nombre d'affaires nouvelles a progressé de 8 % à 2 670 en 2024. Avec une durée moyenne de traitement des affaires de 10,1 mois, « délai qui est même en légère amélioration », a affirmé la présidente.  

Les injonctions de payer, qui avaient connu une hausse inédite depuis 2022, pour atteindre 10 000 ordonnances rendues en 2023, en raison d'un contentieux très spécifique entre des garagistes, poseurs de pare-brise, et des assureurs se sont taries en 2024. « Pour autant, le nombre de requêtes en injonctions de payer représente encore 9 610 ordonnances rendues l'année passée. C'est aussi un signe de tension de trésorerie des entreprises », a prévenu Catherine Dévrillon.  

Les procédures collectives ont doublé en deux ans 

Pour sa part, le ministère public a relevé la très forte hausse du nombre d'ouverture de procédures collectives pour la quatrième année consécutive : + 31 % par rapport à l’année 2023, soit 1 404 procédures, ce qui représente un quasi-doublement depuis 2022.  

Si le nombre des procédures collectives ouvertes en France a atteint un triste record en 2024 à plus de 67 000, le tribunal de commerce de Nanterre n’a « pas eu à déplorer une tendance aussi forte », a tempéré la présidente. Le nombre de procédures de sauvegarde est passé de 20 à 28 entre 2023 et 2024 et les redressements judiciaires de 188 à 200, “chiffre à peine plus élevé qu'en 2019, année de référence avant la crise”.  

Quant à la hausse de plus de 30% des liquidations judiciaires (915 en 2023 contre 1206 en 2024), « elles ne concernent que de toutes petites entreprises. Certaines de ces sociétés n'ont même plus d'existence effective », explique encore Catherine Dévrillon. Dans ce contexte, le ministère public assure cependant qu’il demeurera vigilant face à l’accroissement des compétences du tribunal et à « l'augmentation de la charge juridictionnelle immanquablement induite ». Selon les estimations, la juridiction devrait traiter 60 à 80 dossiers de plus par an du fait de ses nouvelles compétences.  

Atos, Medicham, Clinadan : les dossiers marquants de 2024 

Parmi les affaires traitées en procédure collective en 2024, « pas de dossiers significatifs » mais des affaires « qui gagnent en complexité et en technicité juridique », a estimé la présidente. Le ministère public retient quand même le médiatique dossier du groupe informatique Atos, « hors normes au regard des enjeux sociaux et de souveraineté nationale attachés à une activité stratégique ». Ainsi que l’affaire Medicham, réseau d’établissements médicalisés et d’Ehpad, à cause « des cessions particulièrement complexes de ces activités sensibles ».  

La présidente retient quant à elle l’affaire des centres dentaires Clinadan, iconique des nouvelles prérogatives du tribunal des affaires économiques. Selon un schéma qui se retrouve maintenant très souvent dans le domaine médical et paramédical, ces centres sont exploités sous forme associative et sont liés à des sociétés commerciales. Dans ce dossier, les sociétés ont demandé l'ouverture d'une procédure collective devant le tribunal de commerce de Nanterre, alors que les associations ont saisi le tribunal judiciaire.  

« Cette situation ne se produirait pas en 2025, car en devenant TAE, notre tribunal devient compétent pour le traitement des difficultés des entreprises quelles que soient leurs formes ; et les associations auraient pu directement nous saisir des demandes d'ouverture de procédure ».  

Delphine Schiltz

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