JUSTICE

La cour d’appel de Paris, victime de l’engorgement de la chaîne pénale

La cour d’appel de Paris, victime de l’engorgement de la chaîne pénale
Publié le 15/01/2025 à 15:36

Du fait d’un manque d’effectifs et d’un accroissement des affaires nouvelles augmentant les stocks, la cour se retrouve, selon le Premier président, dans une situation « préoccupante ». Les cours criminelles départementales ne seraient d’ailleurs pas étrangères à l’embolie en matière criminelle.

Quelques jours après l’audience de présentation des nouveaux magistrats et directeurs de greffes de la cour d’appel de Paris, celle-ci a organisé, dans sa première chambre civile, sa traditionnelle audience solennelle de rentrée, le 13 janvier dernier.

Parmi les invités, la Défenseure des Droits Claire Hédon, la présidente du Conseil national des barreaux Julie Couturier, ainsi que le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, que le Premier président de la cour d’appel Jacques Boulard n’a pas manqué d’interpeler sur les moyens financiers qui seront alloués à la cour.

En effet, le démontage de la salle des grands procès, construite pour le jugement des attentats du 13 novembre 2015, « obèrera inévitablement les capacités de jugement de la cour d’assises de Paris », a souligné Jacques Boulard. Cette salle a notamment accueilli le procès de l’assassinat de Samuel Paty qui faisait partie des 17 dossiers terroristes jugés par la cour d’assises spéciale de Paris en 2024.

La procureure générale peu favorable au PNACO

De criminalité organisée, thème brûlant en ce moment - et d’autant plus depuis les annonces des ministres de la Justice et de l’Intérieur, respectivement le 2 janvier à Marseille et 10 janvier dernier à Nantes -, il a notamment été question. La procureure générale près la cour d’appel, Marie-Suzanne Le Quéau, a ainsi abordé un sujet « loin de faire l’unanimité dans le corps judiciaire » : la création d’un parquet national de lutte contre la criminalité organisée, ou PNACO.

Si Gérald Darmanin et Bruno Retailleau s’y sont montrés favorables, dans les traces de l’ancien garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, lequel avait formulé cette volonté en avril dernier, proposition qui n’avait alors pas paru rebuter le président de l'Union syndicale des magistrats Ludovic Friat, à l’inverse, la procureure générale s’est dite peu convaincue. En particulier car l’architecture judiciaire dispose déjà de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée, JUNALCO, « de création récente », a-t-elle précisé.

La procureure générale n’écarte pas pour autant l’idée d’une coordination renforcée avec la mise en place de deux cellules, « l’une opérationnelle rattachée au parquet de Paris, et l’autre stratégique sous le pilotage de la direction des affaires criminelles et de grâces. » Néanmoins, pour que le dispositif fonctionne, a justifié Marie-Suzanne Le Quéau, une interaction renforcée de ses acteurs devra être de rigueur, et les délais de jugement, pour gagner la guerre contre le narcotrafic, devront impérativement être réduits.

Le Premier président a par ailleurs souligné la « souplesse » de la cour qui a su s’adapter pour « renforc[er] l’efficacité des dispositifs de saisies et confiscations » en se dotant d’une chambre spécialisée en la matière (chambre 1-13), a-t-il assuré.

Des variations d’effectifs qui fragilisent les parquets

Vieux serpent de mer, le manque d’effectifs a de nouveau été mis sur le tapis lors de l’audience de rentrée. Sujet de satisfaction l’an passé, il est devenu « pour le ministère public de cette cour une source d’inquiétude » a argué la procureure générale.

Si en prévision des Jeux de Paris 2024, les magistrats du parquet ont vu leurs effectifs renforcés de janvier 2023 à août 2024, « force est de constater que, depuis les derniers mouvements [qui a consisté à donner puis reprendre les effectifs], le taux de vacances est supérieur à la moyenne nationale ». Une opération qui a conduit à une « gestion périlleuse du parquet général et des parquets du ressort », et remet en cause « la performance du ministère public de cette cour pour les huit prochains mois » a alerté la procureure générale.

Selon le Premier président,  « les capacités globales de jugement du pôle pénal de la cour sont insuffisantes pour répondre à l’augmentation des affaires nouvelles »

Cette dernière a regretté ce « retour en arrière aggravé par les détachements et un absentéisme conjoncturel conséquent » qui a notamment pour conséquence de « crisper » les jeunes magistrats dont « l’engagement, le dévouement, le sens des responsabilités ne suffisent plus pour traiter, dans des conditions de sécurité suffisantes, les affaires qui leur sont soumises » a estimé la procureure générale.

Et le gel des recrutements des attachés de justice pour des raisons budgétaires annoncé fin 2024 n’a rien arrangé. S’adressant au garde des Sceaux, Marie-Suzanne Le Quéau lui a indiqué connaitre « sa détermination à maintenir le budget de la Justice à un niveau suffisant pour garantir la dynamique d’emplois soutenue par vos prédécesseurs ».

Les CCD responsables des stocks en matière criminelle

Durant les JO, les magistrats et greffiers ont répondu à une hausse de plus de 30 % sur la période du contentieux des extraditions et mandats d’arrêt européens, selon les chiffres du Premier président. Les chambres de l’instruction ont pour leur part fait face « à l’augmentation exponentielle et, à vrai dire, inquiétante de leur activité », a ajouté Jacques Boulard.

Mais si la justice a su s’adapter aux enjeux des JO, le Premier président a déploré « l’engorgement de l’ensemble de la chaine pénale », en particulier à la cour d’appel de Paris, dont il a jugé la situation « préoccupante ».

C’est notamment le cas de l’audiencement correctionnel. Malgré le renforcement des moyens humains et de l’engagement des magistrats et fonctionnaires, « les capacités globales de jugement du pôle pénal de la cour demeurent insuffisantes pour répondre à l’augmentation continue des affaires nouvelles. » L’année 2024 s’est d’ailleurs achevée avec un stock de 10 425 affaires, soit, « après une augmentation de 34 % en 2023, une nouvelle augmentation de 26 % » l’année dernière, d’après la procureure générale.

L’audiencement criminel connaît également la « même évolution préoccupante » malgré une constante augmentation des affaires jugées, a soulevé le Jacques Boulard, avec 519 arrêts rendus en 2024 contre 433 l’année qui la précède. « Et pourtant, le stock d’affaires reste toujours orienté à la hausse et a même culminé à 723 dossiers en août avant d’amorcer une décrue en fin d’année ». 696 dossiers restent encore en attente d’être jugés, a complété la procureure générale, dont 225 affaires qui relèvent de la cour criminelle départementale que Marie-Suzanne Le Quéau tient pour responsable de cette embolie.

Selon la procureure générale, l’instauration des CCD, expérimentées entre 2019 et 2022 avant d’être généralisées à l’ensemble des juridictions françaises au 1er janvier 2023, « a conduit le système actuel au bord de l’implosion en raison des délais contraints dans lesquels les accusés détenus doivent être jugés et des appels des condamnations qui viennent accroître le stock des affaires criminelles du second degré ». La procureure générale a notamment remis en cause une insuffisante prise en compte des paramètres de mise en œuvre qui a « déstabilisé l’édifice global ».

Le Premier président s’est pour sa part interrogé sur le point de savoir si la procédure orale était réellement adaptée devant les CCD, s’il fallait réfléchir à l’introduction d’une audience sur la peine lorsque les faits sont reconnus, ou encore à professionnaliser la composition des cours d’assises en matière de criminalité organisée ou de crimes contre l’humanité.

Réformer pour mieux juger

Au regard des problématiques soulevées, le Premier président et la procureure générale ont de concert plaidé pour des réformes « structurelles » « d’ampleur ».

Pour ce qui est de la justice pénale, Jacques Boulard a par exemple estimé que l’efficacité de la procédure serait à revoir et passerait par une « indispensable simplification des règles » afin d’éviter l’engorgement de la chaine pénale. Une façon notamment d’entamer une diminution du nombre de demandes de mise en liberté sous lesquelles les chambres de l’instruction croulent. Les huit chambres ont d’ailleurs connu en 2024 une augmentation inédite de plus de 30 % du seul contentieux de la détention provisoire et des mesures de sûreté.

« Il est grand temps d’engager une réflexion sur les leviers d’action à mobiliser pour fluidifier et simplifier notre chaine pénale », a martelé le Premier président. Au 1er décembre 2024, 80 792 personnes étaient détenues pour 62 404 places. Au 6 janvier, sur le seul ressort de la cour d’appel de Paris, ce sont 13 357 personnes qui étaient écrouées, a souligné Marie-Suzanne Le Quéau, qui a estimé « souhaitables » deux évolutions : atténuer la principe de l’oralité des débats, et mettre en place des audiences consacrées au choix de la peine, « le principe de culpabilité étant acquis ».

S’agissant de la justice civile, Jacques Boulard s’est dit convaincu de la nécessité d’une réforme « profonde » de ces méthodes de travail et a émis l’idée d’encourager davantage le recours aux modes adaptés de règlement des différends auprès du public qui privilégie plutôt la voie contentieuse. L’amiable a d’ailleurs constitué la thématique du cycle qui a ponctué l’année 2024 et rassemblé différents acteurs engagés dans le développement de l’audience de règlement amiable que Jacques Boulard souhaiterait expérimenter à la cour dès cette année, « sans attendre d’éventuelles adaptations réglementaires ».

Le magistrat a également misé sur l’intelligence artificielle, qui constitue selon lui « un enjeu majeur pour les institutions publiques ou privées qui s’en emparent ». Loin d’ignorer les limites et les dangers de l’IA, Jacques Boulard a toutefois indiqué que l’institution judiciaire « ne peut rester à l’écart de l’essor irrépressible de l’IA », sans toutefois négliger les autres leviers de modernisation, a ajouté le Premier président pour qui 2025 sonne comme un synonyme « d’approfondissement ».

Allison Vaslin

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