Du fait d’un manque
d’effectifs et d’un accroissement des affaires nouvelles augmentant les stocks,
la cour se retrouve, selon le Premier président, dans une situation « préoccupante ».
Les cours criminelles départementales ne seraient d’ailleurs pas étrangères à
l’embolie en matière criminelle.
Quelques jours après
l’audience de présentation des nouveaux magistrats et directeurs de greffes de
la cour d’appel de Paris, celle-ci a organisé, dans sa première chambre civile, sa traditionnelle audience solennelle de rentrée, le 13 janvier dernier.
Parmi les invités, la Défenseure
des Droits Claire Hédon, la présidente du Conseil national des barreaux Julie
Couturier, ainsi que le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, que le Premier
président de la cour d’appel Jacques Boulard n’a pas manqué d’interpeler sur
les moyens financiers qui seront alloués à la cour.
En effet, le démontage de la
salle des grands procès, construite pour le jugement des attentats du 13
novembre 2015, « obèrera inévitablement les capacités de jugement de la
cour d’assises de Paris », a souligné Jacques Boulard. Cette salle a
notamment accueilli le procès de l’assassinat de Samuel Paty qui faisait partie
des 17 dossiers terroristes jugés par la cour d’assises spéciale de Paris en
2024.
La procureure générale peu
favorable au PNACO
De criminalité organisée, thème
brûlant en ce moment - et d’autant plus depuis les annonces des ministres de la
Justice et de l’Intérieur, respectivement le 2 janvier à Marseille et 10
janvier dernier à Nantes -, il a notamment été question. La procureure générale
près la cour d’appel, Marie-Suzanne Le Quéau, a ainsi abordé un sujet « loin
de faire l’unanimité dans le corps judiciaire » : la création d’un
parquet national de lutte contre la criminalité organisée, ou PNACO.
Si Gérald Darmanin et Bruno
Retailleau s’y sont montrés favorables, dans les traces de l’ancien garde des
Sceaux Éric Dupond-Moretti, lequel avait formulé cette volonté en avril dernier,
proposition qui n’avait alors pas paru rebuter le président de l'Union
syndicale des magistrats Ludovic Friat, à l’inverse, la procureure
générale s’est dite peu convaincue. En particulier car l’architecture
judiciaire dispose déjà de la juridiction nationale de lutte contre la
criminalité organisée, JUNALCO, « de création récente »,
a-t-elle précisé.
La procureure générale
n’écarte pas pour autant l’idée d’une coordination renforcée avec la mise en
place de deux cellules, « l’une opérationnelle rattachée au parquet de
Paris, et l’autre stratégique sous le pilotage de la direction des affaires
criminelles et de grâces. » Néanmoins, pour que le dispositif
fonctionne, a justifié Marie-Suzanne Le Quéau, une interaction renforcée de ses
acteurs devra être de rigueur, et les délais de jugement, pour gagner la guerre
contre le narcotrafic, devront impérativement être réduits.
Le Premier président a par
ailleurs souligné la « souplesse » de la cour qui a su
s’adapter pour « renforc[er] l’efficacité des dispositifs de saisies et
confiscations » en se dotant d’une chambre spécialisée en la matière
(chambre 1-13), a-t-il assuré.
Des variations d’effectifs
qui fragilisent les parquets
Vieux serpent de mer, le
manque d’effectifs a de nouveau été mis sur le tapis lors de l’audience de
rentrée. Sujet de satisfaction l’an passé, il est devenu « pour le
ministère public de cette cour une source d’inquiétude » a argué la
procureure générale.
Si en prévision des Jeux de
Paris 2024, les magistrats du parquet ont vu leurs effectifs renforcés de
janvier 2023 à août 2024, « force est de constater que, depuis les
derniers mouvements [qui a consisté à donner puis reprendre les effectifs], le
taux de vacances est supérieur à la moyenne nationale ». Une opération
qui a conduit à une « gestion périlleuse du parquet général et des
parquets du ressort », et remet en cause « la performance du
ministère public de cette cour pour les huit prochains mois » a alerté
la procureure générale.

Selon le Premier président, « les capacités globales de jugement du pôle pénal de la cour sont insuffisantes pour répondre à l’augmentation des affaires nouvelles »
Cette dernière a regretté ce
« retour en arrière aggravé par les détachements et un absentéisme
conjoncturel conséquent » qui a notamment pour conséquence de « crisper »
les jeunes magistrats dont « l’engagement, le dévouement, le sens des
responsabilités ne suffisent plus pour traiter, dans des conditions de sécurité
suffisantes, les affaires qui leur sont soumises » a estimé la
procureure générale.
Et le gel des recrutements
des attachés de justice pour des raisons budgétaires annoncé fin 2024 n’a rien
arrangé. S’adressant au garde des Sceaux, Marie-Suzanne Le Quéau lui a indiqué
connaitre « sa détermination à maintenir le budget de la Justice à un
niveau suffisant pour garantir la dynamique d’emplois soutenue par vos
prédécesseurs ».
Les CCD responsables des
stocks en matière criminelle
Durant les JO, les magistrats
et greffiers ont répondu à une hausse de plus de 30 % sur la période du
contentieux des extraditions et mandats d’arrêt européens, selon les chiffres
du Premier président. Les chambres de l’instruction ont pour leur part fait
face « à l’augmentation exponentielle et, à vrai dire, inquiétante de leur
activité », a ajouté Jacques Boulard.
Mais si la justice a su
s’adapter aux enjeux des JO, le Premier président a déploré « l’engorgement
de l’ensemble de la chaine pénale », en particulier à la cour d’appel
de Paris, dont il a jugé la situation « préoccupante ».
C’est notamment le cas de
l’audiencement correctionnel. Malgré le renforcement des moyens humains et de l’engagement
des magistrats et fonctionnaires, « les capacités globales de jugement
du pôle pénal de la cour demeurent insuffisantes pour répondre à l’augmentation
continue des affaires nouvelles. » L’année 2024 s’est d’ailleurs
achevée avec un stock de 10 425 affaires, soit, « après une
augmentation de 34 % en 2023, une nouvelle augmentation de 26 % »
l’année dernière, d’après la procureure générale.
L’audiencement criminel connaît
également la « même évolution préoccupante » malgré une
constante augmentation des affaires jugées, a soulevé le Jacques Boulard, avec
519 arrêts rendus en 2024 contre 433 l’année qui la précède. « Et
pourtant, le stock d’affaires reste toujours orienté à la hausse et a même
culminé à 723 dossiers en août avant d’amorcer une décrue en fin d’année ».
696 dossiers restent encore en attente d’être jugés, a complété la procureure
générale, dont 225 affaires qui relèvent de la cour criminelle départementale
que Marie-Suzanne Le Quéau tient pour responsable de cette embolie.
Selon la procureure générale,
l’instauration des CCD, expérimentées entre 2019 et 2022 avant d’être généralisées à
l’ensemble des juridictions françaises au 1er janvier 2023, « a
conduit le système actuel au bord de l’implosion en raison des délais contraints
dans lesquels les accusés détenus doivent être jugés et des appels des
condamnations qui viennent accroître le stock des affaires criminelles du
second degré ». La procureure générale a notamment remis en cause une
insuffisante prise en compte des paramètres de mise en œuvre qui a « déstabilisé
l’édifice global ».
Le Premier président s’est pour
sa part interrogé sur le point de savoir si la procédure orale était réellement
adaptée devant les CCD, s’il fallait réfléchir à l’introduction d’une audience
sur la peine lorsque les faits sont reconnus, ou encore à professionnaliser la
composition des cours d’assises en matière de criminalité organisée ou de
crimes contre l’humanité.
Réformer pour mieux juger
Au regard des problématiques
soulevées, le Premier président et la procureure générale ont de concert plaidé
pour des réformes « structurelles » « d’ampleur ».
Pour ce qui est de la justice
pénale, Jacques Boulard a par exemple estimé que l’efficacité de la procédure
serait à revoir et passerait par une « indispensable simplification des
règles » afin d’éviter l’engorgement de la chaine pénale. Une façon notamment
d’entamer une diminution du nombre de demandes de mise en liberté sous
lesquelles les chambres de l’instruction croulent. Les huit chambres ont
d’ailleurs connu en 2024 une augmentation inédite de plus de 30 % du seul
contentieux de la détention provisoire et des mesures de sûreté.
« Il est grand temps
d’engager une réflexion sur les leviers d’action à mobiliser pour fluidifier et
simplifier notre chaine pénale », a martelé le Premier président. Au 1er
décembre 2024, 80 792 personnes étaient détenues pour 62 404 places.
Au 6 janvier, sur le seul ressort de la cour d’appel de Paris, ce sont
13 357 personnes qui étaient écrouées, a souligné Marie-Suzanne Le Quéau,
qui a estimé « souhaitables » deux évolutions : atténuer
la principe de l’oralité des débats, et mettre en place des audiences
consacrées au choix de la peine, « le principe de culpabilité étant
acquis ».
S’agissant de la justice
civile, Jacques Boulard s’est dit convaincu de la nécessité d’une réforme
« profonde » de ces méthodes de travail et a émis l’idée d’encourager
davantage le recours aux modes adaptés de règlement des différends auprès du
public qui privilégie plutôt la voie contentieuse. L’amiable a d’ailleurs
constitué la thématique du cycle qui a ponctué l’année 2024 et rassemblé
différents acteurs engagés dans le développement de l’audience de règlement
amiable que Jacques Boulard souhaiterait expérimenter à la cour dès cette année,
« sans attendre d’éventuelles adaptations réglementaires ».
Le magistrat a également misé
sur l’intelligence artificielle, qui constitue selon lui « un enjeu
majeur pour les institutions publiques ou privées qui s’en emparent ».
Loin d’ignorer les limites et les dangers de l’IA, Jacques Boulard a toutefois
indiqué que l’institution judiciaire « ne peut rester à l’écart de
l’essor irrépressible de l’IA », sans toutefois négliger les autres
leviers de modernisation, a ajouté le Premier président pour qui 2025 sonne
comme un synonyme « d’approfondissement ».
Allison
Vaslin