INTERVIEW. Formé par Isabelle
Clanet dit Lamanit et Fabien Arakelian, le premier duo à la tête du barreau des
Hauts-de-Seine vient d'arriver au terme de son bâtonnat. Entre complémentarité,
engagement et enthousiasme, les deux avocats reviennent sur deux années riches
en projets, aussi bien à l’international qu’au sein de leur barreau.
Bien qu’ils « se connaissaient
sans se connaître », Isabelle Clanet dit Lamanit et Fabien Arakelian
avaient décidé de se présenter ensemble en 2022 comme bâtonnière et
vice-bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine.
Alors qu’ils ont officiellement cédé les rênes du barreau des Hauts-de-Seine à Marie-Pascale Piot le 17 décembre dernier, ils concluent deux années d’aventure commune
le sourire aux lèvres.
JSS : Quels sont les moments
qui vous ont le plus marqués pendant votre mandat ?
Fabien Arakelian : Il y
en a tellement, c'est dur de choisir...
Isabelle Clanet dit Lamanit : Très
dur ! Là, j’ai le passage de la frontière Pologne-Ukraine, puis la rencontre
avec les 60 confrères du Haut-Karabakh.
F.A. :
C’est ce que j'allais dire !
I.C.d.L. : Je me
souviens de ces 60 personnes qui arrivent dans la salle, qui ont tout perdu et
sont en exil. Je suis la seule femme à la tribune et je ne réalise pas du tout
que ce n'est absolument pas naturel pour eux, de voir des femmes à des
fonctions électives de commandement. À la fin, quand la conférence se termine,
une foule de gens se forme autour de moi : tout le monde veut que l’on prenne
des selfies ensemble. Des femmes me racontent des situations tellement dures et
lourdes. L’une me dit : « J'ai deux enfants en bas âge et mon mari est brûlé
à 80 %, il est à l'hôpital d'Erevan – la plus grande ville d’Arménie, ndlr.
– Je suis avocate, j'essaye de remonter un cabinet comme je peux. »
Quand on est rentrés avec Fabien, on a tout de suite fait voter l’envoi de
fonds au bâtonnier du Haut-Karabakh. On était bouleversés.
F.A. :
C'était également un des événements très importants pour moi – et à double
titre, compte tenu de mes origines. Il illustre le fait que notre action pour
les avocats a aussi été menée à l'international, qu’elle n’était pas uniquement
à destination de nos consœurs et de nos confrères de notre Barreau. Cela dit,
parmi les moments marquants de ces deux dernières années, je pense à tout ce
que l’on a fait ici et qui ne s'est pas vu. Par exemple, on a régulièrement
reçu dans notre bureau des consœurs et des confrères venus se confier à nous
dans la confidentialité.
I.C.d.L. : Oui,
il y a toutes ces fois où l’on était vraiment au cœur du réacteur, à essayer de
nous rendre utiles, de rester proches des confrères. Avant tout, c’était des
moments à deux, puisqu’on a fait le choix d'être dans le même bureau – et on ne
l'a jamais regretté. C’est dans cette pièce que l’on a monté des projets, qu’on
a fomenté des révolutions, qu’on a crié de rage, qu’on s'est marrés comme des
fous.
JSS : Un bureau partagé pour
le tout premier duo à la tête du barreau des Hauts-de-Seine… Comment vous
êtes-vous organisés ?
F.A. : On a
chacun nos domaines de compétences, donc c'était hyper fluide : on avait nos
sujets – le pénal pour lui et le civil pour Isabelle Clanet dit Lamanit,
ndlr. Ça ne nous empêchait pas de demander l'avis de l'autre… Et, parfois,
de ne pas être d'accord. Mais en tous les cas, quand il y avait des désaccords,
ils restaient dans le bureau.
I.C.d.L. :
Puis, de nos débats ou de nos discussions sortait toujours une troisième
solution qui était meilleure que chacune des nôtres, comme quand on demande la
collégialité en audience.
JSS : Quelles sont les plus
belles réussites de votre bâtonnat ?
I.C.d.L. : La
communication interne fait partie de nos avancées. Avant, ce qu’il se passait
au Conseil de l'Ordre était très opaque. Les confrères avaient l’impression que
l’on n’y faisait pas grand-chose, ce que je trouvais très injuste. Il y avait
un problème de communication, d'information. Maintenant, on a des newsletters,
on publie les ordres du jour en amont et, dès le lendemain des séances, on
partage une synthèse des débats avec le résultat des votes. On a aussi ouvert
un certain nombre de conseils aux confrères, soit à l'Ordre, soit en se
délocalisant dans les grands cabinets.
F.A. :
Exactement, on a ouvert le Conseil de l'Ordre aux avocats honoraires et aux
jeunes barreaux, avec voix consultatives. Puis on a reçu de nombreuses hautes
personnalités, comme le président du Conseil départemental et celui de la
Chambre commerciale de la Cour de cassation, entre autres. On a essayé de
s'ancrer dans le territoire et de se nourrir de rencontres.
I.C.d.L. : De
manière peut-être plus anecdotique, on avait envie de travailler sur le sujet
du bien-être des avocats au travail. Par exemple, on a installé un babyfoot à
l’Ordre, ainsi qu’un frigo connecté, qui nous permet de prendre des repas à
toute heure, alors qu'on est dans une cité administrative un peu isolée. On
propose des formations, des ateliers d’art oratoire, puis on va bientôt mettre
en place des ateliers de parole avec une avocate qui est devenue thérapeute. On
a d’abord essayé de créer des occasions de se rassembler, puis on est allés
chercher tout le monde : ceux qui n'allaient pas forcément bien, ceux qui
travaillent dans des tours à la Défense, et qui n'ont pas le réflexe de se
diriger vers vers l'ordinalité. Ça nous a demandé une énergie folle, mais on a
essayé d'être des rassembleurs.
F.A. : Oui,
sans donner un point précis, il me semble que l’on a insufflé un certain
dynamisme, une visibilité de notre barreau, qui n'est pas simplement
cosmétique. C'est-à-dire que le barreau des Hauts-de-Seine s'est fait entendre
sur beaucoup de sujets qui intéressent la profession, comme le secret
professionnel et les droits de la défense. On a une voix qui compte. Il faut
savoir que notre configuration est très particulière, avec deux tiers d'avocats
travaillant dans des grosses structures et un tiers d'avocats judiciaires, soit des
avocats qui n'ont pas vocation à se rassembler… J’ai l’impression qu'on a
réussi tout simplement le contraire.
JSS : Vous avez également
mené tout un travail sur la relation avocats-magistrats…
I.C.d.L. : Oui,
quand on a pris nos fonctions, c'était un impératif de se réconcilier. Avec le
décès de [la juge] Marie Truchet trois mois avant – en pleine audience,
ndlr. – la juridiction et le barreau se trouvaient en état de choc,
d’autant qu’un certain nombre de confrères étaient présents lorsque c’est
arrivé. Il a fallu les soutenir. C’était aussi une juridiction qui souffrait
structurellement, parce qu'on était à 108 magistrats du siège de manière
inchangée depuis plus de huit ans. Avec Fabien, on a eu la chance d'avoir des
étoiles bien alignées, de bénéficier de moyens supplémentaires et d’être
confrontés à des personnalités qui sont entrées dans une bonne synergie.
F.A. : Oui,
on a pu travailler avec deux chefs de juridiction et deux chefs de Cour assez
exemplaires. Puis, on est des avocats proches du terrain, donc on a une
relation avec les magistrats qui ne triche pas : on les côtoie depuis très
longtemps. On sait donc qu'il y a des moments où l’on n'est pas forcément
d'accord avec eux, mais que, pour que la justice fonctionne, il vaut mieux
travailler de concert.
I.C.d.L. : Par
exemple, le 16 décembre j’ai signé le guide de bonnes pratiques entre notre
barreau et le pôle famille du tribunal judiciaire de Nanterre. Ça a été
l'occasion d'un cocktail très informel entre greffiers, magistrats et avocats…
Depuis, notre boîte mail est pleine de messages de remerciements qui louent
l'excellence des relations que la juridiction a eues avec le barreau.
F.A. : Ça
ne nous a pas empêchés d'avoir des points de désaccord, notamment sur la CRPC –
comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ndlr. – déferrement,
que le barreau des Hauts-de-Seine refuse de mettre en place. Il y a eu des
points de friction, mais on a su se dire les choses.
I.C.d.L. : Et il
n'y a jamais eu de passage en force, ni des uns ni des autres. Chacun
respectait les positions de l’autre, y compris quand on n'était pas
d'accord.
JSS : Quand vous passez les
deux dernières années en revue, avez-vous des regrets ?
F.A. : Ça
peut paraître très prétentieux, mais j’aurais tendance à vous répondre non.
I.C.d.L. : Je
n’en ai pas non plus ! Par contre on a pu connaître des moments
difficiles, précisément des blocages frontaux avec les anciens bâtonniers en
Conseil de l'Ordre… Alors qu’ils devaient être notre premier cercle de
soutien.
F.A. : C’est
vrai que parfois on s’est demandé dans quoi on s’était embarqué : et là,
c'était important d'être deux.
I.C.d.L. : Oui,
il m'est arrivé d'être un peu résignée ou dans une forme de neutralité, en me
disant : « Comme je ne vote pas au Conseil de l'Ordre, il faut seulement que
j'anime les débats. » Mais ce qui était super, c’est que j’avais Fabien
pour me dire dans le bureau, en amont : « Réveille-toi, c'est maintenant
qu'on combat ! » Inversement, une fois ou deux, j’ai carrément mis ma main
sur son bras en Conseil de l'Ordre en lui disant de se calmer, de redescendre.
En fait, notre complémentarité se manifestait aussi en termes d'énergie. [Fabien
Arakelian acquiesce]
JSS : En trois mots, comment
qualifieriez-vous ce mandat ?
I.C.d.L. : Je
les ai : enthousiaste, innovant et confraternel.
F.A. : Je
dirais engagé, sincère et qui a trait à la défense. C'est un des mots que je
préfère, dans la langue française. Parce que ce rôle de vice-bâtonnier, je l'ai
incarné en défendant mes consœurs et mes confrères comme je défends mes
clients. C'est important pour moi. C'est aussi ça, une bâtonnière et un
bâtonnier, c'est protéger. Et il me semble qu'on l'a fait.
I.C.d.L. : Finalement,
on a beaucoup donné, mais on a aussi beaucoup reçu. Je pense qu'on finit ces
deux années à la fois lessivés et riches, rechargés de plein de belles
énergies.
JSS : Qu’attendez-vous de
votre statut d’élus au Conseil de l'Ordre du barreau ?
F.A. :
C'est avant tout un usage, pour soutenir le bâtonnier ou la bâtonnière élue. En
l'occurrence, c’est aussi une demande de Marie-Pascale Piot – élue pour le
mandat 2025-2026, ndlr. Si on peut être utile, on sera présents ; s’il faut
aider, on le fera dans la mesure du possible.
I.C.d.L. : Tout
en restant à notre place.
F.A. : Absolument
! On ne veut surtout pas tomber dans le cliché des anciens bâtonniers qui
prennent systématiquement la parole pour dire : « Oui, mais moi j'ai fait
ci, j'ai fait ça. »
I.C.d.L. : On
fera office de mémoire, on sera des passeurs de dossiers, de projets.
Propos
recueillis par Floriane Valdayron