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(95) Tribunal de Pontoise : « Ils m’ont mis des patates, m’ont jeté par terre »

(95) Tribunal de Pontoise : « Ils m’ont mis des patates, m’ont jeté par terre »
Publié le 10/03/2025 à 08:40

CHRONIQUE. Pour avoir conduit un véhicule ivre et sans permis, en récidive, le 26 juillet, Marco, 28 ans, attendait sa convocation devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Son interpellation a précipité les choses, et le voici en comparution immédiate où il est jugé pour ces deux dossiers.

Marco est en bas d’un immeuble. Il s’éloigne du hall et piétine dans la rue en surveillant autour de lui. Dans une voiture banalisée, au ralenti, les deux policiers l’ont repéré. Ils connaissent bien cette tête, et Marco les connaît bien aussi. Il se courbe derrière des voitures garées en espérant qu’ils ne l’ont pas vu, et en profite pour jeter le contenu de sa poche dans les buissons. Les policiers jaillissent du véhicule et se jettent sur leur cible, qui commençait à se carapater. Plaqué, immobilisé, menotté, Marco n’a aucune chance. L’un des policiers fouille le buisson, dont il sort quatre sachets contenant du cannabis.

Le juge présidant le tribunal choisit d’ouvrir l’interrogatoire avec les faits d’outrages : « Vous auriez prononcé des formules comme ‘fils de pute’, ‘je vais vous niquer’. » Marco l’admet, mais il a quelques objections sur le scénario ayant mené à cet emportement verbal. « J’étais dans la rue avec un copain à moi, et la police arrive. Ils sont tout le temps en train de me déranger », se plaint-il. « Ceux-là, ils ont essayé de me mettre plusieurs détentions de stup’ », dénonce-t-il. L’interpellation était violente : ils m’ont mis des patates, m’ont jeté par terre, et m’ont menotté en me faisant super mal », et le président comprend que Marco tente de se plaindre de violences policières.

Il désamorce : « Les tribunaux ont tendance à faire confiance à ce que disent les policiers, sinon il suffirait de nier pour que personne ne soit condamné. Mais il arrive que quelqu’un ait des preuves que le policier a usé de violence. Donc je n’écarte pas l’hypothèse qu’il y ait un policier qui mente. » Marco saisit l’occasion : « Où j’étais, y’a des caméras normalement. J’ai demandé à l’OPJ (officier de police judiciaire, ndlr).

-     Les policiers disent qu’ils ont essayé de récupérer les images mais qu’elles ne filment pas l’endroit.

-     C’est pas vrai, j’étais pile poil sous la caméra.

-     Je précise qu’une confrontation a été réalisée, chacun reste sur sa position, poursuit le président qui ne relève pas les protestations du prévenu.

« Pourquoi les policiers mentiraient ? »

En l’absence de preuves contraires, les juges croient les policiers. Ce n’est pas dans le Code de procédure pénale (la parole des fonctionnaires de police a légalement la même valeur que celle de n’importe quel quidam), mais c’est dans l’usage des tribunaux. « Pourquoi les policiers mentiraient ? » est la question rhétorique qui vient clore définitivement toute velléité de protestation de la part d’un prévenu dont il est postulé que lui a une raison valable (et même légitime), de mentir : sauver sa peau. Le droit au mensonge de toute personne mise en cause se retourne contre elle à l’audience. Les policiers, eux, n’ont pas le droit de mentir. Alors ils ne mentent pas. « Si ce sont des menteurs permanents, ils auraient menti déjà les autres fois où ils vous ont contrôlé », conclut le juge.

Marco prétend que le cannabis retrouvé dans les buissons n’est pas le sien et que s’il a détalé à la vue des fonctionnaires, c’est qu’il en a marre de se faire contrôler à longueur de journée. Le président lui rappelle simplement : « Pensez-vous êtes en position de refuser un contrôle d’identité juste par simple envie ? » Puis, on en vient à son refus de donner le code de déverrouillage de téléphone, souvent brandi comme la confirmation que le propriétaire du portable participe à un trafic. Réflexion du président : « Je me dis qu’un honnête citoyen, on lui demande son téléphone, d’accord il y a une atteinte à la vie privée, mais si c’est une alternative à une procédure, ça vaut le coup de le donner ». De toute manière, le simple refus permet de constituer l’infraction.

« Ça ne se passe pas très bien avec les policiers »

Le deuxième dossier est instruit par un juge assesseur. Le 26 juillet à Sarcelles, des policiers de la brigade anti-criminalité découvrent une Renault Laguna accidentée dans un poteau. A l’intérieur, ils dénichent Marco, manifestement ivre et récalcitrant, qui ne veut ni décliner son identité, ni souffler dans l’alcootest. Interpellation, dégrisement, transport à l’hôpital. Une fois sobre, il est entendu par les policiers, à qui il explique avoir emprunté la voiture d’un ami pour apprendre à conduire. Il a fait 200 mètres avant de percuter le poteau. Le président lui demande : « Entre les deux affaires, quel est le point commun ?

-    

-     Ça ne se passe pas très bien avec les policiers. Est-ce que c’est leur faute où vous avez une responsabilité là-dedans monsieur ?

-     Des fois c’est eux, des fois c’est moi. »

Là, admet-il, c’est lui. Il a un problème avec l’alcool, pour lequel il a déjà été suivi.

C’est là que le procès transite des faits à la personnalité du prévenu : « Vous travaillez ?

-     Parfois, mais là je vais pas vous mentir, ça fait un moment.

-     Est-ce que vous êtes inscrit à France travail ?

-     Non.

-     Est-ce que ça ne serait pas une manière parmi d’autres de trouver un travail ? »

« Votre personnalité n’incite pas à être optimiste »

Puis, le juge égrène les quinze condamnations référencées au casier de Marco. « Qu’est-ce que vous diriez, Monsieur, de votre casier ? 

- C’était avant. La dernière condamnation date de 2022.

-     Vous considérez que c’est quelque chose d’énorme ?

-     Non, mais…

-     Qu’est-ce que vous pourriez faire qui ferait que vous n’ayez plus jamais d’ennui avec la justice ?

-    

-     Est-ce que vous êtes conscient que votre personnalité n’incite pas à être optimiste ?

-     Oui.

-     Vos problèmes n’ont aucune raison de s’arranger tous seuls.

-     Mon problème, c’est l’alcool, quand je suis à jeun je me sens bizarre, c’est quand je bois que je suis bien.

-     Si cela ne générait pas un comportement problématique, l’alcool resterait un problème qui vous concerne vous uniquement, mais là, ça a des conséquences sur les autres », sermonne le président.

Après que leur avocate eut demandé 300 euros pour chacun des policiers en réparation de l’outrage, la procureure, qui relève un « rapport conflictuel avec la police », demande la relaxe pour la détention de stupéfiants, car Marco ne correspond tout simplement pas à l’individu décrit par les policiers sur leur procès-verbal de surveillance. L’outrage et la rébellion sont en revanche constitués, bien qu’ils soient générés, donc, par une interpellation qui s’avère finalement injustifiée. Pour ça et la deuxième affaire, elle demande 18 mois de prison dont 6 mois avec sursis probatoire.

L’avocate comprend qu’« être policier à Sarcelles c’est dur, mais c’est aussi un moyen d’obtenir une prime de fin d’année », et des petits bonus en dommages et intérêts. « La pratique de ce tribunal montre que de temps en temps, les policiers mentent, et je suis surprise qu’ils se constituent partie civile sur la base d’une procédure si fragile », dit-elle, qui, « à 300 euros le gros mot, aimerait bien être insultée tous les jours ».

L’enjeu pour Marco est de savoir s’il va aller en prison. Après en avoir délibéré, le président relaxe pour la détention de stupéfiants et condamne pour le reste. Il énonce la peine : 18 mois dont 10 fermes, sans mandat de dépôt. « Le tribunal va faire le pari de vous faire confiance ». Marco a l’obligation de voir un addictologue, et de verser 150 euros à chaque policier.

Julien Mucchielli


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