JUSTICE

Anticor se heurte au silence de Matignon

Anticor se heurte au silence de Matignon
Publié le 28/08/2024 à 19:30

Depuis un peu plus d’un an, l'association anticorruption remue ciel et terre pour obtenir le renouvellement de son agrément auprès du gouvernement. Cet agrément essentiel lui permet de se constituer partie civile lors de procès pour corruption. Ce mercredi, elle a une fois de plus saisi le tribunal administratif de Paris afin de forcer le Premier ministre à prendre une décision.

Anticor retrouvera-t-elle son agrément ? En tout cas l'association ne déclare pas forfait. Le 9 août dernier, le tribunal administratif de Paris avait enjoint au Premier ministre démissionnaire, Gabriel Attal, de délivrer une réponse claire et motivée sur le renouvellement ou non de cet agrément. Le gouvernement avait quinze jours pour rendre sa décision. Le délai étant clos sans réponse, l’association a de nouveau saisi, en référé, le tribunal administratif, mercredi 28 août. La demande tend à « obliger le Premier ministre à prendre sous astreinte, c'est-à-dire avec le paiement d'une somme d'argent par jour de retard, une décision sur l'agrément », comme l'a indiqué Paul Cassia, président de l'association, à l'AFP. Anticor réclame 1 000 euros de dédommagement par jour de retard. 

Les conditions d'attribution de l'agrément anti-corruption dans le viseur

Pour revenir à l'origine de cette affaire, rappelons d'abord ce dont il est question ici. L’agrément anticorruption, dont peuvent bénéficier les associations spécialisées dans la lutte contre la corruption, a été institué en vertu de la loi du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Cet agrément permet à ces associations de se constituer partie civile dans des affaires de corruption. Ainsi, les parties civiles ont la possibilité de contraindre le parquet à transmettre leurs plaintes au juge d’instruction et donc, à relancer l’enquête. Autre avantage en se constituant partie civile : avoir accès au dossier. Cet accès est un efficace garde-fou contre le risque d’enterrement politique d’affaires de corruption. En effet, le lancement de l’enquête par le parquet pourrait devenir plus difficile s’agissant d’affaires de corruption au niveau gouvernemental, puisqu’il répond aux ordres du ministre de la Justice et donc du gouvernement.

Trois associations anticorruptions ont historiquement bénéficié de cet agrément : Transparency International, Sherpa et Anticor, jusqu’en 2023. Pour rappel, Anticor est à l’origine d’une multitude d’affaires ayant eu pour conséquence la mise en examen de nombreux membres du gouvernement. À titre d’exemple, Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée et Richard Ferrand, l’ex-président de l’Assemblée nationale, ont tous les deux été mis en examen pour « prise illégale d’intérêt », après les plaintes d’Anticor.

Mais les conditions d’attribution de ce garde-fou, que représente l’agrément anticorruption, sont vivement critiquées. En effet, l’agrément, permettant d’avoir un droit de regard sur les affaires de corruption jusqu’au plus haut degré de l’exécutif, est accordé par l’exécutif lui-même. Le ou la ministre de la Justice a à sa charge son renouvellement, tous les trois ans. En juin 2023, l’association Sherpa expliquait qu’elle « appelle depuis des années à une réforme » du mode de renouvellement de l’agrément. Même son de cloche pour François Molins. L’ex-procureur général de la Cour de cassation déclarait, aussi en 2023, qu’il serait « plus sain pour notre démocratie que ce ne soit pas le gouvernement qui statue sur les demandes d’agrément, mais une autorité administrative indépendante ».

« L’Affaire Anticor » : retour sur la chronologie des faits

En 2020, Elise Van Beneden est élue présidente d’Anticor, non sans critiques et contestations internes. En avril 2021, malgré une situation délétère, Jean Castex, à l’époque Premier ministre, renouvelle l’agrément de l’association in extrémis, soit 1 h 30 avant la fin des délais. Même s’il donne son accord, le texte mentionne « l'absence de transparence » sur un don qui représenterait « près de 17?% des ressources » de l’association en 2020. Un don qui pourrait « faire naître un doute sur son caractère désintéressé et indépendant ». L’arrêté ajoute qu’Anticor n'avait « pas, par le passé, garanti l'information de ses membres » au sujet de ses finances. 

Après la publication de cet arrêté, deux membres dissidents d’Anticor (dont un ancien membre, banni de l’association par le comité d’éthique) déposent un recours au Tribunal administratif dans le but de faire invalider le texte de Jean Castex et de faire retirer l’agrément à l’association. En juin 2023, le tribunal administratif de Paris donne raison aux deux dissidents de l’association, relevant « une erreur de droit » dans l’arrêté de Jean Castex. Le tribunal rappelle que l’administration ne peut pas « accorder l'agrément à une association qui n'en remplit pas les conditions ». À la suite de cette décision, Anticor perd son agrément et dénonce « une atteinte grave à la démocratie et aux libertés associatives », sur son compte Twitter. L’association était, à ce moment-là, impliquée dans 159 procédures, selon Elise Van Beneden.

Les multiples « refus implicites » de renouvellement d’agrément

L’association entre alors dans une longue période de « refus implicites » de renouvellement de la part du gouvernement. En effet, alors qu’Anticor formule une nouvelle demande de renouvellement, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, décide de se déporter de la décision. Le ministre refuse de s’occuper du dossier, puisque l’association est impliquée dans une procédure judiciaire le concernant. La décision revient donc à la Première ministre de l’époque, Élisabeth Borne, qui s’est aussi déportée. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, doit alors rendre sa décision. Cette dernière avait jusqu’au 26 décembre pour se prononcer. Mais Anticor n’a eu aucune réponse, favorable ou défavorable, de la part de Catherine Colonna. Cette absence de décision est perçue comme « un refus implicite » par l’association, puisque, de fait, ce silence ne lui permet pas de renouveler son agrément.

Au lendemain de ce « refus implicite », le 27 décembre 2023, l’avocat de l’association, Vincent Brengarth, déclare : « C’est un cadeau de Noël pour les corrupteurs ». La présidente d’Anticor, explique, quant à elle, à nos confrères de France Info : « Nous sommes bien conscients que nos actions contre la corruption agacent profondément le gouvernement ». L’histoire se répète une nouvelle fois, puisque l’association formule une deuxième demande de renouvellement auprès du gouvernement, le 19 janvier. Une demande qui est prolongée de deux mois, avant que l’association ne se heurte à un nouveau « refus implicite ». En effet, la décision attendue avant le 25 juillet dernier, n’est finalement jamais prise par le Premier ministre, Gabriel Attal. Le renouvellement d’agrément d’Anticor ne peut pas avoir lieu, et ce, sans justification, alors que l’article L.232-4 du Code des relations entre le public et l’administration oblige le gouvernement à motiver son refus.

Le Tribunal administratif de Paris offre une première victoire judiciaire à Anticor 

Anticor a donc, à nouveau, saisi le Tribunal administratif de Paris, dont l’audience en urgence s’est tenue en formation collégiale de trois juges des référés, le 7 août 2024. Dans sa décision en date du 9 août 2024, le tribunal administratif a « enjoint » le Premier ministre démissionnaire de « réexaminer la demande d’agrément de l’association Anticor, en tenant compte des motifs de la présente ordonnance, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette ordonnance ».

Le tribunal administratif a également rappelé le caractère des missions d’Anticor, qu’il juge d’utilité publique : « la possibilité d’exercer les droits reconnus a` la partie civile pour une association se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption participe de l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale et participe de l’intérêt public qui s’attache a` la lutte contre la grande délinquance économique et financière ». Aussi, les juges ont rappelé que refuser l’agrément à Anticor signifie aussi une réduction du nombre d’associations agréées, ce qui « porte atteinte a` un intérêt public ». De ce fait, la décision implicite de non-renouvellement de Gabriel Attal « porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à la situation de l’association requérante et à un intérêt public », précisent les juges.

Les conclusions du tribunal administratif n'ont pas manqué de réjouir Anticor, qui a écrit, dans un communiqué publié le 14 août : « Cette décision est une victoire pour l’association et un désaveu pour le gouvernement ». Réjouissance de courte durée, donc, puisque le gouvernement, qui avait jusqu’au 27 août pour rendre sa décision, s'est muré dans le silence. Désormais, la juridiction, une nouvelle fois saisie par l'association, doit se prononcer sur la demande tendant à obliger le Premier ministre à prendre une décision sous astreinte. Si Anticor obtient son renouvellement, plusieurs enquêtes pourraient être relancées, telles que l’affaire des contrats russes avec Alexandre Benalla ou encore sur les conditions d’attribution de la Coupe du monde 2022 de football au Qatar.

Inès Guiza

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles