Depuis un peu plus d’un an, l'association anticorruption remue ciel et terre pour obtenir le renouvellement de son agrément auprès du
gouvernement. Cet agrément essentiel lui permet de se constituer partie civile lors
de procès pour corruption. Ce mercredi, elle a une fois de plus saisi le tribunal administratif de Paris afin de forcer le Premier ministre à prendre une décision.
Anticor retrouvera-t-elle son
agrément ? En tout cas l'association ne déclare pas forfait. Le 9 août dernier,
le tribunal administratif de Paris avait enjoint au Premier ministre
démissionnaire, Gabriel Attal, de délivrer une réponse claire et motivée sur le
renouvellement ou non de cet agrément. Le gouvernement avait quinze jours pour
rendre sa décision. Le délai étant clos sans réponse, l’association a de
nouveau saisi, en référé, le tribunal administratif, mercredi 28 août. La
demande tend à « obliger le Premier ministre à prendre sous
astreinte, c'est-à-dire avec le paiement d'une somme d'argent par jour de
retard, une décision sur l'agrément », comme l'a indiqué Paul Cassia,
président de l'association, à l'AFP. Anticor réclame 1 000 euros de
dédommagement par jour de retard.
Les conditions d'attribution de l'agrément anti-corruption dans le viseur
Pour revenir à l'origine de
cette affaire, rappelons d'abord ce dont il est question ici. L’agrément
anticorruption, dont peuvent bénéficier les associations spécialisées dans la
lutte contre la corruption, a été institué en vertu de la loi du 6 décembre
2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière. Cet agrément permet à ces associations de se
constituer partie civile dans des affaires de corruption. Ainsi, les parties
civiles ont la possibilité de contraindre le parquet à transmettre leurs
plaintes au juge d’instruction et donc, à relancer l’enquête. Autre avantage en
se constituant partie civile : avoir accès au dossier. Cet accès est un
efficace garde-fou contre le risque d’enterrement politique d’affaires de
corruption. En effet, le lancement de l’enquête par le parquet pourrait devenir
plus difficile s’agissant d’affaires de corruption au niveau gouvernemental,
puisqu’il répond aux ordres du ministre de la Justice et donc du gouvernement.
Trois associations anticorruptions
ont historiquement bénéficié de cet agrément : Transparency International,
Sherpa et Anticor, jusqu’en 2023. Pour rappel, Anticor est à l’origine d’une
multitude d’affaires ayant eu pour conséquence la mise en examen de nombreux
membres du gouvernement. À titre d’exemple, Alexis Kohler, le secrétaire
général de l’Élysée et Richard Ferrand, l’ex-président de l’Assemblée nationale,
ont tous les deux été mis en examen pour « prise illégale d’intérêt »,
après les plaintes d’Anticor.
Mais les conditions
d’attribution de ce garde-fou, que représente l’agrément anticorruption, sont
vivement critiquées. En effet, l’agrément, permettant d’avoir un droit de
regard sur les affaires de corruption jusqu’au plus haut degré de l’exécutif,
est accordé par l’exécutif lui-même. Le ou la ministre de la Justice a à sa
charge son renouvellement, tous les trois ans. En juin 2023, l’association
Sherpa expliquait qu’elle « appelle depuis des années à une réforme »
du mode de renouvellement de l’agrément. Même son de cloche pour François
Molins. L’ex-procureur général de la Cour de cassation déclarait, aussi en
2023, qu’il serait « plus sain pour notre démocratie que ce ne soit pas
le gouvernement qui statue sur les demandes d’agrément, mais une autorité
administrative indépendante ».
« L’Affaire
Anticor » : retour sur la chronologie des faits
En 2020, Elise Van Beneden
est élue présidente d’Anticor, non sans critiques et contestations internes. En
avril 2021, malgré une situation délétère, Jean Castex, à l’époque Premier
ministre, renouvelle l’agrément de l’association in extrémis, soit
1 h 30 avant la fin des délais. Même s’il donne son accord, le texte
mentionne « l'absence de transparence » sur un don qui
représenterait « près de 17?% des ressources » de
l’association en 2020. Un don qui pourrait « faire naître un doute
sur son caractère désintéressé et indépendant ». L’arrêté ajoute qu’Anticor
n'avait « pas, par le passé, garanti l'information de ses membres »
au sujet de ses finances.
Après la publication de cet
arrêté, deux membres dissidents d’Anticor (dont un ancien membre, banni de l’association
par le comité d’éthique) déposent un recours au Tribunal administratif dans le
but de faire invalider le texte de Jean Castex et de faire retirer l’agrément à
l’association. En juin 2023, le tribunal administratif de Paris donne raison
aux deux dissidents de l’association, relevant « une erreur de droit »
dans l’arrêté de Jean Castex. Le tribunal rappelle que l’administration ne peut
pas « accorder l'agrément à une association qui n'en remplit pas
les conditions ». À la suite de cette décision, Anticor perd
son agrément et dénonce « une atteinte grave à la démocratie et aux
libertés associatives », sur son compte Twitter. L’association était, à
ce moment-là, impliquée dans 159 procédures, selon Elise Van Beneden.
Les multiples « refus
implicites » de renouvellement d’agrément
L’association entre alors dans une
longue période de « refus implicites » de renouvellement de la
part du gouvernement. En effet, alors qu’Anticor formule une nouvelle demande
de renouvellement, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, décide de se
déporter de la décision. Le ministre refuse de s’occuper du dossier, puisque
l’association est impliquée dans une procédure judiciaire le concernant. La
décision revient donc à la Première ministre de l’époque, Élisabeth Borne, qui
s’est aussi déportée. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna,
doit alors rendre sa décision. Cette dernière avait jusqu’au 26 décembre pour
se prononcer. Mais Anticor n’a eu aucune réponse, favorable ou défavorable, de
la part de Catherine Colonna. Cette absence de décision est perçue comme
« un refus implicite » par l’association, puisque, de fait, ce
silence ne lui permet pas de renouveler son agrément.
Au lendemain de ce « refus
implicite », le 27 décembre 2023, l’avocat de l’association, Vincent
Brengarth, déclare : « C’est un cadeau de Noël pour les
corrupteurs ». La présidente d’Anticor, explique, quant à elle, à
nos confrères de France Info : « Nous sommes bien
conscients que nos actions contre la corruption agacent profondément le
gouvernement ». L’histoire se répète une nouvelle fois, puisque
l’association formule une deuxième demande de renouvellement auprès du
gouvernement, le 19 janvier. Une demande qui est prolongée de deux mois, avant
que l’association ne se heurte à un nouveau « refus implicite ».
En effet, la décision attendue avant le 25 juillet dernier, n’est finalement jamais prise par le Premier ministre, Gabriel Attal. Le renouvellement d’agrément
d’Anticor ne peut pas avoir lieu, et ce, sans justification, alors que l’article
L.232-4 du Code des relations entre le public et l’administration oblige le
gouvernement à motiver son refus.
Le Tribunal administratif de
Paris offre une première victoire judiciaire à Anticor
Anticor a donc, à nouveau,
saisi le Tribunal administratif de Paris, dont l’audience en urgence s’est
tenue en formation collégiale de trois juges des référés, le 7 août 2024. Dans
sa décision en date du 9 août 2024, le tribunal administratif a « enjoint »
le Premier ministre démissionnaire de « réexaminer la demande
d’agrément de l’association Anticor, en tenant compte des motifs de la présente
ordonnance, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette
ordonnance ».
Le tribunal administratif a
également rappelé le caractère des missions d’Anticor, qu’il juge d’utilité
publique : « la possibilité d’exercer les droits reconnus a` la
partie civile pour une association se proposant par ses statuts de lutter
contre la corruption participe de l’objectif constitutionnel de lutte contre la
fraude fiscale et participe de l’intérêt public qui s’attache a` la lutte
contre la grande délinquance économique et financière ». Aussi, les
juges ont rappelé que refuser l’agrément à Anticor signifie aussi une réduction
du nombre d’associations agréées, ce qui « porte atteinte a` un intérêt
public ». De ce fait, la décision implicite de non-renouvellement de
Gabriel Attal « porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à la situation de l’association requérante et à un intérêt public »,
précisent les juges.
Les conclusions du tribunal
administratif n'ont pas manqué de réjouir Anticor, qui a écrit, dans un communiqué publié le 14
août : « Cette décision est une victoire pour l’association et un
désaveu pour le gouvernement ». Réjouissance de courte durée, donc, puisque le gouvernement, qui avait jusqu’au 27 août pour rendre sa
décision, s'est muré dans le silence. Désormais, la juridiction, une nouvelle fois saisie par l'association, doit se prononcer sur la demande tendant à obliger le Premier ministre à prendre une décision sous astreinte. Si Anticor obtient son renouvellement, plusieurs enquêtes pourraient être relancées, telles que l’affaire des contrats russes avec Alexandre Benalla ou encore sur les conditions d’attribution de la Coupe du monde 2022 de football au Qatar.
Inès
Guiza