Le tribunal de commerce de Paris a organisé
son audience solennelle d’installation le 13 janvier
dernier en présence d’un public très restreint du fait de la crise sanitaire.
Seuls le procureur de la République, des chefs de cour, et de hautes
personnalités juridiques étaient présents quai de la Corse. Cette cérémonie a
été précédée, à la cour d’appel de Paris et en présence des présidents de
chambre du tribunal, par la prestation de serment des nouveaux juges élus de la
promotion 2021 devant le
président de la cour d’appel de Paris, en présence de la procureure générale
près la cour d’appel de Paris.
Avec ses 172 juges consulaires
et une activité qui représente plus de 10 % de
l’activité totale des tribunaux de commerce français, le TC de Paris est
assurément le plus grand de France. Cette première place nécessite cependant
une organisation quotidienne sans faille, sans quoi les risques pour notre
économie seraient dramatiques.
UN TRIBUNAL QUI A SU S’ADAPTER
Les juges
consulaires du tribunal de commerce de Paris ont été largement à la hauteur des
attentes des justiciables durant l’année 2020 qui « n’a pas été originale »,
mais « inédite », selon les termes de son président Paul-Louis
Netter lors de son allocution.
Le premier
confinement, qui a été décidé sans crier gare, a en effet entraîné la fermeture
physique des tribunaux, le confinement à leur domicile de la quasi-totalité des
acteurs judiciaires, et le ralentissement des procédures. Une véritable « anomalie »
pour le président du TC de Paris dans la mesure où, au même moment, de nombreux
chefs d’entreprise, des acteurs des différents secteurs d’activité étaient
confrontés à des difficultés économiques inédites.
Très
rapidement, le président du TC a souhaité que le tribunal « trouve les
moyens de fonctionner ».
« Il
était inconcevable que ce dernier n’exerce plus ses missions, même en cas
d’urgence sanitaire et de confinement, car son rôle n’est pas seulement de
rendre la justice, il est aussi tutélaire, économique et social » a également souligné le procureur de la République, Rémy Heitz, dans
son intervention.
Sans
décisions de justice, impossible par exemple de permettre la prise en charge
rapide des salariés impayés par l’AGS.
Dès le 1er
avril 2020, avec le Greffe, le tribunal a donc repris ses audiences de
procédures collectives, et mi-avril ses audiences de contentieux et les référés
cabinet… mais sous une forme jamais expérimentée : en visioconférence et via
un logiciel sécurisé.
Cette
nouveauté a été rendue possible juridiquement par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 qui prévoit la possibilité d’utiliser, pour tenir une audience civile,
« un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s’assurer
de l’identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la
confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats », et
au niveau technique par le Conseil national des greffiers des tribunaux de
commerce qui a mis en place une solution « présentant le double
avantage d’être française et d’être chiffrée de bout en bout, garantissant
ainsi une totale confidentialité des échanges » a détaillé le
procureur de la République.
En tout, 298 audiences de fond en visioconférence ont pu
être organisées, et presque 100 de la même manière en procédures collectives.
Lors de son
allocution, Rémy Heitz a également salué la mise en place du « Tribunal
digital » par le greffe commercial permettant de saisir en ligne la
juridiction pour solliciter un entretien de prévention, pour demander
l’ouverture d’une procédure collective, mais aussi pour régler un contentieux
avec un débiteur ou un créancier.
Bref, dans
ce contexte si difficile, les magistrats ont pu rendre le service qui était
attendu d’eux.
« Jamais
je n’ai ressenti aussi fortement qu’en 2020 le dévouement et
l’implication des juges consulaires dans leur mission » a confié Paul-Louis Netter. Pas une fois en effet, le TC n’a manqué de
juges pour tenir les audiences et en assurer le suivi.
Leur
aptitude à faire face à l’imprévu a permis aux juges consulaires d’aborder le
second confinement avec sérénité, car ils étaient « déjà habitués à des
outils qui, un an auparavant, ne pouvaient et n’avaient jamais été mis en
œuvre ».
UNE ACTIVITÉ PEU IMPACTÉE PAR LES ÉVÈNEMENTS…
Autre motif
de réjouissance, les chiffres de production du plus grand TC de France ont été
peu impactés par la crise.
Le nombre
d’affaires nouvelles introduites au fond a reculé de 9 %, et les jugements statuant après audiences
de juge chargé d’instruire l’affaire de 19 %. « Ainsi notre stock à la fin de l’année
n’avait augmenté que de 9,4 % » s’est réjoui
Paul-Louis Netter.
Au total, a
énuméré le procureur de la République de son côté, le TC de Paris a ouvert, en
2020, 82 mandats ad hoc, 200 conciliations, 31 sauvegardes, 241 redressements, 2 170 liquidations judiciaires, et 942 préventions-détections pures (c’est-à-dire
des dossiers d’alerte).
Concernant
le traitement des difficultés des entreprises, le président du TC a déclaré
qu’il fallait faire une distinction « très nette » entre les
procédures amiables (conciliation et mandat ad hoc) et les procédures
collectives.
Les
premières sont restées stables en 2020, tandis que les secondes ont beaucoup
progressé (+24 % soit 200 procédures collectives ouvertes en 2020) « à la suite des
textes du mois de mai qui ont musclé la conciliation ».
Heureusement, a souligné le
procureur de la République, les chiffres relatifs aux procédures collectives
ont ensuite « détrompé ceux qui prédisaient les pires catastrophes au
mois de septembre ».
Pourquoi ? Parce qu’au plus
fort de la crise, l’État a injecté des sommes astronomiques pour éviter la
ruine d’un grand nombre d’acteurs économiques.
De nombreux commerces ont été
maintenus à flot par les mesures gouvernementales comme le chômage partiel, la
mise en place du fonds de solidarité, les remises d’impôts directs et les
exonérations de cotisations sociales, le crédit d’impôt pour les bailleurs et
bien entendu les prêts garantis par l’État.
En outre, les ordonnances de mars
et mai 2020, reconduites par la loi du 7 décembre
2020, ont offert aux entreprises des possibilités d’aménagement des plans de
sauvegarde et de redressement en cours d’exécution, permettant ainsi d’obtenir
un allongement de ces plans d’une ou deux années.
En 2020, et contre toute attente,
les demandes de sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire
ont respectivement reculé sur la période de 31 %, 48 % et 22 %, a indiqué
le procureur de la République.
Il reste
que la crise est loin d’être finie, et que le pire reste sans doute à venir.
… MAIS UNE ANNÉE QUI S’ANNONCE PLUS DÉLICATE
Paul-Louis
Netter a mis en garde contre des chiffres qui peuvent paraître encourageants. « En
réalité, le calme constaté n’est qu’apparent » a-t-il pointé. Les
juges consulaires ont en effet constaté une fragilisation de l’emploi.
Le nombre
d’ouvertures de procédures amiables a certes diminué en 2020 par rapport à 2019, mais le nombre de
salariés concernés par ces procédures amiables a lui augmenté de près de 160 %, leur nombre moyen par dossier est passé de
115 à 297 pour un total de 83 890 emplois.
Même chose
en ce qui concerne les ouvertures de sauvegarde et redressement judiciaire. Si
celles-ci ont baissé en 2020 par rapport à l’année précédente, elles concernent en revanche plus de
personnes, précisément 14 406 individus, soit 65 % de salariés supplémentaires.
Quant aux
liquidations judiciaires, le nombre moyen de salariés par dossier a augmenté de
1 à 1,6, soit 3 528 personnes.
Le
procureur de la République a lui aussi estimé qu’il ne fallait pas se réjouir
trop vite.
De nombreux
commerces ont subi de plein fouet les conséquences du premier confinement, et
encore plus durement celles du second en novembre. Quant aux cafés et
restaurants, ils sont fermés depuis le décret du 29 octobre 2020 et le sont encore à l’heure actuelle.
Certains ne rouvriront certainement plus, même après la crise.
Sans
remettre en cause les aides de l’État dont a pu bénéficier un grand nombre
d’entreprises, pour Rémy Heitz, cela a conduit les sociétés « sous
perfusion » à ne pas se rendre au tribunal, ce qui explique aussi les
chiffres d’activité du TC en baisse par rapport à l’année 2019 : 31 sauvegardes en 2020 contre 48 en 2019 (soit une baisse de 35 %), 241 redressements judiciaires contre 394 en 2019 (soit -39 %) et 2 170 liquidations judiciaires contre 2 913 en 2019 (soit -26 %).
Certaines
entreprises semblent aujourd’hui comme anesthésiées, or a martelé le procureur
de la République, « il faut absolument que les chefs d’entreprise
anticipent l’avenir, en se plaçant le plus vite possible sous la protection du
tribunal si c’est nécessaire ».
Les juges du tribunal de commerce
doivent se préparer de leur côté à faire face aux inévitables défaillances qui
se multiplieront de façon inéluctable en 2021 dans
certains secteurs, où « aucun rattrapage n’est possible ». Ils
doivent en outre tout faire pour attirer les sociétés sur le fil du rasoir afin
qu’elles demandent à bénéficier de mesures de traitement précoces, notamment de
conciliations, ainsi que de sauvegardes et de redressements, auquel cas
celles-ci viendront grossir le nombre de liquidations qui ne manqueront pas
d’arriver cette année.
Pour le
procureur de la République enfin, si la priorité en 2021 est le sauvetage des entreprises et de
l’emploi, il ne faudra pas relâcher les efforts concernant les sanctions
commerciales.
En effet
a-t-il dénoncé, certaines personnes malhonnêtes profitent des périodes
troublées pour agir : « Il apparaît ainsi dès aujourd’hui que de
nombreuses fraudes ont été commises, que ce soit pour l’attribution du chômage
partiel (avec de fausses déclarations de salariés inexistants) ou pour le
détournement de sommes reçues à des usages sans rapport avec l’intérêt
social » a-t-il précisé.
La
situation de crise dans laquelle nous nous trouvons ne signifie pas, a-t-il
assuré, qu’il faille faire « des compromis sur l’indispensable probité
de chacun, bien au contraire ».
Le TC de
Paris devra relever de nombreux défis cette année. Pour son président
cependant, « 2020 a été un improbable et très utile champ
d’expérience » qu’il faudra absolument développer
en 2021.
UN VASTE CHAMP D’EXPÉRIENCE À DÉVELOPPER
Parmi les nouveautés qui « méritent d’être considérées voire
acclimatées » en cette nouvelle année, une grande partie concerne
l’évolution de la procédure, et notamment le jugement sans audience (avec
l’accord des parties), l’audience avec juge unique ou encore la mise en état
conduite par un seul juge. Et bien entendu, l’usage de la visioconférence.
À ce sujet, Paul-Louis Netter a déclaré préférer les audiences physiques,
mais il a toutefois reconnu de nombreux avantages à l’audience en visio.
Celle-ci permet à chaque partie (peut-être plus qu’une audience physique, car
les individus se coupent moins la parole) d’exposer minutieusement ses
arguments, et au juge de poser ensuite les questions qu’il estime nécessaires.
Le président du tribunal de commerce souhaite par conséquent que les
audiences en visioconférence ne soient pas complètement écartées en 2021, mais
qu’elles soient par exemple réservées – avec l’accord de toutes les parties
prenantes – à certains types d’audiences à caractère technique comme
l’établissement des calendriers et les contestations de créance, ou aux
vacations judiciaires.
Concernant les chantiers à venir pour l’année 2021, le président du TC de
Paris entend poursuivre son action dans deux domaines particuliers.
Le premier concerne la mise en état. « Lors de mon installation à
la tête de cette juridiction, j’ai fixé un objectif d’abaisser le délai de
traitement des contentieux au fond » a expliqué ce dernier. Pour
atteindre ce résultat, il faut, selon lui, agir sur le temps de la mise en
état.
Au deuxième trimestre de l’année 2019, deux chambres ont mené une
expérimentation dans ce domaine, qui s’est d’ailleurs poursuivie en 2020. Les
résultats ont été encourageants. C’est pourquoi le TC de Paris envisage de
généraliser cette expérimentation à toutes les chambres, dès la signature d’un
protocole avec le barreau de Paris très impliqué dans cette démarche. « Le
but est de parvenir à une durée moyenne des contentieux qui sera sensiblement
inférieure à un an » a précisé Paul-Louis Netter.
Le deuxième axe de progrès concerne la chambre internationale du TC de
Paris.
Le président du tribunal compte sur la parution du Guide de Procédure
devant les Chambres internationales pour « accroître le volume et la
diversité des contentieux » qui seront traités dans cette chambre.
En 2019, la première présidente de la Cour de cassation, Chantal Arens
avait validé la construction d’une salle d’audience moderne au sein du tribunal
de commerce de Paris, Paul-Louis Netter espère une « avancée décisive »
de la réalisation de cette salle en 2021. Celle-ci permettra en effet de
traiter les litiges internationaux selon les meilleurs standards procéduraux et
techniques.
Enfin, le président du TC de Paris a rappelé l’environnement global dans
lequel évoluent les juges consulaires du tribunal : un contexte d’open
data et de concurrence internationale des juridictions commerciales. De ce
fait, il est essentiel, à son avis, de mieux communiquer sur l’organisation et
les activités du TC, mais aussi de renforcer, outre les outils techniques, les
capacités d’action et les sources de financement du tribunal.
« 2021 nous voit plus riches d’expérience
dans les moyens de traitement des litiges ainsi que dans l’abord de certaines
problématiques. Nous sommes optimistes et, avec les professionnels qui nous
entourent, décidés à accomplir nos missions, quel que soit notre
environnement » a conclu Paul-Louis
Netter.
Installation des juges lors de l’audience solennelle
d’installation du 13 janvier 2021
élus pour 2 ans en novembre 2020, ont prêté
serment :
• Blanc François
• Guillaud Marc
• Goldberg Maxime
• Guilhou éric
• de Contades Arnaud
• Robineau Marie-Paule
• Robert Marc-Antoine
• Pugliese éric
• Rolland Christine
• Magloire Valérie
• Moriceau Annick
• de Barrau Valérie
• Mezzarobba Michele (Monsieur)
• Bontemps Philippe
• Minoux Charles
• Gadenne
Thomas
• Bernheim
Cécile
• Allard
Pascal
• Galloro
Thomas
• Augé Christine
• Armand Patrick
Pas de prestation de serment pour ces 4 juges
qui ont été élus ou réélus pour 4 ans (retour au tribunal après interruption de
mandat ou originaire d’un autre tribunal de commerce) :
• Sayer Patrick
• Boissou Marc
• de Pesquidoux Arnaud
• Renouard
Patrick
Maria-Angélica Bailly