A l’occasion des fêtes de fin d’année, il
n’est pas question de resservir tiède l’histoire du Champagne ou de son
invention – supposée – par Dom Pérignon, et maintes fois réécrite. Au contraire, des archives inédites conservées par
l’Institut national de la propriété industrielle offrent un nouvel éclairage
sur l’un des symboles de l’excellence. Alors… champagne !
De son élaboration à sa dégustation, le champagne génère de
très nombreux dépôts de titres de propriété industrielle depuis 1791. Brevets
et marques jalonnent une histoire qui continue à s’écrire. Les brevets, tout
d’abord, apportent les réponses techniques aux problématiques liées à
l’élaboration, mais aussi à la conservation ou au transport du champagne. Car
le champagne nécessite de nombreuses opérations, minutieuses, précises, et
faisant appel à un vocabulaire bien particulier comme le pointage, le remuage
ou encore le démasquage. Cette dernière, par exemple, consiste à éliminer les
levures qui se déposent et forment une lie peu ragoûtante au fond de la
bouteille. On frappe alors le contenant à coups de marteau, c’est ce que l’on
appelle aussi l’électrisage, ou bien on pratique le tapotage, qui consiste à
frapper vigoureusement la bouteille sur une barre de bois, le bord d’un pupitre
ou celui d’une table. Aujourd’hui, on emploie généralement des machines pour
effectuer ces tâches pénibles et répétitives. Les progrès de la mécanisation
font apparaître ces premières machines à partir du milieu du 19e siècle, comme
celle brevetée par Auguste-Henri Tricout, mécanicien orthopédiste à Reims, et
servant à démasquer les vins de champagne, à électriser, tourner et secouer les
bouteilles.
Trouver le contenant idéal a également donné matière à
innover. Le choix de la forme actuelle reste obscur, certains avancent que la
piqûre, la cavité conique formant le fond, aurait été choisie par les verriers
eux-mêmes pour permettre d’emboîter la bouteille sur un cône afin de la
maintenir pendant le travail de finition faisant suite au soufflage. Dans tous
les cas, la bouteille de champagne doit avoir pour qualité première la solidité
afin de résister à une pression continue et nombre de brevets ont été déposés
pour la perfectionner dans ce sens. Ainsi, en 1847, Louis-Marie Canneaux,
marchand de vins, brevète une nouvelle bouteille propre à empêcher la casse.
Par conséquent, la bouteille est lourde, son poids est la
rançon de sa solidité. La champenoise, comme on l’appelle, est normalement
translucide et de couleur vert foncé avec une forme qui lui est propre et des
mensurations précises : un fût cylindrique de 88,4 mm ; la piqûre, profonde de
30 mm ; la partie supérieure du goulot, d’une largeur de 30 mm, où se trouve la
bague, qui fournit un appui au système de fixation du bouchon. Bouchon qu’il
faut encore faire sauter avant de déguster ! Ce bouchon, si caractéristique des
vins mousseux, dont le maintien a toujours posé des difficultés. En liège dès
l’origine, il était retenu à l’aide de ficelles de chanvre ou de fil de fer
jusqu’à ce qu’Adolphe Jacquesson, négociant en vins à Châlons-en-Champagne,
dépose un brevet en 1844 consistant à intercaler une plaque entre le bouchon et
le fil du lien.

Brevet n°5175 déposé le 08.03.1847 par
Louis-Marie Canneaux pour un genre de bouteilles dites segmentales pour les
vins de Champagne et autres liquides gazeux (1BB5175, archives INPI).

Brevet n°412 déposé le 15.11.1844 par Adolphe
Jacquesson pour des perfectionnements apportés dans les appareils et procédés
propres au bouchage des bouteilles renfermant des vins ou autres liquides
mousseux ou non (1BB412, archives INPI).
Cette plaque équilibre les forces et évite au liège, sous
la pression, de venir s’incruster dans les fils de chanvre ou de fer, ce qui
provoque des fuites de gaz ou de liquide. Ce dispositif, le muselet, maintient
désormais le bouchon dans la bouteille et contribue à son étanchéité jusqu’à
l’ouverture. Il doit permettre au consommateur un débouchage en toute sécurité.
Aujourd’hui, le muselet est composé de la ceinture en fil d’acier, du corps, ou
cage, composé de quatre pattes et d’une tête en fil d’acier avec la plaque en
fer blanc vernie, lithographiée ou estampée. Cette dernière porte généralement
la marque de la Maison.
La Maison de champagne est l’entreprise agricole et/ou
industrielle et commerciale qui contrôle les moyens matériels et humains
nécessaires à l’élaboration et à la distribution d’une marque. Son talent
réside dans l’élaboration de cuvées qui s’efforcent de refléter le style
caractéristique de la marque par l’assemblage des cépages, des crus ou encore
des années. L’INPI conserve précieusement toutes les marques déposées par ces
Maisons qui sont à l’origine de la notoriété et du prestige des vins de
champagne dans le monde. Les plus belles sont probablement celles déposées à la
fin du 19e siècle.

Marque de fabrique et de commerce pour une étiquette
destinée à être collée sur des bouteilles de vin mousseux déposée le 24 janvier
1879 par Maurice Barbier, négociant, à Bordeaux (1MA33292, archives INPI).
Avec plus de 500 brevets d’invention délivrés dans ce
domaine depuis 1791 et l’intégralité des marques enregistrées depuis 1857,
l’Institut national de la propriété industrielle est une source incontournable
pour l’histoire du champagne et des grandes Maisons qui font sa renommée. Ces
archives, constituées de documents originaux uniques, contribuent à une
meilleure connaissance de l’histoire de ce vin d’exception dont une partie, les
« Coteaux, Maisons et Caves de champagne », est inscrite sur la liste du
patrimoine mondial de l’UNESCO.
Steeve Gallizia,
Chargé de la valorisation des archives patrimoniales
de l’INPI