SÉRIE (3/4). Les contrôles sur la qualité
de l’accueil dans les crèches manquent d’efficacité et sont au cœur des
réflexions du secteur de la petite enfance. Si de nombreuses pistes ont été
avancées par un récent rapport sénatorial, et qu’une proposition de loi pourrait
bien voir le jour, les moyens humains et financiers font aujourd’hui défaut.
Les crèches privées en question
Depuis plusieurs mois, des affaires médiatisées en lien avec les crèches privées et les accueils du jeune enfant, comme le meurtre d’une petite fille au sein de l’établissement « People and Baby » à Lyon, ont marqué les esprits. A la lumière de plusieurs rapports et d’enquêtes, dont le livre de Victor Castanet, Les Ogres, les parlementaires et les professionnels de la petite enfance plaident pour un changement durable des pratiques de recrutement et un meilleur encadrement de ces structures d’accueil.
Deux ans et demi après la
sortie du livre Les Fossoyeurs (Fayard, 2022) qui avait révélé les maltraitances
commises au sein des EPHAD français, le journaliste Victor Castanet a provoqué
une nouvelle déflagration avec Les Ogres (Flammarion, 2025), qui
s’intéresse cette fois aux crèches privées.
La réalité qu’il dépeint,
entre optimisation des coûts, maltraitances et pratiques commerciales douteuses,
a mis la lumière sur les multiples défaillances qui affectent le secteur. Le
problème ne se limite pas au secteur privé : un rapport de l’inspection
générale des affaires sociales (IGAS), sorti en mars 2023, dévoilait des cas de
maltraitance au sein de certaines structures publiques, essentiellement du fait
d’un manque de personnel.
Remettre l’enfant « au
cœur des priorités »
Dans le sillage d’une
commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui avait fait état de
défaillances dans le modèle économique des crèches en 2024, le Sénat a rendu
son propre rapport en mars 2025.
Cette fois-ci, les
parlementaires se sont intéressés aux contrôles de « la qualité de
l’accueil » dans les crèches, qui visent à s’assurer que les enfants
sont correctement accueillis, traités et nourris, et que les agents sont assez
nombreux et qualifiés pour les prendre en charge.
Dans un document de plus
d’une centaine de pages, les trois rapporteurs ont identifié 15 propositions « destinées à améliorer l'efficacité des
contrôles au service de la qualité de l'accueil et du bien-être des
enfants ». Les
contrôles sur la qualité de l’accueil sont effectués par les médecins ou
les infirmiers des centres de protection maternelle et infantile (PMI),
rattachés aux départements.
« Le
but, c’est de vérifier la sécurité, la santé et le bien-être des enfants. C’est
important aujourd'hui, de remettre l’enfant au cœur de nos priorités. Particulièrement
au regard du contexte national, avec les incidents qu’il y a eu dans certaines
crèches », souligne Cendrine Chaumont
(DVD), présidente déléguée en charge de la protection maternelle et infantile
et de la santé au Conseil départemental de l'Essonne.
Ça n’est pas la seule mission
des centres de PMI, qui se chargent aussi de la consultation et du suivi des
femmes enceintes et des enfants en dessous de 6 ans, et qui mènent aussi des
actions de prévention, de planification et d’éducation familiale. La PMI est
également en charge des contrôles qui permette l’obtention de l’agrément « établissement
d’accueil du jeune enfant (Eaje) » préalable à l’ouverture d’une crèche.
Plus de transparence entre la
PMI et la CAF
En Essonne, il existe 57 centres
de PMI pour 400 établissements d’accueil du jeune enfant, aussi bien publics
que privés. En 2023, quelques 141 visites ont eu lieu sur 117 établissements et
en 2024, 212 contrôles ont eu lieu sur 182 établissements. La caisse
d’allocations familiales (CAF) de chaque département effectue quant à elle des
contrôles d’ordre administratif et techniques.
Depuis 2023, le
département a également mis en place des contrôles conjoints entre la PMI et la
CAF. Après deux contrôles communs réalisés en 2024, au moins quatre visites
devraient être organisées en 2025. « Ces contrôles sont intéressants
car ils permettent d'objectiver les dysfonctionnements », explique
Cendrine Chaumont.
Sans
préconiser forcément ces contrôles conjoints, le rapport du Sénat recommande
une amélioration de la transparence entre la PMI et les CAF. Avec ses
compétences administratives et techniques, un agent de la CAF peut par exemple
remarquer « que les dépenses en nourriture, en couches ou en produits
d'hygiène sont insuffisants par rapport au nombre d'enfants accueillis, explique
Emilienne
Poumirol (PS), sénatrice de Haute-Garonne et rapporteuse de la mission du
Sénat. Donc ils peuvent noter
des signaux faibles qui peuvent alerter la PMI ».
Le
niveau de transparence et de communication entre la PMI et la CAF varie
beaucoup d’un département à un autre et peut être très bas. A l’inverse, « Dans
le Maine-et-Loire, ils ont mis en place une plateforme où tous les services –
la CAF, la PMI, mais aussi les services de l'État – peuvent faire des
signalements de signaux faibles. Ça permet de mieux pointer du doigt les
structures qui sont les plus suspectes et de mieux les surveiller »,
explique la sénatrice.
Parmi les autres propositions
des sénateurs, figurent l’attribution à la Cour des comptes d’un pouvoir de
contrôle sur les crèches, la création d’une plateforme d’échange d’informations
entre les services de PMI des différents départements, ainsi que la publication
en ligne des résultats des inspections et l’élaboration d’« une grille
nationale de contrôle composée d’éléments objectivables ».
Sur ce point-là, les travaux
sont déjà lancés, et l'IGAS travaille sur la création d’un référentiel national
qui devrait bientôt paraître. Cette grille de référence qui devrait
permettre d’unifier l’interprétation des règles entre les départements mais
aussi entre les contrôleurs, existe pour les contrôles techniques effectués par
la CAF mais pas pour ceux de la PMI.
Micro-crèches : un
accueil « de moins en moins qualitatif »
Avec des contrôles inopinés
insuffisants, des contrôles lacunaires ou des informations qui ne circulent pas
comme il le faudrait, le risque est d’« arriver à des situations de maltraitance volontaires ou
involontaires, surtout s'il n'y a pas le personnel adéquat. Et c'est le problème des micro-crèches qui
n'ont pas le même règlement du point de vue du personnel ce qui fait que
l'accueil est de moins en moins qualitatif », explique la rapporteuse Emilienne Poumirol.
Dans ces établissements
privés à but lucratif, donc, qui ne sont pas régis par les mêmes règles que les
crèches du service public, seulement 40 % de personnel diplômé est requis,
contre 60 % au public.
Leur modèle économique, basé
sur le profit, peut amener des dérives importantes pour limiter leurs dépenses.
« Ils se débrouillent toujours, explique Emilienne Poumirol. Ils ‘bourrent’
en mettant davantage d'enfants sans augmenter le personnel. Mais il faut que
les enfants puissent avoir la même qualité d’accueil, quel que soit l’endroit
où ils sont accueillis ».
Aujourd’hui,
il serait impossible de supprimer toutes les micro-crèches privées :
« On laisserait sur le carreau des dizaines de milliers d'enfants et
compte tenu de nos finances publiques, je ne pense pas qu’il soit possible de
passer à un financement public partout du jour au lendemain. Mais en tout cas,
on peut améliorer les contrôles », conclut la sénatrice.
A
l’occasion d’une expérimentation lancée en 2021 en Haute-Savoie, le département
avait décidé de déléguer à la CAF les contrôles normalement effectués par la
PMI pour la délivrance de l’agrément. Sans viser la CAF, le rapport d’enquête
du Sénat préconise la création d’un cadre juridique qui pourrait permettre aux
départements de « déléguer à des organismes tiers certifiés le contrôle
de la conformité, notamment au référentiel bâtimentaire, d’un
établissement ».
Avec
l’idée de soulager la PMI de cette mission et de profiter de son expertise pour
se concentrer sur la qualité de l’accueil. « L’idée serait de le faire
faire en externe par des organismes type Afnor, comme cela se fait à l'hôpital.
Je trouve vraiment dommage que les puéricultrices passent leur temps à regarder
la largeur entre deux barreaux de lit ou la hauteur de la poignée de la porte, ça
n’est pas leur mission première », explique Emilienne Poumirol.
« Il
ne faut pas occulter les difficultés des départements »
Sur ce point, Elisabeth Jude
Lafitte, membre du syndicat des médecins de PMI n’est pas tout à fait en phase avec
les sénateurs rapporteurs. « Il
faudrait surtout renforcer les services de PMI en recrutant davantage de
médecins, davantage de puéricultrices, plutôt que de limiter notre champ
d'action », affirme le médecin.
Le nombre de médecins en PMI
est passé de 2 207 à 1 683 entre 2010 et 2019, selon les chiffres de la Direction
de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES).
« Il y a une baisse
d'effectifs globale sur quasiment tous les départements. Il y a des
départements où il n’y a qu’un ou deux médecins pour tout gérer car les suivis
d'accompagnement des structures et les agréments ne sont pas nos seules
missions », rappelle le
docteur Jude-Lafitte.
Au global, le nombre d’auxiliaires
puériculture a très légèrement diminué et celui des puériculteurs a, à
l’inverse, augmenté. « C'est
très inégal selon les départements », souligne Lafitte, qui mentionne aussi les psychologues et les sage-femmes
qui travaillent dans ces structures.
En Essonne, Cendrine
Chaumont, en charge de la protection maternelle et infantile et de la santé au département,
rejoint le constat du Docteur Laffite. « Moi
j'ai l'impression d'en demander de plus en plus à mes services de PMI avec de
moins en moins de moyens et de moins en moins de ressources humaines. A un
moment donné, tout ça ne va plus fonctionner. Si demain, on me dit ‘’vous doublez les contrôles’’, je ne peux
pas le faire », explique l’élue. Elle trouve les propositions
élaborées dans le rapport sénatorial particulièrement
intéressantes. « Quid de
l’après ? » interroge Cendrine
Chaumont.
« Les
crèches doivent être contrôlées, il n'y a pas de sujet là-dessus. Mais il ne
faut pas occulter les difficultés auxquelles l'ensemble des départements de France
sont confrontées aujourd'hui », rappelle Cendrine Chaumont.
Alimentées
en grande partie par les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), les
finances des départements ne sont pas en bonne forme et les coupes budgétaires
sont de plus en plus fréquentes. « C'est l'État qui devrait mettre des
moyens supplémentaires pour effectuer tous ces contrôles et mettre en place
toutes ces propositions » estime l’élue essonnienne.
De
son côté, Emilienne Poumirol aimerait voir la création d’un service public
national de la petite enfance. « En attendant, avance la sénatrice « on va
certainement faire une proposition de loi pour permette une amélioration nette
des contrôles.»
Marion Durand