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De la question de la défense des marques sur les réseaux sociaux

De la question de la défense des marques sur les réseaux sociaux
Publié le 30/06/2019 à 09:30



Pour valoriser leurs marques, les entreprises améliorent leur stratégie grâce aux réseaux sociaux (1). Face à un public toujours plus accessible (2), ces nouveaux médias sont incontournables pour rester compétitifs (3). Facebook, suivi par Twitter, LinkedIn et YouTube (4), sont les réseaux sociaux privilégiés par les entreprises pour gagner en notoriété et augmenter leurs ventes (5), notamment par l’intermédiaire de publicités ciblées. Ainsi, elles utilisent désormais leurs marques sous forme de hashtags et de usernames, et exploitent aussi bien leurs pages que leurs comptes comme des outils de communication instantanée.


Le nom d’utilisateur ou username, sert à identifier une personne ou une entreprise, de manière analogue à un nom de famille : reprenant souvent la marque, c’est un élément essentiel de l’entreprise afin de se promouvoir en ligne sur les réseaux sociaux. Son attribution, comme pour les noms de domaine, suit le principe du « premier arrivé, premier servi ».


Le hashtag (6), utilisé à l’origine sur Twitter, est un mot ou une expression précédé d’un dièse (#) qui classe du contenu par thématique. Techniquement, c’est un marqueur de métadonnées qui permet de contextualiser le contenu marqué et de le retrouver facilement à l’aide d’un mot-clé.


Il faut aussi distinguer les pages et les comptes sur les réseaux sociaux. Un compte, ou profil, permet à un utilisateur de partager du contenu tels que des photos, vidéos voire des centres d’intérêt et des informations sur son identité. Ce compte est identifiable par le username. Une page est quant à elle créée et gérée par un utilisateur qui possède un compte ou un profil. Cette page est précisément une interface entre la marque et les consommateurs qui en verront les mises à jour dans leur fil d’actualité.


Ainsi, les internautes s’abonnent aux pages des marques, permettant aux entreprises d’interagir de façon instantanée avec leurs consommateurs. Néanmoins, elles font face à des risques d’usurpation de leur identité numérique et d’utilisation non autorisée de leurs marques.


L’utilisation par des tiers d’un hashtag reprenant une marque peut représenter une menace pour la réputation de l’entreprise titulaire des marques. Le hashtag peut être associé à des commentaires négatifs sur la marque ou des publicités trompeuses générant un risque de confusion entre la marque officielle et les contenus postés par des tiers, ce qui est dommageable pour la réputation de l’entreprise.


Les usernames sont ainsi une formidable opportunité marketing mais également un vecteur de risques. Basé sur le modèle du « premier arrivé, premier servi », n’importe quel utilisateur de mauvaise foi a la possibilité de créer un username reprenant une marque (7). Ce phénomène est appelé « username squatting » (8). La reprise d’une marque comme username par un tiers peut être bénéfique pour l’entreprise lorsque que le contenu posté est positif. Il en va ainsi pour des pages de fan, et de façon générale si la reprise de la marque dans le username ne porte pas atteinte aux droits de marque. Toutefois, de manière analogue aux hashtags, l’image de l’entreprise est mise en péril si l’utilisateur l’utilise à des fins nocives pour l’entreprise, telle une campagne de dénigrement.


Face à ces risques, les entreprises doivent agir rapidement, et ont tout intérêt à protéger leurs marques sur les réseaux sociaux.


Le hashtag est protégeable au regard de l’article 711-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) (9) et du règlement n° 2015/2424 concernant les marques de l’UE (10), sous réserve qu’il satisfasse aux critères de validité d’une marque (caractère distinctif, disponible et licite du signe et enregistrement). Le dépôt préventif de la marque en tant que hashtag n’est pas forcément nécessaire, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) (11) appréciant la validité d’une marque au vu du terme qui suit le dièse. Ainsi, les hashtags utilisés à titre de marque, dès lors qu’ils remplissent les conditions de protection, sont protégés contre toute utilisation ou imitation illicite.


De manière alternative toutefois, si une protection par le droit des marques est impossible (12), le hashtag peut bénéficier de la protection prévue par le droit d’auteur si celui-ci répond aux conditions spécifiques (œuvre de l’esprit (13) originale). Néanmoins, la jurisprudence en la matière reste aléatoire. Un parallèle peut être fait avec la protection des titres d’ouvrages : si un titre constitué d’un seul mot a déjà été jugé original (14), en règle générale, le hashtag constitué d’un seul mot sera jugé banal (15). La protection par le droit d’auteur n’est donc pas facilement obtenue.


Le statut juridique des usernames est quant à lui incertain, voire même inexistant, à la différence des hashtags et des noms de domaine. Chaque réseau social décide de manière indépendante de modalités d’utilisation (usage, possibilité de revente ou de transfert, etc.). Le simple enregistrement d’un username reprenant le nom d’une marque ne constitue pas obligatoirement une atteinte aux droits de cette marque. Seule une utilisation frauduleuse dudit compte serait de nature à constituer une atteinte justifiant une suppression du compte.


Sous réserve de l’octroi d’une protection aux hashtags et usernames, les entreprises peuvent se prémunir contre les atteintes perpétuées sur les réseaux sociaux grâce à différentes procédures créées de toutes pièces par les réseaux ou des actions judiciaires.


Dans le cas de username squatting ou de brandjacking (16), l’entreprise peut signaler au réseau social l’utilisation frauduleuse de sa marque sur les pages ou les comptes litigieux par la voie d’une procédure de notification (« notice and take down ») (17). Instaurée par l’article 6 de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique, dite loi LCEN (18), cette procédure vise à la suppression, par les réseaux sociaux qualifiés d’hébergeurs (19), du contenu illicite préalablement signalé par l’entreprise victime (20) d’une atteinte à sa marque.


Cette procédure présente cependant des limites. Le souci majeur lié à cette pratique réside en l’absence de procédure alternative de résolution des litiges (comme par exemple la procédure UDRP pour les noms de domaine). Actuellement, les conflits sont résolus par les services des réseaux eux-mêmes, et c’est donc à leur appréciation qu’est laissée la reconnaissance ou non d’une atteinte. En effet, les réseaux sociaux se font donc juge et partie des atteintes : ils déterminent le caractère illicite du contenu et décident de le supprimer ou de le laisser subsister. Les décisions ne sont pas soumises à l’obligation d’être motivées et il n’existe pas de jurisprudence à cet égard. Dès lors, le résultat d’une procédure de notice and take down est aléatoire.


La mise en place d’une procédure semblable à la procédure UDRP, existant pour les noms de domaine et permettant de lutter contre les cybersquatters, est souhaitable. En effet, la décision dans le cadre d’une procédure UDRP est rendue par un expert indépendant à la fois des parties, mais également des acteurs en matière de noms de domaine (bureaux d’enregistrement, registres, Icann, etc). Une telle procédure permettrait de résoudre le problème de double rôle que jouent les réseaux sociaux, à la fois hébergeurs et décisionnaires quant au devenir du contenu posté sur leurs plateformes. En outre, les décisions UDRP sont recensées, créant ainsi une véritable jurisprudence en matière de litiges de noms de domaine et réduisant les différences d’appréciation des atteintes. Cela va également dans le sens de la prédictibilité de la justice.


Les entreprises peuvent également avoir recours à des procédures judiciaires pour lutter contre ces nouvelles atteintes. L’username squatting peut constituer une usurpation d’identité « numérique », telle que prévue à l’article 226-4-1 al. 2 du Code pénal. Non seulement l’entreprise usurpée subit un préjudice du fait de l’atteinte à sa réputation et à sa marque, mais les consommateurs abonnés à l’entreprise sont également victimes, puisque l’auteur de l’infraction induit en erreur l’internaute. Cette manœuvre a souvent pour but de soutirer des informations personnelles ou de l’argent aux consommateurs, à l’instar du phishing perpétré par le biais des noms de domaine.


Une action en contrefaçon est possible lorsque l’identifiant utilisé par le tiers est protégé par le droit des marques, et qu’il y a usage de ce signe à titre de marque dans la vie des affaires, créant un risque de confusion sur l’origine du compte ou de la page (21). La condition d’usage dans la vie des affaires est consubstantielle à la caractérisation de l’acte de contrefaçon. Cet usage est caractérisé lorsqu’ il « se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique et non dans le domaine privé » (22). Cela signifie que l’usage d’une marque à titre de username doit viser à tirer des bénéfices commerciaux pour être répréhensible. Ainsi, si l’usurpation consiste seulement à critiquer la marque comme une parodie, une action en contrefaçon n’est pas envisageable. L’entreprise peut néanmoins se fonder sur les dispositions en matière de concurrence déloyale et de parasitisme (23), dès lors qu’elle prouve un dénigrement de l’entreprise, de ses produits ou services ou sa marque, un dommage, et enfin un lien de causalité entre le dommage et le dénigrement constitutif d’une faute.


Les entreprises ont intérêt à se prémunir contre les utilisations frauduleuses de leurs marques sur les réseaux sociaux pour protéger leur réputation. Les solutions de notice and take down ne sont malheureusement pas suffisantes, la seule alternative pour se défendre sur les réseaux sociaux est l’action judiciaire. Si l’utilisation des marques sur les réseaux sociaux est en pleine expansion, il est indispensable que les moyens de protection suivent le même rythme. D’autant plus que la problématique est particulièrement complexe en raison des risques de bad buzz… à utiliser avec modération.


 


 


NOTES :

1) Définition donnée par le G29 dans son Avis 5/2009 : « plateformes de communication en ligne qui permettent à tout internaute de rejoindre ou de créer des réseaux d’utilisateurs ayant des opinions similaires et intérêts communs ».

2) Les utilisateurs de Facebook sont passés de 530 millions en 2012 à 1,56 milliard en 2019. (https://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/1125265-nombre-d-utilisateurs-de-facebook-dans-le-monde/)

3) Plus de 80 % des marques considèrent essentielle leur présence sur les médias sociaux : https://www.e-marketing.fr/Thematique/social-media-1096/Infographies/marques-estiment-leur-presence-medias-sociaux-indispensable-333633.htm.

4) 91 % des entreprises en France utilisent Facebook, 83 % pour Twitter, 77 % pour LindkeIn et 65 % pour YouTube : https://www.e-marketing.fr/Thematique/social-media-1096/Infographies/marques-estiment-leur-presence-medias-sociaux-indispensable-333633.htm.

5) Ce phénomène est dénommé « Social Selling » : https://www.frenchweb.fr/les-reseaux-sociaux-larme-de-predilection-des-marques-pour-doper-leurs-ventes/309891 6) Equivalent de « mot-dièse » en français.

7) Tant que celle-ci n’est pas déjà attribuée.

8) Dénommé « brandjacking » lorsque la marque a été utilisée par un tiers .

9) « peuvent notamment constituer un [tel] signe : a) Les dénominations sous toutes les formes telles que : mots, assemblages de mots, noms patronymiques et géographiques, pseudonymes, lettres, chiffres, sigles (...) ».

10) « peuvent constituer des marques tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, ou les dessins, les lettres, les chiffres, les couleurs, la forme d’un produit ou du conditionnement d’un produit, ou les sons, à condition que ces signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ».

11) https://www.inpi.fr/fr/valoriser-vos-actifs/le-mag/toutsurlehashtag.

12) Si par exemple jugée descriptive.

13) Article 112-1 du CPI : protection pour « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».

14) En revanche, « Tarzan » a été admis car inventé de toutes pièces (T. civ. Seine, 19 janv. 1949).

15) Par exemple, « Manon » pour l’opéra-comique de Massenet a été considéré comme banal car « titre-prénoms » (T. civ. Seine, 1er févr. 1949).

16) Usurpation de l’identité d’une marque pour porter atteinte à son image ou tirer profit de sa notoriété et de son image.

17) Procédure inspirée de la loi américaine Digital Millenium Copyright Act adoptée en 1998.

18)  Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

19) Au regard de l’article 6-I- 2 : l’hébergeur est toute personne physique ou morale « qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

20) La notification doit contenir les éléments visés à l’article 6-I-5 de la LCEN.

21) Articles L. 713-2 et L. 713-3 du CPI.

22) CJCE, 12 novembre 2002, aff. C-206/01, Arsenal Football Club.

23) Article 1240 du Code civil.


 


Nathalie Dreyfus,


Cabinet Dreyfus,


Conseil en Propriété Industrielle et Expert près la Cour d’appel de Paris


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